Au cœur du sujet

Ils sont autour de moi. Je les entends, ils me cherchent. Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir leur échapper car ils sont déterminés à me trouver et rien ne saurait les arrêter.

Comment me suis-je retrouvé dans cette situation ? Mon incorrigible curiosité certainement et une bonne dose de stupidité.

***

Je suis, ou plutôt, j’étais journaliste. Je travaillais pour un petit journal charentais, un job mal payé mais qui me paye les factures en fin de mois. Ma raison d’être est ailleurs, j’ai l’âme d’un écrivain. Mes tentatives d’écritures précédentes ont reçus des commentaires comme : « trop ceux », manque de substance », « pas d’implication », pour les plus sympathiques.

Alors pour le prochain livre j’avais décidé de mettre toutes les chances de mon côté en prenant le sujet à bras le corps et de me documenter à fond. Il ne me restait plus qu’à trouver un bon sujet, un truc accrocheur et vendable. Il s’est imposé de lui-même un soir en allumant mon téléviseur. Je suis tombé sur un reportage racontant la préparation du prochain navet américain : les zombies. Bon, ce n’est pas que le film soit plus motivant que cela mais il entrait en résonance avec la grande mode du moment. Ces créatures semblaient en effet envahir tous nos médias et même parfois nos trottoirs avec ces manifestations dans les rues de plusieurs grandes villes. La première décennie de ce millénaire n’avait pas apporté que joie et félicité à mes contemporains pour qu’ils soient si fascinés par ces références morbides.

Ainsi donc je me lançai. Un mois durant j’écumai les bibliothèques pour tenter de recueillir le maximum d’informations, d’où viennent-ils, ce qu’en croient les gens, ce qu’en dit la littérature fantastique… Et,  fatalement, je suis tombé sur les rites vaudou.

Tout ce que j’avais pu lire avant cela n’était que fantasmagorie, légendes et croyances superstitieuses. Mais là je touchai le cœur du sujet. Approfondissant et recoupant les sources, je fus convaincu que des zombies pouvaient parfaitement arpenter le monde en ce moment même. Je repérai également toutes les techniques de zombification, notamment celles à base d’un poison, la tetrodotoxine, et de tout un arsenal de drogues et d’hallucinogènes. Techniques apparemment maîtrisées par les sorciers vaudou.

Plus je creusais et plus ce que j’avais à faire devint évident : je devais me rendre sur place et essayer d’entrer en contact avec un de ces sorciers. Je n’espérais pas forcément apprendre ses secrets ni même assister à une quelconque cérémonie, mais je me devais y aller pour respirer l’atmosphère des lieux, le parfum du vaudou.

Grâce à quelques amis dans le milieu du journalisme, je pus avoir un contact et un point de chute en Louisiane. Je réussis même à me faire payer le voyage par le journal sous prétexte d’écrire un grand article sur nos cousins d’outre-Atlantique. Armé du parfait attirail du petit journaliste, j’atterrissais à Bâton Rouge.

Les gens furent charmants malgré mon anglais hésitant et m’aidèrent du mieux qu’ils pouvaient afin de me faire découvrir leurs pays. Je ne parlai pas de vaudou pour ne pas me heurter à un refus définitif car je savais le sujet sensible. Mais j’observais chaque signe, chaque indice qui puisse me mettre sur un début de piste. En vain.

S’il est une religion, le vaudou ne se pratique pas au vu de tous, point d’église pour prendre contact avec un grand prêtre. Et, évidemment, aucun zombie ne déambulait dans les rues.

Je commençai donc mon reportage officiel, après tout, j’étais tout de même payé pour ça, et me contentais de m’imprégner de l’atmosphère de ce sud des États-Unis si particulier. Une visite des bayous me fit forte impression et les soirées musicales de La Nouvelle Orléans m’enchantèrent littéralement. Je redécouvrais la musique.

Ce fut au cours d’une de ces soirées que je fus invité pour une fête organisée par un des notables de la ville, le thème principal était les zombies. Curieux et amusé j’assurais mon compagnon de bar que je m’y rendrais certainement.

Deux jours plus tard, j’étais devant les grilles du vaste domaine où se déroulait la fête. Les gorilles chargés de la sécurité me laissèrent passer après avoir scanné mon invitation sous tous les angles.

Je fus alors transporté dans une ambiance totalement décalée par rapport aux jours précédents paisiblement passés à visiter la région. Je me trouvais plongé dans une fête où tout le gratin de la région et de l’état s’était donné rendez-vous. Je croisais des sportifs des équipes de football et de basket locales, des starlettes de cinéma, des présentateurs et journalistes de tous médias… Je fus même présenté à l’hôte des lieux qui m’assura être ravi d’avoir un français à sa fête.

Celle-ci fut grandiose : musiques, danses, feux d’artifices et déguisements de zombies envahissaient tous les coins du domaine. Je profitais de cette soirée au maximum, les alcools étaient délicieusement mélangés en de savoureux cocktails aux noms rappelant l’ambiance. Le clou de ces préparations était sans conteste le « Baron Samedi », un savant mélange à base de rhum au goût légèrement amer et à la couleur verte. Fruits et cubes de glace s’y entrechoquaient dans une chorégraphie hypnotique, surtout après les trois premiers verres. Je n’étais d’ailleurs pas le seul à ressentir les effets de l’alcool car une jolie blonde me renversa son verre alors qu’elle était entraînée dans une danse endiablée par son partenaire. Elle me lança quelques excuses rapides au passage mais je la rassurai sur le peu d’importance de cet accident.

La soirée était bien avancée quand nous eûmes droit à la reconstitution du fameux « Thriller ». Pour commencer, toutes les lumières furent éteintes et quand le bruit des exclamations surprises se calma, nous entendîmes les premières notes de musiques. La foule enjouée s’empressa de se ruer à l’extérieur où la sono avait été installée, j’attrapais mon cinquième ou sixième « Baron Samedi » et suivis le mouvement.

Sur la pelouse une dizaine de danseurs reproduisaient à la perfection la chorégraphie, les tentaient de les  singer maladroitement, emportés par le rythme et l’alcool. Puis, d’autres danseurs vinrent les rejoindre en sortant des fourrés et des bois alentours, ils avançaient en imitant parfaitement la démarche traînante des zombies dont ils avaient l’apparence. Le maquillage était parfait, voire troublant tant les danseurs maîtrisaient leurs mouvements. Il en sortit de partout pour rejoindre la chorégraphie qu’ils exécutaient à la perfection. L’effet était saisissant, notre hôte avait fait les choses en grand.

C’est quand le morceau de musique prit fin sur le rire sardonique que les choses ont mal tournées je crois, je me suis évanoui, terrassé par mon dernier cocktail.

***

Ce qui se passa dans les heures ou les jours qui suivirent, je ne saurai le dire avec précision. Tout est confus et je n’ai que des bribes de sons, quelques flashes de lumière et des odeurs de terre humide. Tout ce dont je me souviens commence à mon réveil.

Je me tenais debout les bras ballants, le long du corps, la tête lourdement penchée sur le côté comme si mon cou n’avait plus la force de la soutenir. Je n’étais pas seul dans la grande salle surchauffée qui s’avéra être un hangar, nous étions huit peut-être dix personnes. Aucun de nous ne bougeait, nous semblions attendre. Malgré tous mes efforts j’étais incapable de remuer le moindre muscle. Seules mes fonctions vitales semblaient bien vouloir fonctionner. L’attente dura des heures.

Ils entrèrent, trois hommes suivant une grande silhouette bizarrement accoutrée mais dont l’allure me rappelait cependant quelque chose. Ils nous passèrent en revue un par un, l’homme qui ne pouvait être qu’un grand prêtre vaudou, faisait des sortes de passes magiques devant le visage de chacun d’entre nous. A l’issue de celles-ci, nous étions répartis dans deux groupes distincts. Le premier répondait au qualificatif de « travailleur » alors que le second répondait à l’étrange dénomination de « divertissement ».

Lorsque vint mon tour, le sorcier fit les mêmes passes devant mon visage et se fendit d’un commentaire plus long que pour les autres :

« Mon petit français, divertissement évidemment, j’en suis heureux. »

On me dirigea alors vers le petit groupe de trois individus assignés aux divertissements, quoique cela ait pu vouloir indiquer réellement. Étrangement, mon corps ne refusa pas de bouger après avoir entendu le sorcier qui n’était autre que l’hôte de la fête.

Le premier groupe fut sorti par deux des hommes et, alors que le troisième s’apprêtait à partir avec notre trio, le sorcier l’interpella.

« Attends, je garde celui-là, dit-il en me désignant. »

L’homme ne parut pas heureux mais se plia bien vite à la demande. Je me retrouvai seul avec le sorcier.

« Je pense que vous avez compris ce qui vous arrive : vous êtes en mon pouvoir. Entièrement soumis à ma volonté vous servirez et obéirez à mes ordres pour le reste de votre existence. En un mot vous n’êtes plus qu’un zombie. »

Si j’avais pu hurler, mon cri se serait entendu bien au-delà des murs du hangar, mais mes cordes vocales restèrent inertes. La terrible révélation s’imposait à moi de manière effroyable.

« Je vois que vous avez saisi toute la situation. Ah, oui, vous pourriez être surpris d’être aussi clairvoyant sur votre situation, cela arrive parfois avec certains sujets, leurs esprits sont toujours aussi affûtés alors que leurs corps ne leur répondent plus. Je ne peux qu’imaginer les affres dans lesquels vous devez être plongé mais sachez que cela ne fait qu’augmenter votre valeur. »

Je comprenais les mots et leurs implications mais j’étais totalement incapable d’y réagir, incapable de réagir à quoi que ce soit.

« Une dernière chose, n’espérez pas qu’on va venir vous rechercher, vous avez été déclaré mort ; une sale histoire de delirium tremens consécutif à l’absorption d’une quantité d’alcool trop importante. Ça arrive parfois aux touristes, ça ou une visite des bayous qui tourne mal. »

Il conclut sa petite tirade dans un grand éclat de rire qui m’ôta définitivement tout espoir.

***

Divertissement. J’ai compris toute la portée de ce mot. Je me retrouvai engagé comme figurant dans un nombre incroyable de spectacles de rues, de fêtes et de navets cinématographiques. La mode du zombie ne retombait pas. Au bout de quelques semaines, le sorcier se lassa de jouer les imprésarios et me cantonna dans une sorte de réserve avec une dizaines de personnes dans le même état que moi. Il nous gardait pour une ultime représentation.

Celle-ci se mit en place quelques jours plus tard, nous devions être fin octobre. Le sorcier avait revêtu ses habits cérémoniels et vint nous expliquer notre rôle dans sa fête pour Halloween.

« Ce soir est votre soir car vous allez avoir la chance de prendre votre revanche. Ils vont venir vous traquer, vous débusquer et s’ils vous trouvent ils vous détruiront pas le feu et l’acier. Défendez-vous ! Si vous survivez à cette nuit, vous aurez le droit d’aller rejoindre les champs de coton pour y travailler. Profitez de cette nuit, elle vous appartient, c’est la nuit des morts-vivants ! »

Il passa ensuite dans nos rangs pour nous lancer une poudre au visage, celle-ci me redonna un peu de vigueur et d’autonomie, mais pas assez pour régler son compte à ce sorcier.

Et puis ça a commencé, ils sont arrivés armés de torches, de pioches et de machettes. De riches dandys en manque de sensations et ils en voulaient pour leur argent. Nous réussîmes à les faire hésiter, mais les premières pertes dans nos rangs désagrégèrent notre unité et nous nous retrouvâmes éparpillés à défendre notre peau. Je cherchai une cachette pour y attendre le jour mais un groupe de chasseurs retrouva ma trace rapidement.

***

Je sais que la fin est proche, ils ont encerclé ma position et vont bientôt attaquer. Tout ceci est finalement assez cocasse car je me rappelle à cet instant le titre que j’avais prévu pour mon livre : « je suis un zombie ». Dramatiquement prémonitoire.

Les voila, dans une ultime tentative je lève une main pour les arrêter mais il prennent ça pour une attaque alors ils frappent, encore et encore jusqu’à ce que je ne bouge plus. « Je suis un zombie », voila bien un titre accrocheur qui aurait pu plaire.

Une dernière question s’impose alors à mon esprit avant qu’il ne s’éteigne : A t-on jamais vu un zombie mourir avec le sourire au lèvres ?


Texte écrit pour le challenge d’écriture n°35

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