Challenge d'écriture n°28 – Texte n°2

Pouanaïs

“Et pourquoi est-ce que je ne devrais pas y aller, donne moi une seule bonne raison?”

Samantha avait passé des heures dans la salle de bain à se peinturlurer, à perfectionner son accoutrement, à fignoler sa coiffure et voilà que, maintenant qu’elle ressemblait à une poupée russe, sa mère s’en mêlait.
Elle avait pourtant pris son regard de chien battu, et d’habitude elle y arrivait particulièrement bien, mais là plus rien ne faisait effet.
“Une seule raison..?” implora-t-elle. Elle baissa la tête pour accompagner sa parole et un flot de bouclettes blondes pailletées se déversa sur son visage comme autant de vers affolés.
Sa mère lui tourna les talons sans rien répondre, et elle vit s’éloigner ses gros mollets agencés sur des pantoufles informes. C’était de mauvais augure.

Cette fois pourtant, elle était sure que sa mère céderait ! Samantha avait 17 ans, elle était PRESQUE MAJEURE et hier elle avait passé le bac de Français. Elle avait travaillé TOUTE L’ANNEE pour ça… n’avait-elle pas le droit de s’amuser enfin un peu?

Elle trouvait ça injuste, TROP injuste. Mais elle ne pouvait pas pleurer, cela aurait gâché son maquillage. Teint d’albâtre, bouche pulpeuse, yeux fardés… elle avait même pensé à la poudre d’étoile dans son décolleté. Ce soir, elle avait tout fait pour lui plaire.

Alexis….

La nuit tombée, Samantha se faufila dans le couloir et ferma la porte derrière elle sans faire de bruit. Ouf, ni vue, ni connue… Elle s’arrêta respirer un instant contre le mur de l’immeuble.
« Ben M’zelle, vous vous cachez? » Elle sursauta. Un type louche était planté entre les poubelles. Elle partit à grandes enjambées, mais le type velu la suivait sans peine tant ses jambes étaient grandes « ben tu peux répondre, je te fais peur? »
Son sourire découvrit de grandes dents jaunes. « Non non ». Elle continua de plus belle et sema le type. Dans sa tête, il n’y avait qu’un objectif : Alexis.

Alexis, si beau
Alexis, si classe
Alexis, si sympa
Alexis, qu’elle aimait…

Malgré tout, ses pieds commençaient à lui faire mal : la fête n’était pas la porte à côté, c’était chez les parents de Bob. Si seulement sa mère l’avait emmenée en voiture…

Ah, Alexis… Alexis, lui, avait son permis, et une belle voiture rouge !

Un groupe de jeunes se retourna sur son passage. Samantha ne les remarqua même pas. Et pourtant c’étaient plutôt de beaux minets, costards-cravates et cheveux gominés. Leurs canines pointèrent lorsqu’ils reluquèrent son décolleté scintillant. Puis le flottement de sa jupette derrière elle leur apporta des frissons de plaisir.

Samantha fila jusque chez Bob. Elle arriva à la soirée les pieds en sang, mais plus rayonnante que jamais.
« Bonsoir Samantha!
-Bonsoir ! Alexis est là?
-Euh, oui bien sûr, dans le salon. »

Alexis était bien là ! Le salon grouillait de monde, mais elle ne vit que Lui. Grand, blond, les yeux bleus légèrement rapprochés, il discutait avec tout le monde et roulait légèrement des mécaniques. Un peloton de groupies restait aggloméré à lui où qu’il aille, et s’esclaffait à la moindre blague.

Pour traverser cette nuée de jeunes filles, Samantha avait besoin de courage. Elle crut le trouver au fond d’un gobelet de whisky-coca… puis d’un second. Au bout du second, elle hésita, elle croisa le regard d’Alexis, puis se dit qu’un troisième serait nécessaire. Quand elle commença à voir sérieusement trouble et que le salon tournait autour d’elle, elle posa le gobelet vide parmi ses nombreux congénères et elle prit son courage à deux mains. Mais où était-il? Alexis avait disparu !

Ne le trouvant pas dans la maison, Samantha sortit dans le jardin et là, elle aperçut le pire : Alexis trempait sa langue dans le gosier de Charlotte, une camarade de classe. Samantha demeura un instant figée à regarder ce spectacle de chair qui se laissait pétrir par l’homme de sa vie. C’en était trop pour elle! Elle partit en courant.

Ravalant sa colère et son désespoir, Samantha tenta de faire le tour du pâté de maison pour calmer ses nerfs, mais elle y renonça vite, car un nombre affolant de couples jonchait la pelouse, et dans cette obscurité elle ne parvenait pas à tous les éviter : de la chair, partout de la chair en ébullition ! Et son cœur, brisé en quelques minutes !
Alexis… Alexis… mais pourquoi en était-elle arrivée là… ?

Alors Samantha décida de partir seule dans la nuit.

Dans les rues désertes, elle laissait libre cours à ses larmes. Elle n’était pas sortie de la rue Saint Jacques que ses yeux noirs avaient déjà dégouliné jusqu’au menton, la faisait ressembler à un pitoyable clown triste. Ses sanglots résonnaient dans la ville endormie.

C’est alors que les buveurs de sang arrivèrent, affamés par tant de désespoir.
« Hey ma jolie! Tu t’es perdue? » soufflèrent-ils en la frôlant. Samantha se sentit toute piteuse, couverte de larmes, entourée de tous ces gentlemen.
« Si tu veux, on te paie un coup, ça te remontera le moral…? »
Elle but un monaco au beau milieu de ces charmants jeunes hommes, qui lui susurraient des mots doux à l’oreille.
Alexis? Il n’existait plus. Samantha n’avait d’yeux que pour Lucien, le beau brun ténébreux assis à côté d’elle.

Lucien ! Lucien !

Et Lucien n’était pas comme Alexis : il ne se fit pas prier pour offrir à Samantha sa bouche vermeille. Dieu que c’était bon ! Samantha s’abandonna aux délices qu’on lui offrait si généreusement, glissant dans les bras de son bien-aimé. Le monde ne tournait plus qu’autour d’eux : Alexis, les parents de Samantha, et même les amis de Lucien, qui pourtant ne devaient pas être bien loin… plus rien de tout cela n’existait. Le bonheur semblait couler dans ses veines. Le temps s’arrêta.

+++

Samantha ! Samaaaaanthaaa !

Samantha se réveilla sous les cris de sa mère, encore toute engourdie de sa soirée de la veille, mais d’une humeur terriblement bonne. Elle souriait quand sa mère entra dans la chambre.

« Qu’est-ce qui te fait rire ? »

« Rien, rien, Maman, je suis juste de bonne humeur. »

« Bonne humeur ??? »

Elle s’arrêta, interloquée.

« Moi qui croyais que tu étais condamnée à te lever indéfiniment du pied gauche… ?
Et ben tant mieux, ma fille : tu vois que j’ai eu raison de t’interdire de sortir avec ces dégénérés hier soir…. »

Elle inspecta chaque recoin de la chambre de Samantha, visiblement étonnée de l’humeur de sa fille ce matin. Le plancher grinçait sous ses pas. Tout était impeccable, rien à redire à Samantha : elle avait même pensé à se démaquiller avant de se coucher. Incroyable !

« C’est vrai que tu as bien travaillé toute l’année, après tout… »

Elle hésitait, visiblement. Mme Sept n’était pas le genre de femme à faire des compliments, ni des cadeaux, que ce soit à sa fille ou à qui que ce soit.

« …Si tu veux, pour fêter la fin des examens, je t’emmène acheter les chaussures dont tu m’as parlé l’autre jour… ça te dit ? » lâcha-t-elle enfin.

« Ohhhh Maman ! C’est vrai ? Les chaussures à talons rouges de l’autre jour ? »

Le visage de Samantha s’était illuminé.

« Oui oui, bien sûr, si je te le dis… On y va ce matin si tu veux ? »

Samantha prit sa douche puis elle commença à se coiffer devant le miroir. Tout à coup, elle s’arrêta et passa la main à la base de son cou : une petite égratignure, comme la trace de deux seringues jumelles, se cachait dans le creux de son cou. Samantha sourit à son reflet puis elle reprit le brossage de sa crinière.

+++

Quand Samantha et sa mère sortirent de l’immeuble, le type louche de la veille était allongé entre les poubelles, sale et visiblement ivre.

« Hey, M’dame, vous devriez faire attention à votre fille ! On sait jamais qui traîne la nuit dans les rues… »

Elles l’ignorèrent et elles se dirigèrent bras dessus, bras dessous vers le magasin de chaussures.

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