Challenge n°16 – Texte n°6

Hellspawn

” Les étoiles. J’ai toujours été fascinée par ces petites étincelles dans le ciel.
– En effet, ma douce, elles sont autant de trésors créés dans le seul but de venir accrocher leurs reflets à votre doux regard afin d’en sublimer toute la beauté.
– Oh, Rudolph ! »

L’homme est élégant, vêtu de noir et drapé dans une lourde cape couleur de nuit. Il est accoudé au balcon d’une chambre, sa chevelure longue et légère glissant lentement dans le souffle nocturne de ce chaud mois de juin.
La femme resplendit, engoncée dans une robe de soirée au décolleté généreux. Sa poitrine opulente semble offerte à la lueur de l’astre nocturne et ondule au rythme d’une émotion certaine.

« Retirons-nous dans ma chambre, ma mie, et je vous conterai bien des merveilles encore…
– Taratata, monsieur… me prenez-vous donc pour une gourgandine ?
– Que nenni, ma dame, mais votre respiration trahit votre émoi et je lis en elle l’ardeur de vos sentiments à mon égard…
– Rudolph, si je ne puis rien vous cacher, permettez au moins que je m’offre à vous sans que vous m’y invitâtes… venez donc, mon ami. »

Et la femme caresse doucement la paume de l’homme avant de franchir le seuil dans un délicat bruit de soie pareil à une invitation.
L’homme lance un dernier regard à la lune, son involontaire complice, et lui offre un large sourire carnassier… il lui faut chaque nuit une proie nouvelle et, cette nuit, le gibier est de premier choix !

Au creux d’une chambre douillette et décorée avec goût se niche un lit confortable au luxe de bon aloi.
Sur ce lit, lentement, une jeune beauté laisse glisser son corps et s’offre avec volupté à la promesse d’une nuit d’amour.
Devant ce lit, se contenant à peine, un homme retient ses instincts de prédateur et se repaît de l’image qui lui est offerte.
Lentement, il se penche sur elle et promène sur sa robe son odorat félin, menant jusqu’à la gorge découverte de sa nouvelle conquête sa soif inaltérable de chair fraîche.

« Crac !», bruit de bois qui éclate en morceaux.
Un pied gigantesque écrase au sol les restes de la porte de la chambre. La masse imposante d’un ogre se fait un passage en arrachant le chambranle de ses épaules hypertrophiées.
« Tue-moi ce putain de vampire, Bull », lui ordonne une voix provenant du couloir.
L’ogre empoigne l’homme par le crâne. Image d’une pastèque éclatant dans un étau.
« Pour moi, c’est bon, boss », affirme la brute.
Entre alors dans la chambre un Répurgateur armé jusqu’aux dents. Longue cape de justicier, ceinture bardée de fioles en tous genres, paire de pistolets de duel, arbalète, rapière et pieux. Une véritable usine à renvoyer les morts dans leur tombe par le chemin le plus direct et avec un sourire ravageur et une crinière gominée, qui plus est !

Le Répurgateur saisit doucement la fille par le menton et semble la regarder de haut en bas… même si son regard s’attarde parfois sur certaines rotondités. A la recherche d’une trace de morsure éventuelle, il oublie parfois son devoir une fraction de seconde en présence d’un galbe bien fait.

« Mmmmm… bien. Mademoiselle, je me présente : Difaëls Murnwich, Répurgateur! Ne craignez rien, nous n’avons rien à vous reprocher, il ne vous sera fait aucun mal. J’ai la douleur de vous informer que votre ami était, de source sûre, un vampire. Eh oui, ma pauvre dame, les rues ne sont plus sûres, n’est-il pas ? Mais bon… n’ayez crainte, mon ami Bull ici présent va vous débarrasser de la dépouille de ce vilan-pas-beau en le balançant sur le bûcher que mes hommes sont déjà en train de dresser dans la cour. N’est-ce pas, Bull ? Bull ?
– Ouais ! Pigé, Boss !
– Ainsi, Madem…tiens ? Où est-elle passée ? Bull ? Attends une seconde. Tu as vu filer la gonzesse, toi ?
– Hein ? Non…
– Mais comment a-t-elle pu se barrer si vite, j’ai à peine tourné la tête trois secondes pour te parler et… mais… attends un peu… Bull… montre-moi le macchabée du vampire.
– Pour quoi faire ? C’est qu’un…
– T’occupe. Montre ! Mais… Nooon, c’est pas vrai, bon dieu d’andouille de crétin de… Okay, Bull. Va me chercher l’autre con, j’ai deux mots à lui dire. Laisse le corps ici.
– Okay, Boss ».

Dans le couloir, une petite bousculade d’hommes en armes se fait entendre : quand Bull a une mission à remplir, on le laisse passer. Toute la bande a assimilé la leçon depuis longtemps.

Lorsque Bull revient dans la chambre, il est précédé d’un homme d’une trentaine d’années dégarni, à l’aspect un peu gauche et habillé comme pourrait l’être n’importe quel Répurgateur… toutefois, sur lui, l’accoutrement (tout héroïque et bien taillé qu’il soit) tombe lamentablement comme une vieille nappe de taverne douteuse. De ses doigts trop gras pour n’être pas gourmands, il triture un revers de son gilet de daim, essuyant inconsciemment dessus la sauce de son précédent repas.

« Regarde-moi ça, crétin !
– Super, vous l’avez eu ! C’est bien, vous êtes forts, les gars, ça oui !
– Mais tu le fais exprès, ou bien quoi ? Tu vois rien de bizarre à ce putain de corps ?
– Euuuuuuuh… si… ‘l’a plus d’ tête ?
– Bravo ! Beau sens de l’observation, elle est en train de se répandre dans toute la pièce, sa foutue tête mais en-dessous de sa tête, sur sa gorge, tu vois quoi ?
– Ben deux trous, non ? C’est Bull qui…
– Non, crétin ! C’est ton putain de vampire qui a fait ça ! C’était la femme, le vampire ! La nana ! Et cette greluche vient de nous échapper je ne sais comment parce qu’on croyait avoir bousillé le non-mort en la personne de ce pauvre gars qui n’avait à se reprocher qu’un penchant nécrophile inconscient ! Bordel ! Il t’avait pas dit que c’était une bonne femme, le vampire, ton informateur ?
– J’ai pas demandé, moi.
– Foutez-moi ce tocard dehors ! Désolé, j’ai été patient avec toi, bonhomme mais là, ça dépasse mes forces ! »

Deux Répurgateurs raccompagent le pauvre bougre jusque dans la rue et le jettent violemment au sol avant de tourner les talons. Seul, il se relève, frotte ses vêtements, renifle un bon coup pour ravaler sa tristesse et s’en va d’un pas lent hors de ce quartier. A peine a-t-il tourné à l’angle de la rue qu’il se trouve nez à… à « pas nez » avec une sculpturale créature au charme hypnotisant

« Eh bien, mon ami… tu m’as sauvé la vie, cette nuit… je ne prendrai donc pas la tienne. Tu seras mon serviteur à présent.
– Oui madame, ça oui !
– Mon pauvre vieux, tu es si facile à charmer que te réduire à l’état de valet assujetti sera un jeu d’enfant ! Ton esprit est une véritable éponge à suggestions ! Amusant. Bon. Comment t’appelles-tu, esclave ?
– Rufus, Madame.
– Jures-tu de me servir jusque dans la mort, Rufus ?
– Ca oui, Madame.
– Voilà qui est bien, petit. »

Et la sulfureuse vampire s’en va, dans la brume de cette nuit mourante, suivie de son nouveau paria.
La silhouette du paria, à peine visible encore, trébuche et se vautre à terre dans un gémissement plaintif.

« Hah ! Tu m’amuses , Rufus. Je suis heureuse que le sort t’ait mis sur ma route.
– Merci Madame », laisse encore échapper le brouillard avant de se refermer sur l’atypique duo.

Les commentaires sont clos.