Challenge d’écriture n°40 – Atorgael


Atorgael
15.4/20 ?????
1er

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Bouquet final

Cette journée promettait d’être belle, comme tous les ans, les habitants de la Cité Impériale se préparaient pour la fête.

Cette journée, mémorable entre toutes, devait fêter les cent-vingt ans de règne de l’impératrice Al’Cia, dernière héritière de la dynastie Sfa’Nef.

Cette journée qui voyait son soleil commencer à décliner sur l’horizon n’aurait pu être plus triste. Âgée de cent cinquante deux ans, l’impératrice absolue des vingt-sept planètes réparties autour de neuf étoiles de la galaxie s’éteignait doucement dans son palais.

La dégénérescence nécrotique avait fini par avoir le dessus après les nombreuses opérations de Réjuvence dont avait bénéficié l’impératrice. Mais quand dix ans auparavant il s’était révélé impossible de pratiquer une énième opération, le long deuil avait commencé. Les dix précédentes commémorations avaient été de plus en plus somptueuses, cette dernière promettait d’être inoubliable, une apothéose. Le peuple était prêt à accepter le départ de leur régente et, si sur les mondes les plus éloignés certains s’en réjouissaient ouvertement, les cinq millions d’habitants privilégiés de la Cité Impériale vivaient ces instants de manière bien plus intense en une triste communion avec leur impératrice.

Les préparatifs avaient débuté depuis cent vingt jours, et chaque jour, autant de bouquets avaient été portés au palais. Les abords de la grande avenue en étaient devenus impraticables, les compositions et plantes exotiques, parfois importées d’autres mondes à grands frais, occupaient chaque mètre carré. Les citoyens voulaient ainsi montrer toute la ferveur et l’admiration qu’ils portaient à leur impératrice pour ses derniers jours.

Dans son grand lit monté sur des systèmes d’anti-gravité, Al’Cia pouvait assister au ballet de ses concitoyens et pouvait mesurer tout l’amour d’un peuple qui n’avait connu qu’une seule figure impériale, l’élevant de fait à un statut quasi-divin. Les opérations de Réjuvence étaient très couteuses et seules quelques personnes importantes ou très méritantes pouvaient en bénéficier. Et même parmi ces élites, seul le seigneur suprême des vingt-sept mondes pouvait en profiter de nombreuses fois, tant que son organisme supportait les traumatismes des multiples opérations nécessaires.

Ainsi, Al’Cia était seule, ses époux et enfants partis depuis bien longtemps, ne lui restait de famille qu’une kyrielle de petits-enfants et d’arrière-petits-enfants dont elle ne s’était jamais occupée. La gouvernance de son empire était bien plus intéressante et importante pour elle. En ce jour cependant, ils étaient tous là, réunis dans le palais ainsi qu’elle l’avait souhaité. Ils avaient tous accouru avec femmes, enfants, bagages et serviteurs, et il plaisait à Al’Cia qu’il en fut ainsi. Elle les avait reçu tous, un à un, défilé interminable de banalités et de bons vœux hypocrites. Chacun cherchait un signe, une indication qui lui aurait donné les faveurs de l’impératrice lui permettant de poser ses prétentions afin de monter sur le trône, mais aucun n’avait eu cet insigne honneur.

Au fond de ce grand lit qu’elle ne quittait plus depuis une année entière, Al’Cia trônait au milieu de dizaines de coussins et d’oreillers à l’image vivante d’un ange posé sur un champ de nuages. Les traits de l’impératrice étaient doux, les ans n’avaient pu y graver leurs rides même après la dernière opération. Ses yeux pétillaient toujours de malice et d’intelligence même si parfois un voile de tristesse venait obscurcir son regard. Il était alors temps pour les visiteurs de partir, raccompagnés par le premier consul Met’Ron, dernier conseiller à pouvoir encore approcher l’impératrice dans son intimité.

***

Met’Ron regardait le soleil se coucher à l’horizon, gros rubis posé sur les toits de cristal de la cité. Il ne se lassait pas de ce spectacle. Derrière lui, l’impératrice dormait, il pensa alors que cela aurait pu être la dernière occasion pour qu’elle puisse admirer ce spectacle. Selon les derniers rapports médicaux, il s’en fallait de quelques jours, voire de quelques heures avant que l’issue fatale ne plonge l’empire dans le deuil.

Met’Ron avait été celui qui lui avait annoncé la nouvelle qu’une opération n’était pas possible, un jour qui resterait dans sa mémoire pour toujours. Al’Cia avait d’abord protesté, s’était violemment révoltée avant de tomber dans de longues semaines de silence et de prostration. Certains opposants avaient alors tenté de profiter de la situation et annoncé leur séparation de l’empire. Mais Al’Cia était une femme forte et sortie de son mutisme, elle reprit les rênes de l’empire et châtia durement les sécessionnistes. Les troupes impériales n’étaient pas connues pour leur clémence.

« C’est beau, n’est-ce pas ? »

Tout à ses pensées, Met’Ron n’avait pas remarqué que l’impératrice s’était réveillée.

« Oui, c’est magnifique. Comment vous sentez-vous ?

– On ne peut plus mal mon cher Met’Ron, lui répondit-elle avec une petite grimace, mais ce n’est pas une surprise. Je pense que mon heure est proche, en fait je sais que ne verrai pas la fin des festivités.

– Ne dites pas cela, vous êtes encore forte.

– Non Met’Ron, je sais ce que je dis, l’aube se lèvera sur mon cadavre. Mais assez parlé de cela, lis-moi quelques messages de mes fidèles gouverneurs. J’imagine qu’ils ont été nombreux à me souhaiter un long règne !

– En effet excellence, tous vous transmettent leurs bons vœux de rétablissement et leurs loyaux souvenirs, ils expriment leurs joie de vous revoir bientôt dans leurs palais.

– Même ce fourbe de Mot’Uel ? En voila un qui ne doit pas me survivre, fais envoyer une compagnie de pacification sur sa planète, qu’ils y annoncent ma mort et prononcent celle de ce traitre. »

D’une main tremblante, Met’Ron activa les protocoles, ils furent activés et confirmés quelques millisecondes plus tard par l’impératrice. Dans quelques heures, une compagnie allait débarquer sur le palais de Mot’Uel et exécuter le gouverneur. Mal à l’aise, le premier consul n’en continua pas moins de donner des nouvelles des différents mondes de l’empire mais Al’Cia semblait n’écouter que d’une oreille distraite. Parfois son regard se rallumait à l’évocation d’un nom, mais, au grand soulagement de Met’Ron, aucune autre compagnie de pacification ne fut envoyée.

« Vous semblez distraite votre altesse, avez-vous mal, puis-je vous soulager ?

– Non mon bon Met’Ron, je pensais juste à mon dernier époux. Sais-tu que ce fut sans doute le seul que j’ai vraiment aimé ? »

Met’Ron n’eut pas à répondre, Al’Cia était déjà repartie dans sa rêverie. Bien sûr qu’il se rappelait de ce dernier époux, Ska’Rit, un homme de savoir qui avait fait régner une époque de culture sur toute la cité pendant toutes les années qu’il avait passé aux côtés d’Al’Cia. Son décès accidentel bien trop subit avait, selon les médecins, provoqué une fracture psychologique chez l’impératrice et était sans doute à l’origine de l’impossibilité de pratiquer l’opération de Réjuvence.

« Sais-tu pourquoi je pensais à lui ? reprit Al’Cia sans laisser le temps à Met’Ron de répondre, je pensais à ces antiques rois qui, à leurs enterrements, étaient accompagnés de tous leurs serviteurs dans leurs tombes pyramidales. Tu connais cette légende j’imagine ?

– En effet majesté, mais pourquoi penser à cela en ce jour de fête ?

– J’aurais aimé que Ska’Rit m’accompagne de cette manière dans mon long chemin vers la mort, je me rends compte aujourd’hui que je n’aurais pas dû le faire exécuter. »

Met’Ron se figea, incapable de répondre il tentait d’assimiler la dernière phrase de l’impératrice.

« Ne fais pas cette tête, il commençait à m’ennuyer avec ses grands airs de professeur, ils ont tous fini par m’ennuyer. Heureusement que tu es là toi.

– Je …, j’ai peur de ne pas comprendre votre majesté.

– Mais bien sûr que si tu comprends, tu ne serais pas mon premier consul s’il en était autrement. Tu es mon dernier fidèle ami, tu mérites cet honneur. Reste dans cette chambre jusqu’à mon dernier souffle et nous partirons ensemble dans la nuit éternelle.

– Je me ferai un devoir de vous accompagner mais…

– Rassure-toi, ce sera sans douleur, j’y ai veillé. »

Dehors, les premières fusées montaient haut dans le ciel au-dessus de la cité, bientôt elles éclatèrent en de multiples fleurs colorées ; le spectacle commençait.

« Voilà, c’est parti, adieu mon peuple, adieu Met’Ron, tu aurais fait un époux très convenable.

– Merci vote majesté, je suis très sensible à cet honneur, mais je ne comprends toujours pas et je commence à m’inquiéter pour…

– Tu veux donc que je te le dise de vive voix, alors écoute : Vois-tu ces feux d’artifices, ils sont superbes, jamais un tel spectacle fut donné. Admire ces motifs qui se dessinent en gerbes de couleurs toutes plus extraordinaires les unes que les autres. Vois ensuite les fumées qui se dégagent et participent à la composition suivante. Ces artificiers sont de véritables génies, je suis heureuse que leur dernière œuvre soit pour moi. Ces fumées contiennent un gaz neurotoxique qui va paralyser, asphyxier et tuer toutes les personnes qui les respireront ou dont la peau aura été exposée au contact du gaz. Dans quelques heures, cette cité sera un tombeau très comparable à ceux de ces antiques rois et leurs pyramides. Qu’en penses-tu Met’Ron ?

– J’en dis votre altesse que je dois me retirer et vous laisser afin …

– Vas Met’Ron, vas te préparer pour notre prochain voyage, je t’attendrai ici. »

Paniqué, le premier consul sorti de la chambre de l’impératrice Al’Cia, oubliant tout protocole et toute dignité, sa régente avait perdu la tête, comment avait-il pu ne pas s’en apercevoir ? Il devait contacter quelqu’un dehors, faire arrêter ce délire. Mais tous les canaux étaient muets, plus personne ne répondait. Il sut qu’il était trop tard.

Avec un peu de chance il parviendrait peut-être à se réfugier dans les bunkers du palais, il se mit à courir.

***

Au-dessus de la cité, la dernière salve commença son ballet. Autour du palais des dizaines de fusées jaillirent dans le ciel pour former une couronne de lumière assortie de joyaux écarlates à l’image de la couronne impériale. Une composition parfaite que personne ne vit, le nuage toxique avait fini son œuvre.

Les derniers feux d’artifice illuminèrent les toits de la ville encore un instant avant que la nuit ne reprenne ses droits.

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