Challenge d’écriture n°49 – Métatron


Métatron
11.8/20 ?????
4ème

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Open Space Invaders

Félio reposa le combinée d’un geste rageur.

« Cinquième appel de la matinée et toujours personne à Cayenne. »

Gervin, du bureau voisin, tourna à demi son fauteuil à roulette.

« Pareil de mon côté. Impossible de joindre les équipes de tests. Ils croient que les Joviens vont les attendre avant de bombarder ? »

Logam jaillit inopinément de son bureau. En tant que manager, il avait droit à un petit box en verre équipé de persiennes. Un luxe dans le vaste open space où l’intimité se faisait rare.

«Laisse-leur un mail, glissa-t-il à l’attention de Félio. S’il faut les secouer, ça permettra de savoir combien de temps nous sommes restés sans réponse. »

Conseil gratuit ou ordre déguisé ? Logam menait son équipe avec une douce fermeté. Et difficile à prendre en défaut avec ça. Sa mémoire et sa capacité de synthèse lui permettait de rebondir sur les sujets les plus divers. Une présence à la fois rassurante et pesante.

Une fois le chef disparu dans les méandres des bureaux, Félio se pencha vers Gervin.

« Tu crois qu’on s’en sortira ? »

Occupée à rédiger un compte-rendu, Gervin haussa un sourcil sans répondre.

« Je veux dire, notre bouclier atmosphérique… Et si on ne tenait pas les délais ? »

Son collègue frappa la touche entrée dans un claquement sonore et se renversa sur son siège.

« En matière de conduite de projet, l’incertain est toujours possible.

– Cette pression m’étouffe. Les généraux de la terre entière se rencontrent lundi prochain.

– Et ils décideront d’entrer en guerre ou pas.

– Ils ne peuvent déclarer la guerre aux joviens que si notre bouclier est opérationnel. »

Tirée hotta ses lunettes. Félio était un consultant apprécié au CV bien rempli. Cependant, son besoin d’être rassuré  le cantonnait au rôle d’adjoint. Gervin n’avait pas ce genre d’état d’âme.

« Nous serons prêts. Notre algorithme détecte les trajectoires les plus erratiques. Les nouveaux lasers de défense détruiront les missiles les plus perfectionnés avant même qu’ils atteignent la stratosphère. »

Félio se frictionna le visage comme pour se réveiller.

Voilà des mois qu’il ne dormait plus. Toute l’équipe subissait un stress insoutenable. Les vaisseaux joviens croisaient autour de la ceinture d’astéroïdes depuis deux ans, affichant une agressivité toujours plus inquiétante. Ils avaient réduit à néant les installations sur mars et détruits les stations minières. Les intentions de ces êtres ectoplasmiques restaient floues. Volonté hégémonique ? Quête de matières premières ? La Terre brulait d’en découdre, mais le risque d’un bombardement nucléaire depuis l’espace obligeait les faucons de guerre à tempérer leurs ardeurs. Le bouclier atmosphérique changerait la donne.

Voilà pourquoi les militaires qui menaient le projet imposaient des cadences infernales. L’échec n’était pas une option.

L’ordinateur de Félio blippa.

« Enfin ! Le rapport des derniers tests ! Tout frais. »

Il fit défiler les pages. Schémas et sigles mathématiques abscons emplirent l’écran.

« Ça semble positif, apprécia Gervin qui lisait par-dessus son épaule. Les faisceaux lasers parviennent à annihiler une pluie de scories radioactives de 10 cm de diamètre à 2000 km de distance.

– Impressionnant ! Rochers, revêtement de titane, acier … Tout a été passé à la moulinette par nos lasers de défense !

– Taux d’interception : 99,99%. »

Le visage de Félio se détendit soudainement.

« Nous sommes prêts ! J’avertis le QG de l’ONU de ces résultats sur le champ. »

Il saisit son portable et laissa sonner, jusqu’à tomber sur un répondeur. La voix stricte d’un général lui demanda de laisser un message.

Félio s’exécuta. Il peinait à contenir son excitation.

« Mon général, nous pouvons officiellement annoncer l’aboutissement de nos travaux. La formule donne entière satisfaction et nous allons la charger dans tous les systèmes de défense. La terre va devenir une forteresse imprenable. »

Il raccrocha et se laissa tomber sur une chaise. Il accusait soudainement son âge.

«2 ans de travail acharnés… »  Il tourna la tête vers le reste de l’open space, toujours désert. Une légère brise faisait voler des papiers. Habituellement, ingénieurs et mathématiciens donnaient à ces bureaux en pétale l’allure d’une ruche. C’est de leur travail qu’étaient né l’algorithme : l’interminable formule permettait le calcul des trajectoires des artefacts ennemis et d’ajuster le tir de lasers de défense disséminés à la surface du globe avec une précision jamais égalée.

« Mais où sont-ils tous ? grommela Félio. J’aimerai pouvoir annoncer la nouvelle !

– L’heure du déjeuner sans doute. »

Félio soupira et se replongea dans les pages du rapport.

Des dizaines de schémas montraient les différents tests  d’interception réalisés. Le fuselage d’un vieux missile nucléaire, un container en fonte, des micro-bombes américaines, un SCUD dernières génération, un débris d’astéroïde radioactif…

Félio tiqua.

« Tous ces artefacts ont été lancés depuis les stations orbitales.

– Exact. Reflet le plus proche de la réalité. Nos faisceaux lasers surchauffent les objets et les désagrègent. »

Saisi d’une soudaine appréhension, Félio se leva.

«  Nous n’avons testé que des artefacts dont nous maitrisons la technologie.

– Où veux-tu en venir ?

– Nous ne savons pas grand-chose des joviens. Ils viennent de l’espace profond. Leur corps est fait d’une substance gélatineuse. Que donnent les lasers sur ce type de substance ? »

Fébrile, il retourna à son bureau. Un Post-it était collé à l’écran, avec un mot entouré plusieurs fois de rouge :

Laser trop puissant ! Impact mineur sur des structures organiques !

Il lui semblait reconnaitre cette écriture hystérique. Félio revint à grands pas vers Gervin :

« Regarde ce mémo : le laser est si puissant qu’il traverse les structures organiques sans dégâts.

– Ils nous largueraient des sceaux d’ectoplasme ? grogna Gervin. La belle affaire. Ca n’échapperait pas à notre bouclier. Nous en ferons une passoire.

– Rappelle-toi ces images transmises par le télescope Hubble. On voyait les joviens réparer leurs vaisseaux au large de Jupiter. Ils manipulaient des boules de gélatine qui se solidifiaient pour servir d’outils.

– Tu penses à la mémoire de forme ? Tu imagines un cube de gelée qui se reconstitue pour former une tête nucléaire ? C’est de la science-fiction, mon pauvre.

– Il y a cinq ans, parler des joviens relevait aussi de la science-fiction… »

Félio saisit son portable.

« Je rappelle immédiatement le QG de l’ONU. Nous nous sommes peut-être trop avancés dans nos conclusions. »

Une étrange sonnerie raisonna : « Le numéro demandé n’est pas attribué… Le numéro demandé… »

Gervin agita la main d’un air agacé.

« Tu connais les mesures de sécurité. Ils changent de numéro comme de décorations. Laisse un mail. Ça fera plaisir à Logam.

– Ma boite mail est pleine. Laisse-moi faire le ménage et je l’envoie… »

Cette fois, Gervin bondit de sa chaise.

« Depuis quand attendons-nous ce jour ? cria-t-il. L’efficacité de notre bouclier est à présent démontrée. Accepte ce succès et allons déjeuner ! Logam est en comité de direction cette après midi. Laisse-lui un message sur son bureau, il nuancera nos conclusions initiales. »

Félio hésita mais il fléchit sous le regard furibard de son collègue. Il ramassa le Post-it rayé de rouge et partit le déposer sur le clavier de Logam.

« Allons-y, fit il d’air faussement détaché. Je ne mange que des sandwichs depuis un an, je ne vais pas rater une occasion de déjeuner. »

Dans l’open space à présent désert, les néons clignotèrent avant de s’éteindre. La poussière emplissait tout.

Par les vitres explosées, une brise chaude soufflait les papiers.

A d’autres époques, les bureaux auraient été pillés. Les survivants ne se préoccupaient plus de récupérer quelques PC à demi carbonisés  par les bombes. L’état major de la terre avait à peine amorcé la première offensive que les charges joviennes s’étaient abattues. Les obus semi organiques avaient franchi sans encombre le bouclier le bouclier atmosphérique pour frapper les villes.

Ne restait plus de la planète bleue qu’un immense champ de ruine.

Dans l’open space, une lueur tremblota. Penchées sur leurs bureaux, on pouvait à présent distinguer deux silhouettes translucides.

L’une d’elle reposa le combinée d’un geste rageur.

« Cinquième appel de la matinée et toujours personne à Cayenne. »

Le deuxième spectre se tourna vers elle et lui murmura quelque chose.

La même scène, inlassablement répétée, punition pour les damnés à l’origine de ce désastre.

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