Challenge n°17 – Texte n°1

Metatron

La voie de la Chute

La montagne nous faisait face, impressionnante et moqueuse elle semblait nous défier.
Après plusieurs semaines d’un périple épuisant au travers de la jungle, nous touchions enfin au but.
Je jetai un regard à mes compagnons.
Sa-Hum, le grand échalas aux muscles longilignes, fixait d’un air décidé le sommet enneigé tandis que Vi-Cem, un sourire radieux plaqué sur son visage buriné, flattait l’encolure de son Carnodon. Pour les trois Exodites que nous étions, la consécration était proche.
Courses en pleine jungle sur des dizaines de kilomètres, sans vivres autres que celles trouvées sur le parcours ; capture de Carnodons, ces lézards bipèdes qui servaient ensuite de monture aux plus téméraires ; traversée des terribles marécages qui jonchaient la plaine…
Tout ça pour finalement atteindre Acamur, notre montagne sacrée. A son sommet se trouvait le cercle de psycho-cristal : cet antique alignement de monolithes abritait les pierres esprits de nos ancêtres, les seuls à même de désigner ceux qui auraient la chance d’accéder au statut de Chevalier-Dragon.
Nous tentions tous trois notre chance.

« Alors, Mo-Tam ? Prêt à grimper ? »

Vi-Cem me regardait d’un œil moqueur. Il connaissait ma propension au silence et son grand jeu était de m’asticoter par des questions dont il connaissait déjà la réponse.
D’ailleurs, il piqua des deux sans attendre et lança son Carnodon sur le sentier qui attaquait la pente de front.

« Ne le laissons pas prendre trop d’avance, conseilla Sa-Hum. Je ne tiens pas à le laisser arriver le premier là haut »

A son signal, sa monture partit au grand galop à l’assaut de la pente boisée.
Je soupirai d’exaspération.
Ces semaines en compagnie de ces compagnons que je n’avais pas choisis m’avaient usé nerveusement. Les vantardises et les railleries sans finesses de Vi-Cem me faisaient enrager. Quant à Sa-Hum, ses considérations terre à terre me fatiguaient. Troupeaux de Mégadons, hectares de terres… Sa conversation était d’un ennui mortel.
Par bonheur, tout cela touchait à sa fin.
Dans quelques jours, nous serions au sommet d’Acamur, et une nouvelle vie commencerait pour nous.

***

Le dernier Carnodon poussa un feulement rauque avant de s’effondrer.
Les lézards géants ne pouvaient supporter les bourrasques glacées qui soufflaient sur les flancs d’Acamur et la mort de nos montures était inéluctable.
Sans un mot, nous récupérâmes l’équipement et poursuivîmes notre marche.
Emmitouflés dans nos fourrures, nous avancions, le regard rivé sur le pic de glace. La température ne cessait de chuter et l’air gelé nous écorchait la gorge à chaque respiration.
Les lèvres violacées, nous luttions contre le froid mais aussi contre la chute vertigineuse qui nous guettait à chaque pas. Il n’y avait plus de chemin depuis longtemps, juste une succession d’arrêtes rocheuses qui surplombaient des falaises à pic.
En tête de notre petit groupe marchait Vi-Cem. Je le voyais peiner et lutter à chaque pas, et je savais que seul l’orgueil d’être le premier à atteindre le sommet lui permettait de tenir encore debout.
Je me délectais de sa souffrance et de l’ineptie de son calvaire. Je savais que mes jambes me portaient encore suffisamment pour le dépasser quand il me plairait. Déjà, j’imaginais son air défait lorsqu’il verrait son puéril orgueil abattu.
Ces pensées me permettaient d’avancer et la morsure du froid se faisait moins cruelle.
C’est alors qu’une pierre traîtresse dérapa son mon pied.
Déséquilibré, je bandai tous les muscles de mon corps afin de me rétablir. Mais je me sentais déjà basculer et mon regard plongea au fond de l’à-pic, plusieurs centaines de mètres en contrebas.
Un hurlement monta du fond de ma gorge quand je compris que j’étais perdu. Avec désespoir, je compris que mes projets de civiliser les frustes guerriers qu’étaient les Chevaliers-Dragons s’éteindraient sur les flancs d’Acamur.
Je recommandais déjà mon âme à Khaine, quand je sentis qu’on me saisissait par le col.
Sa-Hum, qui marchait derrière moi, me retenait d’une main de fer : « Ce serait dommage de chuter maintenant : nous arrivons enfin » Vexé de devoir la vie à un autre exodite que moi-même, je remerciai en marmonnant pour me tourner vers Vi-Cem qui poussait des cris de joie.
Au-delà des tourbillons de cristaux glacés que charriait le vent, on distinguait de vagues lueurs chatoyantes qui pulsaient doucement.
Soudain, une silhouette émergea de la tourmente : son visage était masqué par un casque sculpté des symboles ésotériques de notre peuple et sa main droite tenait un long sceptre incrusté de gemmes de pouvoir. Il était vêtu d’une ample robe mordorée qui tranchait avec les frustes manteaux des membres de notre clan. Le fameux prophète qui veillait au sommet d’Acamur nous salua gravement.

« Bienvenu à Kaïm-Citra, mes jeunes amis » fit-il en nous invitant à le suivre.

Kaïm-Citra, le cercle de monolithes, enfin !
A bout de force, nous franchîmes les derniers mètres pour atteindre les délicates structures de psycho-cristal qui abritaient les âmes des exodites défunts : des millions de nos ancêtres reposaient au sommet de la montagne Acamur, constituant un conseil des anciens à la sagesse millénaire.
Epuisés, nous tombâmes à genoux face à ces artefacts issus d’un age où les exodites étaient encore vassaux des orgueilleux vaisseaux-mondes eldars.
Les paroles rituelles franchirent nos lèvres engourdies : « Nous avons franchi les marais, dompté le Carnodon et gravi l’Acamur pour nous soumettre à votre volonté »

« Accueillez à présent vos aïeuls » répondit le prophète, impassible.

Et soudain, nous fûmes assaillis par un torrent d’émotions qui n’étaient pas les notre.
Des centaines de voix se mirent à résonner dans nos têtes, submergeant nos sens afin d’explorer les moindres recoins de notre subconscient.
Nous étions broyés par l’infinité des âmes de nos ancêtres, qui pénétraient notre intimité sans que nous puissions leur opposer la moindre résistance.
Vi-Cem se tordait sur le sol gelé, l’écume aux lèvres, tandis que Sa-Hum, secoué de spasmes, s’arrachait les cheveux par poignées entières.
Et moi…
Je tentai vainement de repousser la cacophonie qui emplissait mon crâne à l’aide d’exercices de relaxation qui nous avaient été enseignés : c’était comme lutter contre un raz-de-marée et mes pauvres défenses furent balayées par les esprits millénaires qui ne cessaient de répéter les mêmes mots, fruits de tous mes désirs :

« Chevalier-Dragon… Chevalier-Dragon… »

Malgré la douleur, je parvins à sourire.
Oui ! Chevalier-Dragon !
Par mon exemple, je transformerai cette caste de spadassins sans envergure en un ordre codifié et respectable. De ces paysans, je ferai des seigneurs de guerre capable d’écraser les machines de guerre des hommes.
Mes visions d’avenir se déployaient face aux âmes de mes ancêtres dont je sentais le tumulte décroître. Je leur projetai des images de mes guerriers raffinés qui feraient de notre monde une puissance reconnue mais aussi une perle gracieuse.
Peu à peu, je retrouvai la maîtrise de mes pensées et je parvins même à sourire alors que les esprits refluaient vers le Kaïm-Citra. Rayonnant, je pus enfin reprendre conscience de mon environnement immédiat : le froid, Vi-Cem et Sa-Hum qui se remettaient péniblement debout, et le prophète qui me contemplait derrière son masque inexpressif.
Il fit un pas vers moi et me toucha délicatement l’épaule.

« En dépit de l’enseignement des exodites, tu as choisi la voie de l’eldar » constata-t-il.

Mon sourire se figea. J’allais protester mais il poursuivit :

« Cette voie pavée d’orgueil et de pulsions refoulées a causé l’avènement du Prince du Chaos et la chute des vaisseaux-mondes. Une telle tragédie ne doit pas se reproduire »

Je fis un pas en arrière, en me tenant la tête à deux mains, alors qu’à nouveau, le flot des âmes envahissait mon esprit. Mais cette fois, il n’était plus question de sonder ma psyché.
Elles n’avaient plus qu’un but.
Détruire.

Hébétés, Vi-Cem et Sa-Hum virent Mo-Tam tituber avant de s’écrouler, les yeux révulsés.
Le prophète se tourna vers eux :

« Mes jeunes Chevaliers-Dragons, il est temps pour vous de prendre le chemin du retour. Que l’échec de votre camarade vous serve de leçon. N’oubliez jamais : la voie de l’eldar mène à la déchéance »

Les yeux embués de larmes, les deux jeunes exodites jetèrent un dernier regard à leur compagnon, avant de s’élancer dans le blizzard.

Les commentaires sont clos.