Challenge d’écriture n°47– Yelena


Yelena
11.8/20 ?????
4ème

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L’envol de la jeunesse

Derrière la porte du hangar principal, Léo inspirait profondément pour tenter de calmer l’impatience de son cœur. Le jour qu’il avait tant attendu et espéré était enfin arrivé. Il allait pouvoir défendre ses recherches par du concret et sa détermination ne pourrait qu’ébranler le monde. La réalité allait rouler à ses pieds. C’était un moment historique : vingt bébés, âgés de quelques heures à deux ans, allaient être propulsés dans l’espace, à des années-lumières de la Terre. Son idée était miraculeusement simple mais se heurtait violemment avec l’éthique majoritairement admise. Les bébés supporteraient-ils l’absence de gravité ? Toutefois Léo ne s’était pas arrêté là, il était allé le plus loin possible, il voulait se heurter au concept de solitude. Un enfant sans contact humain devenait au mieux sauvage, être hybride entre deux mondes, sans appartenance véritable. Sinon il mourrait. Et si les seuls liens entretenus étaient avec des humanoïdes ? Les robots pouvaient-ils être des nounous ? Cette réflexion hantait le scientifique et pour y répondre le plus justement possible, il avait rapidement compris qu’il devrait lutter contre l’instinct de protection de l’être humain. Loin des adultes,des sons familiers, perdus au milieu dans l’espace, ces enfants n’auraient d’autres choix que de s’adapter aux robots et à leur nouvel environnement.

Cette position entière et totale avait mené à sa déchéance, son nom avait rageusement été traîné dans la boue. Cela faisait un mois qu’il était cloîtré au Centre de recherche sous haute garde, de jour comme de nuit. On voulait sa tête pour enterrer ses idées. Pourtant Léo trouvait ces questions logiques et surtout en totale adéquation avec les évolutions actuelles. Après tout, les robots s’occupaient déjà de tout les travaux pénibles et ennuyeux qui emprisonnaient l’âme humaine dans une dangereuse routine, pourquoi ne pouvaient-ils pas s’occuper de ces êtres enfantins pendant leur période d’inutilité ?

 

A ces pensées, l’homme se ragaillardit. Le génie était toujours incompris et si ses concitoyens ne le comprenaient pas, c’était un très bon signe. Il se passerait de leur avis, tout juste construit sur les cendres d’une intelligence décadente. Il était un Dieu parmi les simples. Il allait révolutionner la science, au bas mot. Léo serra contre lui ses dossiers récapitulant les vingt identités qui allaient avoir la chance d’aller dans les étoiles : dix enfants abandonnés et dix autres arrachés à leur famille hurlant de douleur, parfois même sitôt sortit du ventre de leur mère. L’amour et la présence parentale préalable pourront-ils influencer les résultats ? La souffrance d’une séparation brutale allait-elle les rendre fou ou bien les endurcir face à l’adaptation ?

Malgré la haine éclatante, ses recherches et sa future expérimentation forçaient le respect de certains de ses collègues qui louaient l’originalité de ses questions. Le soutien existait, à la dérobée, dans l’ombre des discussions murmurées. Ils avaient honte d’afficher leur approbation, tiraillée entre leur opinion et la terreur de perdre leur place d’éminent scientifique, même si cette dernière ne reposait que sur une recherche inutile. Ce soutien était son bien le plus précieux, le plus beau bagage qu’il pouvait emporter sur le chemin de la réussite. Et quelle réussite tonitruante ! Jamais l’espèce humaine ne se remettra de cette expérience, ni même du vaisseau qui la permettra. Il allait aujourd’hui faire d’une pierre deux coups : ébranler l’intelligence et transformer tout le matériel de recherche spatiale en simples jouets archaïques.

Des rêves pleins la tête, il coiffa une dernière fois ses cheveux poivre et sel, inspira une longue bouffée d’air et poussa la lourde porte de sa destinée.

 

Le hangar principal était haut sous plafond, assez pour accueillir le fuselage ciselé qui semblait vouloir percer le toit. Le silence était profond, bien loin de l’agitation qui régnait habituellement quelques instants avant un décollage. Léo sentit plus qu’il ne vit les regards hostiles et les mots soufflés dans les oreilles complices. On le dénigrait dans tout les coins. Léo les ignora avec superbe. Si vraiment les techniciens avaient voulu saboter son projet, ils l’auraient fait. Pourtant la fusée était intacte. Ils n’étaient donc pas si choqués et Léo savait qu’au fond d’eux brûlait cette curiosité intrinsèquement humaine, capable d’aplatir toute conviction, aussi belle soit-elle.

– Les robots sont prêts monsieur, ainsi que les moteurs, chuchota un jeune garçon visiblement intimidé d’adresser la parole au scientifique. On attend vos ordres.

Une fois son compte-rendu débité, il resta planté aux côtés de son aîné, les yeux à la fois miroir d’une angoisse terrible et d’une admiration sans bornes.

« Qu’importe les quolibets, pensa Léo, je reste un maître ».

– Amenez les bébés, ajouta-t-il simplement, en secouant la main comme s’il souhaitait chasser une mouche entêtante.

– Oui monsieur. Bien monsieur.

 

Le jeune homme partit en courant et chacune de ses foulées cristallisaient la tension qui, auparavant, ne se dessinait qu’en filigrane discrète. Le décollage était imminent. Le silence fut brisé par les murmures désapprobateurs et le craquement des phalanges vindicatives, l’air s’emplit d’électricité. Léo ne pouvait rester là, sa seule silhouette excitait leur colère et il ne souhaitait pas leur donner une raison de l’exprimer. Après tout, s’ils devaient exploser, cela devrait être pour leurs convictions et non pas pour une volonté de destruction à son encontre. Néanmoins, il ne pouvait partir en salle de contrôle sans avoir vu ses sujets, ses adorables petits rats de laboratoire.

Deux portes battantes s’ouvrirent, libérant un homme, une femme et une cacophonie assourdissante. Chacun d’eux poussaient un parc à roulettes contenant dix enfants en combinaison. Il y avait les oranges, les abandonnés, et les verts, ceux qui avaient été chérit. Qu’importait leur couleur, tous participaient à la cascade de bruits : cris, pleurs, rires, babillements … Léo sourit en les voyant si vivants et fut rassuré sur le choix qu’il avait commandé. Après un dernier signe de tête envers les deux opérateurs, il tourna le dos au vaisseau ainsi qu’aux préparatifs et fila en direction de la tour de contrôle. Il décidait délibérément de laisser la fin des préparatifs aux mains de ses salariés, plus amusé qu’inquiet.

 

Personne ne vint aider les pauvres bougres lorsqu’ils durent pousser leur lourd chargement sur la rampe d’accès. Les rares qui soutenaient le projet étaient trop terrifiés pour oser bouger. La tension était à son paroxysme. Qu’est-ce qui retenaient ces hommes et ces femmes malgré leur haine ? Leur instinct et leur raison voulaient réagir, prendre le pas sur l’inertie qui s’était emparé des corps. Pourtant tous restèrent immobiles, à l’exception de leurs yeux, seule fenêtre sur leurs idées. Cette curiosité maladivement humaine en était-elle la cause ?

Une fois leurs tâches accomplies, les deux opérateurs sortirent et fermèrent derrière eux l’unique entrée. Le claquement de la porte se répercuta en écho dans l’ensemble du bâtiment. Le vaisseau était scellé.

 

La masse d’employés sembla de nouveau s’animer et entreprit de préparer la sortie. Les gestes étaient automatiques, les bouches de nouveau closes. Les portes coulissantes du hangar furent ouvertes avec la lenteur de l’indécision et du dilemme. Certains pensaient avoir encore le choix mais cet espoir mourut aussi vite que leur révolte silencieuse. Inexorablement, la fusée sortit de son cocon.

 

Du haut de sa tour de contrôle, aussi calme d’un désert, Léo surplombait le tarmac. Des barrières de sécurité avaient été installées pour maintenir le flot de manifestants, unis contre lui. Il y avait des écologistes, des humanistes, des pacifistes, des politiques et encore d’autres anonymes sans étiquette. Aucun enfant revendicatif ne se trouvait dans la foule et pourtant c’étaient bien les seuls que le scientifique aurait écouté. Les autres avaient foncièrement tort en arguant parler en leur nom.

Il contempla avec une admiration non dissimulée sa fière création étincelant au soleil. Elle pointait son nez rouge vers le ciel avec orgueil et le reste du fuselage semblait retomber avec grâce. Sa fusée était la plus belle des robes de conte de fée et, dans son histoire, nul coup de minuit la transformerait en citrouille. Lorsqu’il allait presser le bouton or face à lui, il deviendrait immortel.

Avant cela, il bascula sur le canal vidéo qu’il avait prit soin de relier à un écran géant pour que les mortels puissent observer, comme s’ils voyaient par ses yeux. Qu’importe si nulle lueur de compréhension ne venait éclairer leur esprit étriqué, ils auraient vus. L’image des bébés apparut alors, installés dans leur lit personnel, attachés et entourés par des robots multicolores. Tous, sans exception, pleurait à chaudes larmes. Leur visage était rouge, bouffis par l’angoisse et la fatigue d’hurler sans réponse. Ceux qui pouvaient parler articulaient et jetaient des mots autour d’eux. Leurs phrases rebondissaient contre l’acier en vain. Certainement appelaient-ils leur mère, leur père ou encore une myriade d’autres noms qui n’auraient de toute façon pas ému Léo. La foule était en délire face à ce spectacle, elle se jetait contre les barrières et les agents de sécurité ne répondaient que tièdement. Ils hésitaient, eux aussi. Léo rit sous cape. Ils n’étaient pas assez nombreux pour contenir une foule vraiment enragée et ils le savaient. Narquois, Léo jaugea cette masse de fourmis qui, inconsciemment, cherchait la lumière auprès de lui.

 

La fusée était seule sur la piste de décollage et un gigantesque chronomètre avait remplacé les visages juvéniles. Les mains de Léo tremblaient à mesure que ses doigts boudinés approchaient du bouton d’or.

Plus que quelques secondes …

La foule hurlait et se lamentait.

Lui n’était accompagné que par le silence, son fidèle compagnon.

 

Il pressa le rond de plastique et celui-ci s’enfonça avec une douceur lancinante qui fascina l’homme. Les cylindres latéraux de la fusée s’ouvrirent, laissant apparaître quatre espaces vitrés de plusieurs mètres de haut. Tous les êtres humains présents dans un rayon d’un kilomètre hoquetèrent de surprise. Sous leurs yeux écarquillés voletaient des millions de papillons, véritable arc-en-ciel en explosion. Une fumée verte claire, plus légère qu’un nuage, remplit peu à peu les caissons faisant momentanément disparaître les insectes. Une fois évacuée, ils se mirent subitement à battre frénétiquement des ailes, faisant vibrer les parois de verre sous la pression. La fusée trembla. La foule glapit et se dispersa plus vite qu’une nuée de moineaux affolés. Léo sourit en coin.

– Le battement d’ailes d’un papillon est capable de créer un ouragan à l’autre bout du globe …

Il avait réussit le tour de force de rendre réelle une expression millénaire.

 

L’acier s’éleva dans un bruissement doux, s’éloignant de plus en plus d’une humanité estomaquée.

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