Challenge d’écriture n°33 – Texte n°9

Son of Khaine

« Cet endroit pue la Mort ».

Les mots s’échappent de mes lèves fermées, retentissent dans le creux de mes oreilles, se répandent dans mon crâne, rebondissent sur mon âme imperméable. Déjà, je m’élance vers l’obscurité du couloir qui me fait face, voilé dans un sombre drap de mystère – ou presque. Ces pierres, ces vieilles pierres grisâtres, je les connais : je sais par coeur les jeux auxquels s’adonnent la pénombre sur leurs arrêtes, les zones que s’octroie la mousse verdâtre, les jonctions capricieuses où les traîtres interstices prennent place comme des lézards au soleil.

Ces sous-sols, à vrai dire, je les ai déjà visités. A deux reprises, peut-être davantage. Tout dépend de la perspective adoptée, tant à propos des sous-sols que de moi. L’angle de vue change tout, mais certaines choses ne peuvent se prendre que dans un seul sens, et cet édifice en fait partie.

Le temps de penser à ceci, et je suis parvenu à l’échelle en bois vermoulu qui mène à l’étage inférieur. Coup de chance. Enfin presque – disons que j’ai appris à m’arranger avec le destin. Je dévale les barreaux, cligne des yeux pour m’habituer à la faible luminosité, et voilà que mes pieds touchent déjà le dallage, qu’ils martèlent aussitôt.

Je cours.

Le cuir noir de requin frotte ma peau parcheminée avant l’âge, que nul être foulant encore ce monde n’a jamais aperçue, que nul oeil encore entouré de paupières, encore pourvu de cils, n’a jamais effleurée, que tout cerveau baignant encore dans un liquide, logé encore dans une boîte crânienne, parcouru encore par l’étincelle de la vie, n’a jamais pu qu’imaginer. Avec une exception pour le liquide.

Face à moi, quelques misérables esclaves de l’Enfer, inconscients de leur condition – les miracles de la sous-traitance. Avant même de les percevoir, que ce soit par le biais de leur odeur caractéristique de sueur rance, des accents inoubliables de leur langue inhumaine ou de l’éclat terne de leurs sabres rouillés, j’ai conscience qu’ils m’ont repéré. Ils me prennent pour une proie facile, un vieillard apeuré, désarmé, poursuivi par une horde de mes semblables servant la même maîtresse maléfique qu’eux.

Ils se trompent. Lourdement. La dernière erreur de leur pitoyable existence en ce monde, mais la plus profitable pour eux. J’ai toujours eu un grand respect pour cette race si méconnue, si méprisée, et parfois crainte à présent. Il est temps de les délivrer de leurs chaînes.

Je m’arrête d’un seul coup et reviens sur mes pas. Ils me poursuivent en criant de joie, sûrs de leur victoire et désireux de profiter de mon cadavre avec les tas d’ossements animés. Ceux-ci me dépassent. Surprise…

Les boules d’énergie de mes mages fusent alors que je murmure quelques mots de pouvoir oubliés. Bon, c’est surtout pour le style. L’effroi est un effort de chaque instant. Dans un vent de chaleur, mon golem de feu prend forme au milieu du petit groupe, achevant d’y semer la mort. Les fléaux de mes squelettes la récoltent sans plus tarder, poursuivant les fuyards jusqu’à ce que leurs corps gisent pèle-mêle contre le sol poussiéreux, qu’un flot de sang abreuve avant de se tarir en une mare boueuse.

Je dévale les degrés pour arriver au niveau suivant. L’histoire se répète, la difficulté étant quelque peu corsée par des adversaires un peu plus consistants. Rien qui puisse réellement m’inquiéter : j’en profite même pour me faire accompagner de l’ombre d’une poignée d’hommes-boucs. Il faut tout de même avouer que les démons et les sorciers corrompus ne se font pas chier, c’est d’un autre standing que les squelettes, ces trucs. Mais se contenter de faire bouger des pantins d’os par sa simple volonté est quand même plus réglo pour un type censé étudier et faire respecter la cycle de la vie. Dommage.

Mine de rien, être nécromancien n’est pas une partie de plaisir tous les jours. Les gens ne nous comprennent pas, nous confondent avec ces putains de tarés qui traficotent avec l’Enfer, nous imputent les morts sans repos qui hantent les tombes d’un bout du monde à l’autre… et parfois ça démange de leur donner raison. Mais c’est mon destin, et je l’accepte. De toute façon, rien ne n’empêchera, le jour où j’en aurai assez, de quitter cette vie pour tout recommencer.

J’arrive, au fond des fondations de la tour, à mon but. Comme toutes les fois précédentes, mes marionnettes et moi y faisons place nette pendant que je remplis ma bourse. A nouveau, je parviens dans la pièce où fut emmurée vive la Comtesse maléfique. A nouveau, je la punis de ses crimes et trouve son trésor caché.

Les runes. Enfin. Qu’importe l’or ! Presque. Mais ces pierres gravées valent davantage que des poignées de métal jaune. Par chance – et cette fois, je suis impuissant à intervenir – une partie de ce que je cherche se trouve au milieu du tas. Plus qu’une, et le Mot sera à ma disposition. Je trouverai bien un moyen de me la procurer.

***** VOUS AVEZ ETE EXCLU POUR USAGE DE PROGRAMME NON-AUTORISE *****

Putain, les enculés ! Mon sélecteur de map. Bande de raclures de merde. Si j’ai perdu mon Eth, ils vont le sentir passer. Quand je pense à tous les gros cheaters qui s’en tirent !

Je reprends mes esprits. J’ai pété ma chaise contre un mur. Tant pis, je jouerai sur mon lit. Plus confortable, de toute façon.

Bon, j’ai une heure à tuer avant de repartir killer du mob avec mon palouf lightning. La nuit vient de tomber, et j’ai une bonne grosse dalle. Combien de jours que j’ai rien bouffé ? Je sais plus. Autant en profiter pour aller me péter le bide.

Je quitte le jeu, me déconnecte d’aMSN et mets ma machine en veille. Je me dirige vers mes baskets, me ravise, enfile d’abord un jean usé par-dessus mon calebard. Après avoir fermé ma porte à clé, je dévale les escaliers. Direction McDo.

Rien ne vaut le sang d’un célib obèse qui se bouffe un Maxi Best Of à dîner.

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