Havre mortel

Le chemin devenait boueux et glissant. Ses lourdes bottes ferrées de soldat commençaient s’y enfoncer lourdement. Et dire que deux heures avant il mourrait de soif au milieu d’un désert brulant.

*

– Tenez la ligne ! Ne les laissez pas vous déborder.

Les ordres du sergent furent les derniers avant qu’une lance ne lui traversa l’abdomen de part en part. A peine eut-il le temps de voir son meurtrier et lui porter un dernier coup sans effet.

La résistance allait céder et les chariots seraient alors à la merci des pillards. Ce genre de choses arrivait souvent dans ce secteur, les risques pris par le maitre caravaniers avaient été trop grands. la petite unité de soldats recrutés pour la défense n’était pas suffisante. Une caravane de plus ne rentrerait pas à Shahar-Rathad.

De tout ceci Artel était parfaitement conscient mais seul le fait de rester en vie lui importait à cet instant. Quand la ligne céda enfin, il plongea au sol pour laisser passer deux cavaliers sardaghis lancés dans une frénésie de pillage. Les soldats ne les intéressaient plus malgré quelques derniers points de résistance désespérés, seules les perspectives du pillage imminent les faisaient pousser leurs montures.

Artel se retrouva avec deux autres soldats en train de ramper pour se mettre à l’abri de la cinquantaine de pillards fonçaient droit sur les employés de la caravane sans défense. Les plus braves défendirent les chariots avec ce qui leur tombaient sous la main, ils furent les premiers tués. Les autres subiraient le même sort peu de temps après.

Les cris et les hurlements frappèrent Artel et ses compagnons mais aucun d’eux ne repartit en arrière pour aider les caravaniers. Ils avaient fait leur boulot et avaient échoué. La honte et la peur leur enlevaient tous leurs moyens.

Le campement avait été dressé contre une petite saillie rocheuse de quelques mètres de haut, Artel se dirigea par là pour se cacher et attendre le départ des sardaghis. Une anfractuosité bienvenue lui offrit cet abri et il s’y plaqua tout au fond, essayant de faire corps avec la roche. Il se boucha les oreilles et ferma les yeux avec force pour se couper de l’extérieur complètement. Étonnamment, il n’avait pas lâché son petit bouclier rond ni son épée.

Le pillage dura jusqu’à la nuit. De longues heures de cris et de souffrance pour les derniers à succomber. Les sardaghis étaient ivres d’alcool et de rage après leur raid et la pression ne retomberait qu’une fois qu’ils se soient écroulés de fatigue.

Au petit matin, un silence mortel régnait sur la caravane. Artel émergea d’un sommeil peuplé de cauchemars et de cris. Il était seul. Ce qu’étaient devenus ses deux compagnons, il l’ignorait. Il s’extirpa difficilement de sa planque, tout engourdi par sa position recroquevillée. Il tenait toujours ses armes. Ses poings crispés pulsaient d’une douleur de milliers d’aiguilles, tout son corps le rappela douloureusement à la réalité. Il partit explorer les restes de la caravane pour n’y trouver que des corps éparpillés et mutilés que les premiers charognards se disputaient. Ramassant quelques maigres affaires il partit vers ce qu’il espérait être son salut.

*

La chaleur du désert cognait sur sa nuque implacablement, sans haine mais sans répit. Sa dernière gourde était vide et il l’avait laissé tomber depuis longtemps. Au début il avait suivi des traces de ce qui ressemblait à des bottes de soldats, sans trop savoir de quel camp il s’agissait. Quand il trouva les corps, il sut ce que des compagnons étaient devenus. Rattrapé par les sardaghis, ils n’avaient eut aucune chance.

Alors il avait continué, suivant d’autres traces qui avaient fini par s’effacer dans la terre sèche et le vent brulant. Et puis il était tombé, une première fois, avant de se relever péniblement et de reprendre sa marche. Combien de temps il marcha ainsi, il ne s’en souvint pas et ne chercha pas à le savoir. Une seule chose comptait alors : rester en vie. Quand vint la nuit cependant, même ça il l’avait oublié.

Le matin darda ses premiers rayons sur un corps immobile. Mais comme la chaleur recommençait son office journalier, le corps commença à bouger et un homme se releva. Cette fois Artel ne tenait plus ses armes qui restèrent sur le sol comme un ultime témoignage de son passage.

Ses pas le dirigèrent mécaniquement jusqu’à des collines ne figurant sur aucune carte de caravaniers. Là il s’écroula à l’ombre d’un rocher.

La conscience lui revint quand il sentit l’humidité sur sa joue. Cette sensation de fraicheur le refit émerger des limbes dans lesquelles il avait commencé à sombrer. Ouvrant un œil il constata que le sol était différent, l’humidité en avait changé la texture et la couleur. Soulevant doucement la tête, il suivit du regard le chemin que le mince filet d’eau avait parcouru pour l’atteindre. Il s’enfonçait entre les rochers à l’abri de la lumière sèche et Artel utilisa ses dernières forces pour se relever et suivre ce chemin prometteur de vie.

Il vida une première flaque d’eau claire en plongeant la tête et en aspirant le liquide salvateur comme il pouvait. Un rire saccadé le secoua nerveusement avant qu’il ne put reprendre sa marche. Les premières mousses l’accueillirent, lui promettant de trouver d’autres végétaux plus consistants plus loin. Au fil de sa progression au sein des enchevêtrements rocheux, le chemin devenait boueux et glissant. Ses lourdes bottes ferrées de soldat commençaient s’y enfoncer lourdement. Il du marcher sur le côté plus stable et plus rocailleux pour continuer à progresser. Il se trouvait maintenant entouré d’arbustes aux petits fruits rouges et jaunes qu’il mangea comme s’il s’agissait d’un véritable festin. Le gout amer ne l’arrêta pas, ne se souciant même pas de la toxicité des fruits, il se gavait de leurs jus acides et sucrés.

Artel se mit à revivre littéralement et il passa les heures suivantes à se remettre sur pied. Les fruits juteux se révélèrent très revigorants et il en cueillit le plus possible en les glissant dans sa besace réglementaire qu’il n’avait pas lâché. Quand le soir tomba, il se trouva un trou dans un pan rocheux et s’y glissa pour passer la nuit avant de repartir le lendemain, bien plus confiant dans ses chances de survie.

Artel ne vit pas le jour se lever cependant.

Alors que les premières heures de la nuit refroidissaient l’air ambiant, un feulement le réveilla en sursaut. Une bête était toute proche. Il ne savait dire de quel animal il pouvait bien s’agir, mais la menace n’en était pas moins réelle.

Plutôt que de se faire piéger dans son trou, il choisit de voir de quoi il retournait et sortit le plus discrètement possible de son abri. La lune cendrée était haute dans le ciel, inondant le paysage d’ombres argentées, Artel se saisit d’une solide branche au passage et commença à écouter. Plus un bruit ne venait briser la tranquillité nocturne. Avait-il imaginé tout ça ? Possible, il ressentait encore la fatigue de sa longue errance, il se détendit un peu quand il aperçu devant lui une paire d’yeux jaunes qui ne le lâchaient pas du regard. Sans ciller, la bête avançait lentement vers sa proie. Artel reculait doucement en levant son arme improvisée qui lui sembla bien fragile face à la puissance animale qu’il sentait dans la créature. Ça avait du être une hyène ou petite panthère tacheté des monts de Namir, avant. Car an face de lui ne se trouvait pas un animal commun mais un Karn’Uaigh, une de ces terribles abominations engendrées par les dieux ou les chamanes orientaux pour ce qu’il en savait. Nul ne savait comment les Karn’Uaigh finissaient par arpenter la terre des hommes mais tous savaient le danger mortel qu’ils représentaient.

Le Karn’Uaigh atteignait à peine un mètre au garrot, sa fourrure était sale et laissait apparaitre des portions de chair putréfiée suintant d’un ichor jaunâtre à certains endroit. Artel voyait tous ses détails comme un observateur extérieur, totalement fasciné par la créature et ses yeux jaune hypnotiques, il ne réagit même pas quand elle se jeta sur lui pour se repaitre de sa chair et de ses os. A peine observa-t-il dans ses derniers instants qu’elle dégageait une odeur effroyable. Une odeur de mort.

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