Challenge d'écriture n°30 – Texte n°4

J. Manson

Princesse d’Orient

Le cri d’un faucon déchira le ciel bleu sans nuage. Le jour commençait à décliner et la luminosité s’estompait. Vu du ciel, les dunes s’étiraient à perte de vu. L’oiseau avait majestueusement déployé son envergure et planait, se laissant porter par les vents du désert à la recherche de sa nourriture. Soudain, l’animal réduit la flèche de ses ailes et se mit à piquer. Un mouvement inhabituel se refléta sur les iris jaunes du chasseur. Il disparut derrière une haute dune d’où émergea l’objet de toute cette agitation.

Les naseaux du jeune poulain crachaient un souffle puissant et régulier au rythme de ses enjambées endiablées et maladroites. A plusieurs reprises, le cheval inexpérimenté manqua de chuter et d’entraîner avec lui son étrange cavalière. Malgré tout, l’animal semblait voler au triple galop au-dessus des dunes du désert. La jeune fille qui chevauchait cette monture frénétique se cramponnait tant bien que mal au crin ébouriffé de l’animal déchaîné. Elle faisait preuve d’une dextérité impressionnante n’ayant ni selle ni rennes pour se maintenir sur le dos de cette étoile filante.
D’un bond gigantesque, cavalière et monture franchirent les contreforts rocheux qui protégeaient l’oasis. À l’ombre des palmiers, le reflet de cette course se dessina un instant à la surface de la petite retenue d’eau. L’éclat d’habitude si pur de cette eau de source était aujourd’hui terni par un rouge sombre qui refusait obstinément de se mélanger et s’étirait en de petites volutes sinueuses. Sans même y prendre garde, l’équipage obliqua vers le Nord et prit la direction de la fumée.

Ils ne mirent pas longtemps à rencontrer la mort. Un premier corps sans tête gisait sur le sable. La silhouette sembla vaguement familière à la cavalière, mais elle passa son chemin et continua jusqu’aux fumées qui s’élevaient au loin.

Le cœur chancelant, elle sauta de cheval et se mit à arpenter les allées désertes de son campement en proie aux flammes. Chacune de ces tentes qui brulaient représentaient des souvenirs et des personnes qu’elle connaissait. Sous ses yeux impuissants, le monde qu’elle connaissait depuis sa naissance s’évaporait impitoyablement vers le ciel en une fumée noire. Ses pas le menèrent vers ce qui fut sa demeure familiale. Les craquements du brasier le firent sursauter. S’imaginant qu’il pouvait rester encore des survivants dans cet enfer, il se mit à appeler frénétiquement les noms des siens. Mais aucun son autre que les appels du feu ravageur ne s’éleva pour lui répondre. La terreur de se voir ainsi seule et abandonnée la submergea. Sans autre forme de réflexion, elle se précipita vers le puis du village et, se saisissant d’un seau, elle entreprit d’éteindre les incendies qui dévoraient ce qu’elle refusait de ne voir plus que comme des souvenirs.
Frénétiquement, elle s’agita contre la folie qui la gagnait immanquablement. Mais tout comme les flammes qui se jouaient de ses tentatives désespérées, son esprit se laissa peu à peu engloutir par cette mélancolie et ce vide qu’elle éprouvait à présent. A mesure, ses efforts se firent moins frénétiques. Son corps voulut encore lutter, mais sa raison avait déjà renoncé. À sa dernière rotation, elle se laissa tomber à quatre pattes dans le sable. Elle observa de longues minutes ses mains disparaître sous le sable, incapable de lever la tête et de regarder le feu tout puissant immoler les restes de sa vie.

Son raison était sur le point de sombrer totalement dans un renoncement morbide quand le cri du faucon la tira de sa douce torpeur. Elle leva les yeux vers cet appel et eut une apparition magnifique. Sa jeune monture avait fui les flammes et s’était réfugiée au sommet d’une dune. L’animal fourbu était la dernière chose qui le rattachait encore à son ancienne vie qui s’étiolait en fumée autour d’elle.

Machinalement, elle le rejoignit essayant de ne pas croiser les regards vidés de leurs substances des tous ses morts bien trop familiers. Marchant comme un zombie, elle s’engagea dans désert. Le sable se colla à ses pieds à chacun de ses pas, comme s’il voulait l’engloutir. Elle ferma alors les yeux, laissant le soleil bruler sa peau et ses souvenirs la submerger.

Ce fut d’abord le bruit si caractéristique des sabots qui frappent le sol qui s’imprima dans son rêve éveillé. Le bruit d’un seul cheval, comme quand son père l’emmenait chasser. Puis d’autres martèlements d’équidés se joignirent au premier alors que les meilleurs cavaliers du village se livraient à leur course annuelle qui désignait le champion de l’année. La fureur des cris d’encouragement se fit entendre et résonna dans sa tête. Elle se laissa bercer par l’adrénaline de son premier galop au milieu de cette meute frénétique. Le bruit était assourdissant et l’enjeu enivrant. Alors, ce fut la poussière soulevée par des centaines de chevaux lancés au galop qui emplit ses narines. L’odeur de leur transpiration mélangée aux poils courts des montures s’insinua doucement en elle. Un étrange sentiment de plénitude l’envahit complètement. Toute tristesse semblait avoir fuit devant la majesté de cette vision. Elle prit alors une grande inspiration et ouvrit les yeux.

La réalité se télescopa alors avec ses souvenirs. À une centaine de mètres devant elle, s’étirait le plus beau spectacle que sa courte vie ne lui avait jamais offert. Dans un panache extraordinaire de sable et de fureur, des centaines de cavaliers galopaient vers elle. Elle n’en avait jamais vu autant en une seule chevauchée. Comme dans sa vision, le sol tremblait de se voir ainsi martyrisé par d’innombrables fers. Alors, elle se laissa tomber à genou et écarta les bras, s’offrant totalement corps et âme à cette apparition divine. Elle n’avait plus peur. Le destin, qui, il y a quelques instants à peine, lui avait pris sa vie, la lui rendait au centuple à présent.

Lorsque cette chevauchée fantastique l’atteignit enfin, elle put sentir le souffle des chevaux sur son visage. Le rythme des galops fit battre son cœur encore plus vite. Ses yeux s’emplirent de larmes sous l’effet de la poussière soulevée. Le premier animal ne l’effleura que de quelques heureux centimètres. Le bruit assourdissant de ses pattes labourant le sol emplit ses oreilles. C’était magnifique.

Alors, un terrible choc la souleva de terre tandis qu’elle se faisait happée par cette masse prodigieuse. Elle se sentit s’élever un instant dans les airs, mais une force brutale la ramena sur le dos d’une de ces montures de l’apocalypse, la déposant entre l’encolure du cou d’un impressionnant cheval gris et son cavalier drapé de bleu. L’homme prononça alors ces paroles :

« Ne t’inquiète pas Princesse d’Orient, nous vengerons ta famille et les extermineront jusqu’au dernier ! Je t’en fais la promesse solennelle ! »

Mais, la jeune fille n’entendit rien de ces paroles. Elle hurlait à s’en faire exploser les poumons, noyant ses cris dans le chaos de son rêve.

Au loin, un jeune poulain lui répondit en hennissant puissamment et se cabrant dans le soleil couchant avant de se joindre à la chevauchée des terribles cavaliers de l’Orient qui partaient sur les sentiers de la guerre. Le faucon suivi un instant la furie des cavaliers avant de faire demi tour et de se joindre au balai des charognards qui déjà se repaissaient des restes du carnage.

La jeune fille fut tirée de son sommeil difficile par les cris des hommes. Lorsqu’elle tira l’étoffe qui fermait l’entrée de la tente, le soleil l’éblouit pendant quelques secondes. Ses yeux mirent quelques minutes à s’adapter enfin à la luminosité. Elle constata alors que les hommes en bleu qui l’avaient recueillit avaient formé une sorte de couloir qui menait vers l’enclot des chevaux. Ils portaient tous ces fameuses longues tuniques qui ne laissaient voir que leurs yeux, des yeux noirs et durs. Son cœur s’accéléra alors qu’elle parcourut les derniers mètres qui la menaient sur les lieux de son initiation.

Une vingtaine de cavaliers l’y attendait. Ils formaient une sorte de cercle où leurs longues épées courbes luisaient au soleil. La jeune orpheline fut introduite au milieu. Comme le veut la tradition, elle fut débarrassée de la longue tunique qu’elle portait. Elle accueillit ce geste avec un frisson, sentant l’odeur de la peur monter en elle à mesure que le souffle du vent caressait sa peau à demi-nue. On lui tendit une épée alors qu’un autre personnage fut poussé dans le cercle initiatique. Il était pieds et poings liés. Le long manteau déchiré qu’il portait dissimulait son apparence. Rapidement, on fit tomber l’étoffe. Elle dissimulait un de ses brigands qui arpentaient le désert pour tuer et piller. Il fut agenouillé sans ménagement, le forçant au respect devant l’enfant qui se tenait devant lui. D’un coup sec, elle lui trancha les liens qui le maintenaient captif. Toujours selon la tradition, une épée lui fut lancée. Portant son regard sur la jeune fille qui le défiait, il crut trouver dans la jeunesse de son adversaire une issue facile. Il se jeta sur elle, l’épée en avant.
Le duel fut court et inégale. La dextérité de son adversaire fut telle que l’homme fut foudroyé en quelques instants. La coutume fut ensuite respectée.

Le sang de sa première victime fut répandu sur ses épaules, ses cuisses, son ventre et son dos. Posant un genou à terre, elle prononça les mots de ses ancêtres. Mais, une chose sombre monta en elle alors qu’elle prononçait ses paroles. Quelque chose de terrifiant et d’enivrant à la fois. Un sentiment de violence primaire l’envahit alors que de sa bouche sortaient les dernières syllabes de son serment envers le désert.

Elle marqua alors une courte pause qui glaça son auditoire. Elle ferma les yeux un instant, se laissant inonder par ce monstre qui la dévorait. Lorsqu’elle les rouvrit, ils se mirent à brûler d’une lueur intense que seuls les guerriers ou les fous peuvent avoir. Elle leva son épée encore maculé vers le ciel et ne cria qu’un seul mot qui fut repris à l’unisson par tous les guerriers de la tribu :

« Vengeance ! »

C’est ainsi que la légende de la Guerrière de l’Orient débuta, dans le sang de la vengeance.

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