Challenge d’écriture n°46 – Métatron


Metatron
10.4/20 ?????
3ème

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Louis XI

Ebloui par l’immense bloc de Cristal, Louis fit un pas en arrière, la main sur les yeux. L’éclat était si puissant qu’il était impossible de distinguer autre chose que cette lumière incandescente.

Manifestation divine ? Artefact démoniaque ? Trésor oublié ?

Le sang lui battait aux tempes, alors qu’il plissait les yeux. Il n’avait jamais rien vu de pareil.

A la surface, on pouvait distinguer les traces des délicats burins utilisés par les moines pour extraire le précieux matériau.

Et sous les saillis, on devinait comme une ombre.

Oui !

Il y avait bien quelque chose.

 ***

10 h plus tot.

Fesse droite.

Fesse gauche.

Non, ça n’allait toujours pas.

Le vieux chevalier se leva sur les étrillés en grommelant :

« Etait-on obligé de chevaucher aujourd’hui ? Le seigneur de Fesigny semblait fort courtois et prêt à nous offrir le gite pour une semaine entière. »

Jeans de Lescun, Batard d’Armagnac ne put retenir une exclamation amusée.

« Messire Amaury d’Estissac préfèrerait-il le confort d’un châtelet à celui d’une bonne selle de cuir ?

__ Profitez de vos vertes années pour rire. Vous verrez quand vous aurez le fondement usé par les ans. »

L’homme qui voyageait en tête se tourna à demi. Son visage sec était encadré de cheveux bruns coupés au carré. Un chapeau de feutre sans fioritures allongeait ce visage illuminé d’un sourire :

« En voilà des manières. Se disputer ainsi par une si belle après-midi. Contemplez ces montagnes ! Au sommet, la neige et la bise. Autour de nous, le gazouillis du printemps ! Et ces bois ! Par ma foi, ils doivent regorger de gibier ! »

Amaury jeta un regard torve vers les cimes montagneuses des Alpes. Ils se trouvaient au fin fond de la Savoie. De l’autre côté des cols, c’étaient la Suisse et ses cantons. Derrière eux, le lac de Genève leur était masqué depuis une bonne heure par les arbres et le relief.

« Vous servir est un honneur, sire. Mais à voir ces rocailles ainsi empilées, je me languis de ma Saintonge. »

A peine avait-il prononcé ces mots que son cheval trébucha sur un mauvais caillou du chemin et il s’en fallut d’un cheveu qu’homme et cavalier finissent par terre.

« …D’autant que les routes y sont autrement plus praticables », railla le Batard en dépassant le vieux chevalier.

Le Batard rejoignit le cavalier de tête. En cette année de 1446, le dauphin Louis avait abandonné Paris et la cours de Charles VII pour gagner sa principauté du Dauphiné. Qui eut cru que sous ce pourpoint court et ces chausses de laine allait Louis, héritier de la couronne de France ?

De bonne taille, il paraissait presque fluet au côté de l’imposante corpulence du Batard, dont les larges épaules semblaient taillées pour la guerre.

« Reconnaissons cela au sire Amaury : ce périple me parait bien long, avoua le Batard. Et puis nous nous rapprochons de la Suisse. Rappelez-vous, nous y combattions ensemble il y a trois ans. Ils pourraient en avoir conçu une certaine rancœur.

__ Parbleu, je m’en souviens comme si c’était hier. Mais rassurez-vous, nous restons sur les terres du Duc de Savoie, avec qui nous sommes en bon terme. Et puis, il nous fallait aller en pèlerinage pour rendre grâce de notre bonne mise : nous voici libre en Dauphiné, loin de ce roi épuisant qui me tient lieu de père.

__ J’espère que l’abbaye d’Abondance valait ces jours de chevauchée.

__ Je vous laisse juge, trancha Louis en contournant un épaulement rocheux.

Le Batard resta bouche bée.

Devant la forêt cédait la place aux premiers alpages. L’herbe disputait le terrain aux rochers affleurant de l’humus. Incongrue au milieu de cette nature apaisée, une abbaye ventrue s’accrochait au versant. Cloché ouvragé, rosace tournée vers le soleil, voutes croisées enluminées d’une foule d’anges et de saints… L’architecture déployait sa splendeur gothique à la face de la montagne.

Autour de ce vaisseau, les dortoirs des moines se pressaient comme si la finesse de l’ouvrage allait rejaillir sur leurs murs nus.

« L’abbaye d’Abondance, annonça Louis. Nous y serons pour le déjeuner.

__ Il y a quelque chose, grommela Amaury. Mais rien ne vaut les églises romanes de Saintonge. »

Les trois hommes parcoururent le dernier kilomètre au galop, trop heureux d’atteindre le but de leur voyage.

Ils mirent pied à terre devant l’imposant édifice. Immédiatement, un groupe d’oblats se précipita pour mener les chevaux à l’écurie.

Poudreux et rompus, les voyageurs firent craquer leurs articulations et défripèrent leurs casaques.

Un homme s’approcha avec déférence. A la manière des moines bénédictins, il était vêtu d’une ample robe blanche par-dessus laquelle était passée une large veste de cuir qui lui descendait aux chevilles. A son épaisse ceinture pendait un chapelet.

« Messires, soyez les bienvenus à l’abbaye d’Abondance. Je suis le père Philippe, prieur de notre communauté.

__ Nous avons longuement chevauché depuis notre terre du Dauphiné, annonça Louis.  Aussi souhaiterions-nous rendre grâce au beau sire Dieu pour si bonne route.

__ Quoi, même pas un bain avant de passer à table ? » souffla le batard à mi-voix.

Le père Philippe fit celui qui n’avait pas entendu.

« En ce cas, permettez que je vous mène à la chapelle Saint Christophe, saint patron des voyageurs. »

Le prêtre invita les visiteurs à entrer dans le bâtiment. Une étrange agitation régnait dans les travées, où de petits groupes de moines et d’oblats discutaient à voix basse. Déambulant sous les voutes qui se perdaient dans les ténèbres, les voyageurs apprécièrent la fraicheur des lieux.

« Notre abbé s’excuse de ne pouvoir vous accueillir, annonça le père Philippe. Plusieurs de nos frères ont été blessés dans l’affaissement d’un plafond et l’abbé prie à leur chevet.  Vous aurez l’occasion de le croiser lors de l’office de Sixte.

__ Cela nous laisse tout le temps de découvrir votre splendide abbaye, fit Louis, les yeux tournés vers les vitraux chamarrés. Vous avez des moines forts habiles. Je vous en emprunterais bien quelques-uns.

__Ne serait-ce leur vœu de stabilité qui les attache à ce lieu, ils seraient ravis de cet honneur.

__ Souhaitons qu’ils n’aient rien perdu de leur talent lorsque notre bon roi daignera quitter ce monde, persiffla le batard. Il ne semble en tout cas pas pressé de rejoindre le père. »

Amaury roula des yeux choqués vers son compagnon, ce qui lui valut un sourire moqueur en retour.

Les hommes débouchèrent dans une chapelle en demi-cercle plongée dans l’obscurité. Le père Philippe fit un signe, et les moines qui s’y trouvaient abandonnèrent les lieux. Louis nota les mines inquiètes et les regards soucieux. Le claquement des sandales s’éteignit finalement et ils se retrouvèrent seuls. Les vitraux coloraient la pénombre apaisante et laissaient deviner une statue de Saint Christophe en pied, portant l’enfant Jésus sur ses épaules.

Louis s’approcha d’un prie-Dieu et s’agenouilla, mains jointes. Ménageant ses articulations, Amaury l’imita avec moult précautions. Le Batard allait faire de même lorsqu’un chatoiement inattendu lui arracha une exclamation :

« Le saint a cligné de l’œil ! Par Dieu, quel est ce prodige ? »

Amaury leva les yeux au ciel. Et dire que c’était ça la nouvelle génération de chevaliers. C’est alors qu’à son tour, il vit une lueur dans l’œil de la statue. Interdit, il se tourna vers Louis, qui avait lui aussi aperçu le reflet dans la prunelle.

Le père Philippe s’approcha pour calmer les esprits :

« Messires, il n’y a point de diableries ici. Vous contemplez ce qui fait la fierté de notre abbaye. Les prunelles de la statue sont incrustées d’éclat de cristal d’Abondance. Cette précieuse roche a la particularité de fortement réagir à la lumière. C’est le cadeau de notre Seigneur à notre communauté.

__ Les cristaux d’Abondance font de magnifiques bijoux, confirma Amaury, revenu de ses émotions. Agnès Sorel en possédait un très joli pendentif. »

Le dauphin Louis se signa et se releva, mécontent :

«  Vraiment messire d’Estissac, quel plaisir de vous avoir parmi nous. Non content de jouer les chaperons pour mon père, voilà que vous évoquez le nom des fâcheux. »

Agnès Sorel, maitresse de Charles VII, avait précipité l’exil de Louis, lorsque ce dernier l’avait accusée l’épée à la main de vouloir lui ravir son héritage. Stupide incident de jeunesse. Après ce peu glorieux fait d’arme, le dauphin n’avait plus qu’à attendre le pardon royal loin de Paris.

« Mes excuses, sire, fit Amaury en s’inclinant.

__ Nous montrerez-vous d’où est extrait ce cristal ? demanda Louis au Père Philippe, passant du coq à l’âne.

Le prêtre cligna plusieurs fois des yeux, comme si la demande lui paraissait parfaitement incongrue.

« Je crains que ce ne soit pas possible. La mine est accessible par détroits boyaux forts instables. Que dirait le roi si le dauphin finissait enseveli sous notre abbaye ?

__ M’est avis qu’il vous accorderait une pension » estima Louis d’un air distrait.

A cet instant, les cloches sonnèrent.  Le père Philippe leva un doigt.

« Sixte moins cinq ! L’office va commencer ! »

Surgissant de toute part, une foule silencieuse d’oblats et de convers prit place dans la nef. Un groupe guidé par un moine manqua de percuter Amaury, toujours agenouillé. Le Batard eut un geste d’humeur.

« Quelle glorieuse épitaphe si vous aviez fini piétiné par ces novices. Le service de Dieu leur aurait il hotté la vue ?

Louis grimaça :

« Le sage tourne sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler, disait Salomon. Observez cette assemblée : pour un valide, il y a bien quatre aveugles ! »

Amaury et le Batard contemplèrent l’assemblée. La fluidité des mouvements venait de l’intime connaissance des lieux. Mais les regards laiteux fixant le vide ne laissaient aucun doute sur l’infirmité des religieux.

« Nombreux sont les invalides à venir chercher la paix de nos murs », expliqua le père Philippe.  Ce disant, il releva les amples manches de son habit, révélant des mains mutilées où il ne restait que quelques doigts. « A présent, permettez-moi de vous laisser : le service m’appelle. »

 ***

 L’abbaye d’Abondance suivait les règles de Saint Augustin.

Prêtres, moines, convers et oblats, installés selon leur rang, déjeunaient dans une vaste salle dont les croisées donnaient sur la vallée. Un spectacle à apaiser l’âme pour ceux qui avaient la chance de le voir. Le ventre n’était pas en reste. Pains de viande au miel et pois passaient de main en main aux sons des couverts. Louis ne put s’empêcher de remarquer que l’infirmité du père Philippe était bien commune en ces murs. Là c’était un index qui manquait à l’appel, ici un majeur… Curieux couvent d’infirmes. Et toujours ces mines soucieuses, ces regards fuyants…

La règle stipulait qu’on ne parlait pas à table. Dans le silence, l’un des moines lisait un imposant volume, juché sur une estrade face aux places d’honneur.

Le dauphin était installé à la droite de l’abbé, La barbe faisait écho à son crâne complètement chauve. Lui, tout au moins, n’était pas aveugle.

Une fois sixte célébré, cet homme d’une cinquantaine d’années avait limité ses échanges avec le dauphin à une courtoisie très protocolaire. A présent, tout absorbé par la lecture du livre de l’Ecclésiaste, il semblait se désintéresser de son royal voisin.

Le dauphin en restait comme deux ronds de flanc. Il se pencha vers Amaury.

« Jamais réception de dauphin ne fut plus rogue, souffla-t-il à son voisin. Notre venue était pourtant annoncée…

__ Et qui sont ces hommes aux pourpoints de soieries ?

__ Douze boules de gueule sur fond d’or. Par Dieu, mais ils sont de la maison des Medici ! »

Troublé dans sa lecture, le lecteur releva la tête.

Les regards se tournèrent vers le dauphin, qui leva son verre en souriant, comme pour saluer l’assemblée. Ceux qui pouvaient voir son geste lui rendirent son salut.

La lecture reprit, accompagnée du tintement des couverts.

Louis reprit le fil de ses discussions. Les Medici n’étaient pas les premiers venus. La renommée de ces banquiers avait amplement dépassée Florence et sonnait à présent dans toute l’Europe comme celle d’une bourse bien remplie. Ils comptaient des souverains parmi leurs débiteurs. La présence de leurs envoyés laissait présager quelques affaires juteuses. Pourrait-il s’agir du cristal ? En tout cas, ces hommes arboraient une mine déconfite. Ce repas en silence ne leur procurait de tout évidence aucun plaisir, et ils n’attendaient qu’une chose : revenir aux affaires sitôt le dessert avalé.

Balayant l’assemblée des moines du regard, Louis s’arrêta sur la silhouette chenue d’un vieil homme, courbé sur sa tranche de pain. Sa peau fripée et ses mains rachitiques trahissaient son grand âge. En voilà un pour qui l’abbaye n’aurait aucun secret.

Louis attendit patiemment la fin du repas. Il esquiva les politesses superficielles de l’abbé et se dirigea droit vers le vieil homme qui quittait déjà la salle, aidé par un novice.

« Mon père, annonça le dauphin sans ambages, je souhaiterai être entendu en confession. »

Le vieil homme tourna vers lui ses yeux d’un blanc laiteux : encore un aveugle.

« Jeune homme, vous choisissez bien mal vos confesseurs. » répondit le prêtre d’une voix douce.

Louis allait répondre, lorsque le père Philippe surgit comme par enchantement.

« Le père Amédée est bien fatigué pour écouter la confession d’un dauphin de France. En outre, ce serait se substituer à votre confesseur attitré…

« L’évêque Boucard s’est quelque peu lassé de mes péchés répétés. Il n’y prête plus qu’une oreille distraite.

__ En ce cas, permettez-moi de vous entendre, proposa le père Philippe avec emphase.

__ Que nenni ! Je soumets à votre esprit sagace une âme qui a bien besoin de salut.  Vous entendrez en confession mon ami Jean de Lescun, Batard d’Armagnac. »

L’intéressé, qui grappillait un morceau de pain dans une corbeille portée par un aveugle se retourna d’un coup.

« Moi, me confesser ? Il ferait beau voir… »

Louis lui retourna un regard glacé qui étouffa la gouaille du Batard comme une chape de plomb.

«Mon père, reprit  le Batard d’un ton morne. Pardonnez-moi car j’ai péché.  Il y a cette fille à l’auberge avec qui…

__ Bon, bon, bon, coupa précipitamment le père Philippe. Allons nous isoler quelque part.

Comme frappé par la foudre, il entraina à sa suie le Batard et disparu dans une travée.

Louis resta seul avec le vieux prêtre.

Sans un mot, celui-ci l’invita à le suivre jusqu’au confessionnal. C’était un meuble de bois ouvragé tout en hauteur, avec ogives et colonnes miniatures. Le père Amédée prit place dans le caisson central, tandis que Louis s’agenouillait face à la grille.

« Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.  Amen, commença-t-il d’un ton pénétré. Je me suis confessé la semaine dernière, mais mon âme n’est pas en paix et je ne cesse d’offenser Dieu.

__ Parlez sans crainte, gentil dauphin. Dieu dans sa miséricorde pardonne tout.

__ Je cherche à percer le secret d’une abbaye qui a prospéré au-delà de toutes ses espérances. Une abbaye dont dépendent une vingtaine de prieuré et deux autres abbayes, qui étend son influence sur la Suisse et la Franche Comté, et qui accueille à sa table les Medici. C’est le péché de convoitise qui me mène jusqu’en ces murs. Le mystérieux cristal qui fait la fortune d’Abondance me hante la nuit.

Dans son box, le père Amédée resta un instant silencieux.

__ J’imagine que quelques Pater Noster ne répondront pas à votre attente.

__ Vous êtes un homme d’expérience, sourit le dauphin. Je veux voir la mine de cristal. Et pourquoi cette agitation ? Ces mines inquiètes ? Cet abbé si peu accueillant et ces Medici ?

__ Votre âme se trouble de questions, coupa le prêtre. Vous n’avez pas la souveraineté sur ces terres. Acceptez qu’elles conservent leur mystère.

__ Elles pourraient le devenir. Je songe à épouser Charlotte de Savoie, fille du duc Louis. Je veux savoir ce qui se passe ici et quelle conspiration est ourdie entre ces murs.

__ Une conspiration… Personne n’a jamais pensé à mal. Mais il fallait bien que la fortune tombée du ciel trouve quelques contreparties…

__ Vous parlez du cristal ?

__ Nous avons été fou. Il y de cela un siècle, nos prédécesseurs découvraient la pierre en creusant la crypte. Cela aurait pu devenir l’objet d’un fameux pèlerinage. Au lieu de cela, nous avons cédé à la tentation du démon. Oblats et moines débitèrent le cristal en éclats qui furent vendus fort chers en Italie. Les banquiers devinrent de fervents visiteurs. Les caisses ne désemplissaient pas. Et sous terre, nous perdions nos doigts sur les arrêtes de cristal, alors que nos yeux étaient brulés par son éclat.

__ La mine est donc sous la crypte… Mais qu’est-ce que ce cristal ? D’où vient-il ? »

Le père Amédée laissa planer un silence. Au travers des grilles du confessionnal, Louis le vit se passer une main hésitante sur le visage. La douce voix s’éleva de nouveau :

« A force de creuser, nous avons découvert ce qu’il y avait sous cette gangue. Ce n’était pas une pierre, c’était… »

A cet instant, des exclamations se firent entendre.

« Par Dieu, je n’écouterai pas un mot de plus ! Il va me falloir jeuner pendant les quarante prochains jours pour hotter ces blasphèmes de mon esprit !

__ Mon père, donnez-moi l’absolution, gémissait le Batard ! Il me faut encore  vous raconter comment le pucelage de Marie la…

__ Taisez-vous ! Ce n’est pas un confesseur qu’il vous faut, mais un inquisiteur et son bucher ! »

Les éclats de voix s’éloignèrent. Louis retourna son attention vers la grille qui le séparait du Père Amédée.

« Reprenons. Vous disiez… »

Mais Louis était à présent seul. L’autre avait profité de la diversion pour quitter le confessionnal. Louis le vit sortir de la nef aussi vite que son grand âge le lui permettait.

Qu’importe, il en savait à présent assez.

Il retrouva Amaury dehors, assis face au soleil de l’après-midi. Devant lui, la vallée déployait ses méandres. Le vieux chevalier paraissait fatigué. Il avait parcouru le royaume de long en large, au gré des campagnes de la guerre de cent ans. Il avait combattu au côté de Jehanne la pucelle à Orléans, harcelé l’anglais en Guyenne… Et voilà qu’il se retrouvait mandater par Charles VII pour superviser son turbulent fils, loin de ses terres de Saintonge. Un instant, Louis eut pitié de cet homme buriné par la vie au grand air. Il se promit de lui trouver une retraite douillette, une fois le trône de France acquis.

« Messire Amaury. Nous avons une expédition à monter.

__ Quoi ? Maintenant ? Mais nous venons à peine d’arriver ?

__ Rassurez-vous, aucun cheval ne sera nécessaire. Il s’agit de la crypte de l’abbaye. Je vais m’y rendre avec le Batard…

__ Voilà une bien morbide initiative que votre père désapprouverait certainement. »

Le dauphin passa outre la rebuffade :

« Vous nous représenterez à l’office des complies et expliquerez que nous avons préféré garder le lit. Insistez sur la fatigue du voyage.

__ Rassurez-vous, je n’aurai aucun mal à cela, fit le chevalier, en se massant le bas du dos.

__ Alors c’est parfait. Profitons à présent de cette belle après-midi. » conclut le dauphin en s’asseyant sans façon au pied d’un rocher.

***

 L’office des complies, le dernier de la journée, voyait l’ensemble des moines, oblats et novices se retrouver dans la nef.

Le soleil avait disparu derrière les montagnes depuis plusieurs heures, et peu à peu les étoiles piquetaient le ciel comme sous l’aiguille d’une couturière.

Alors que les harmonies s’élevaient du chœur, deux silhouettes furtives glissaient le long des murs.

Les arches gothiques se découpaient dans le ciel nocturne comme autant d’ombres des ombres inquiétantes.

« N’aurait-on pas pu attendre demain soir ?

Alors que nous avons l’occasion d’apprendre dès maintenant le secret d’Abondance ? Pas question.

La porte à double battant de la crypte se devinait dans l’obscurité. De sa dague, le dauphin força la serrure.

« Il est à présent trop tard pour reculer. »

A suivre…

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