Challenge d'écriture n°30 – Texte n°9

Son of Khaine

La Guerrière Orientale se tenait droite, fièrement dressée face au soleil levant dont les rayons rasants jouaient avec les plis et replis de sa tenue exotique, tout comme les rasoirs des serres du faucon caressaient sa manche gauche. De son autre main, elle tenait son cimeterre effilé, et en remontant son bras, on débouchait sur son torse nu, à peine couvert au niveau des perles de sa poitrine. Un turban enserrait à moitié son visage divin, mais ce qui en transparaissait suffisait largement à combler n’importe quel spectateur. Ou à la frustrer.

Mieux valait peut-être devenir aveugle, comme l’oiseau de proie, qui ne devait sans doute plus rien attraper d’autre que les quelques rats crevés que lui jetait négligemment sa maîtresse. Il n’était plus un prédateur, mais un simple accessoire décoratif. D’ici quelques temps, quand il aurait perdu assez de plumes pour que sa peau galeuse devienne visible, il serait jeté au caniveau, et les rongeurs le grignoteraient petit à petit vers le milieu de son agonie solitaire.

Tout n’était que regard. Et que disaient les yeux de la guerrière ? Ils n’étaient qu’un pur reflet de basse vénalité, d’un amoralisme grisâtre qui n’avait pas même la force de s’affranchir des conventions, d’un égoïsme visqueux dénué de la sombre noblesse de l’indépendance. Ses lèvres, pas si pulpeuses que cela à la vérité, se tordaient dans un rictus semblable, non pas cette torsion de tristesse et de désespoir du vaincu, non pas cette grimace bouffonne de celui qui veut signifier son rejet de la beauté commune, mais un vague sourire déformé, empli de dédain envers ce qui lui est supérieur.

Et par-dessus cela, comme pour s’excuser, elle portait un vague diadème. Ce n’était que du toc sans valeur, du matériau mal travaillé ayant perdu sa vérité naturelle sans gagner la perfection ouvragée, une chose insignifiante, purement sociale, mais bien loin de ces reliques chargées de l’esprit d’un peuple.

À quoi pouvait bien servir ce voile, qui ne couvrait en fait rien, simple vestige d’un sacré qu’elle n’avait le courage ni d’assumer, ni de rejeter ? Et ce soutien-gorge vaguement décoré ? Cet immonde pantalon bouffant ? Tout n’était que vile hypocrisie, sans lien pourtant avec la sagesse qui consistait à feindre de laisser le médiocre monde vaincre pour mieux le poignarder.

Pourquoi donc porter trois armes, d’ailleurs ? Pourquoi celle dont elle tenait la garde – de sa main gauche, d’ailleurs, étonnamment – se perdait-elle mystérieusement dans le néant de sa ceinture ? Pourquoi les deux pronoms féminins rendaient-ils la phrase précédente incompréhensible ? Pourquoi tout cet arsenal paraissait-il terriblement factice et aussi peu fonctionnel ? Pourquoi cette énumération de question était-elle si peu harmonieuse ?

Parce que rien n’était réel. Tout n’était que poudre aux yeux et faux-semblants. Elle n’était ni guerrière, ni orientale, ni femme, elle n’était rien, pas même le néant. Ou alors pas complètement. Et ceci n’est pas un défi, ceci n’est pas un écrit. Tout pue les vagues convenances et les petites traditions à des milliers de kilomètres et d’années à la ronde. Tout est imprégné de la sueur rance d’efforts vains, de la senteur poussiéreuse de la vieillesse dont tout ce qui aurait pu rester de vénérable antiquité est depuis longtemps rongé par les vers, dont toute la véritable moelle a été sucée.

Pourtant, impossible de remplir ces os creux : ils sont toujours obstrués par un reste de pourriture fangeuse, ce petit reliquat frustre et rassis qui refuse l’évolution alors qu’il en est issu, cette carcasse révolutionnaire devenue réactionnaire.

Tous vont pianoter vaguement sur leur clavier, ayant peut-être griffonné au préalable sur quelque bout d’arbre mort, faire circuler ces dizaines de milliers de bits sur un réseau dont 90% de la bande passante est gaspillée pour des conneries, peut-être qu’un des textes avec des termes un peu trop suggestifs – orientale, guerre, Occident, Arabe – sera rapidement parcouru des yeux par un quelconque fonctionnaire ‘ricain (après tout, c’est bien connu que la France est un pays rempli de vilains bolchéviques pro-islamistes qui ont refusé de faire la guerre sainte contre le Mal, et dont au moins la moitié du territoire est contrôlée par d’encore plus vilains musulmans en état de guerre civile permanente, on l’a vu à la télé) avant d’atterrir sur le site, et la dizaine de scribouillards s’auto-congratuleront en faisant vaguement semblant d’être constructifs, et tout le monde remettra ça, fort content, ou au moins s’en persuadant.

Et dans tout ça, un sale petit ado frustré sera encore devant son PC à 5h30 du mat’, à déverser sa pseudo-rébellion via un pseudo-texte, tout ça parce qu’il aura été infoutu de réellement écrire quelque chose. Tout ça parce qu’il préfère dire que le challenge à chier propose une image à chier, et que selon lui, malgré tout le talent qu’il peut supposer à un sculpteur qu’il ne connaît pas, la figurine promet d’être à chier. Mais il s’en fout, puisqu’il a depuis longtemps arrêté d’acheter ces bouts de plastique et de métal au bout de cinq cent grammes à peine ébarbés traînant sur son bureau poussiéreux.

En plus de tout cela, le sale petit ado frustré rage dans son coin, parce que comme tout sale petit ado frustré qui se respecte, il a besoin de déverser sa haine de la gent féminine après un nouvel échec cuisant dont, s’il prenait le temps de réfléchir sérieusement cinq minutes, il ne pourrait attribuer la faute qu’à lui-même. Pour couronner le tout, le sale petit ado frustré est infoutu de profiter de cela pour produire une œuvre vaguement potable. Alors c’est tellement plus simple de dire que le challenge est à chier, le dessin à chier, la future figurine à chier, et puis pendant qu’il y est, il peut aussi rajouter le fait que les participants soient à chier, leurs textes – dont il a lu la moitié, parce qu’évidement il écrit cela hors délais – soient à chier, le site à chier (de toute façon il s’en fout, ça fait longtemps qu’il n’écrit plus rien), que tout soit à chier, comme ça le rendu final, aux yeux des quelques rares attardés encore plus cons que lui et enrobé d’une bonne promo, pourra paraître comme un superbe échantillon de la rébellion adolescente post-moderniste, et ainsi faire tourner encore un peu les rouages rouillées du monde qu’il haït, ou feint de haïr pour éviter de regarder en face son dégoût de lui-même (point sur lequel il aurait pourtant eu raison).

Et peut-être qu’il y en aura même pour appeler ça de l’art.

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