Challenge n°19 – Texte n°3

Baal-Moloch

Deux serviteurs décérébrés, pourvus de lances terminées d’une parabole en plastique s’assuraient qu’il n’y avait pas le moindre mouchard dans la pièce.

Cette salle était située au troisième sous-sol de la résidence et son unique accès verrouillé de l’intérieur. Lorsque le champ d’isolement fut enclenché, ils purent en ressentir la pression caractéristique dans leurs tympans. Tous, évidemment, auraient préféré tenir leur concile dans le solarium aux grandes baies vitrées blindées, mais tel était leur apanage : agir sous le sceau du secret.

Le décor n’était pas déplaisant pour autant ; tout tapissé de lambris aux essences rares, des fauteuils confortables et fonctionnels, une lumière agréable diffusée par de nombreux lumiglobes savamment disposés et une table couverte de mets tous plus délicieux les uns que les autres, sans parler des vins.

Trois Inquisiteurs y siégeaient. Ceux-ci éprouvaient tous une certaine animosité et beaucoup de méfiance les uns envers les autres : l’un d’eux était fautif aux yeux du Légat. Mais qui ? C’est ce que le quatrième interlocuteur, leur hôte, devait annoncer. Ce dernier les considéra tour à tour.

D’abord Möll Schiff, Ordo Malleus. Un personnage replet et grossier qui s’était précipité le premier sur les plats, avalant à pleine main des quantités gargantuesques. Manifestement honteux de sa calvitie, il portait un postiche brun qui soulignait un large front barré de sourcils broussailleux. Un gros nez porcin, un regard bleu et humide de chien battu, des joues flasques et rosâtres, des lèvres dodues parachevaient le portrait de cet homme uniquement affublé d’une sorte de peignoir grenat, d’un saroual coordonné et d’un foulard anthracite.

Ensuite Cresp Rice, Ordo Xenos. Grand, mince, très mince même ; il n’avait pas bronché d’un iota depuis qu’il s’était assis, raide comme la justice et les doigts crispés sur les accoudoirs. Tout dans son port, ses manières et le timbre de sa voix exprimaient la noblesse. Ses traits aussi, taillés à la serpe. Des cheveux blonds en pagaille cachaient en partie ses prunelles noires, tranchaient avec son bronzage uniforme. Il portait une combinaison standard de l’Arbites, ainsi qu’une cape azurée jetée négligemment sur ses frêles épaules.

Enfin Sienna Pandh, Ordo Hereticus. La septième fille d’un septième fils, une sorcière chasseuse de sorcières à la réputation sulfureuse, tout comme sa beauté préservée par le juvenat : une peau diaphane, une chevelure rousse qui tombait en cascade sur sa nuque, un visage fin, des yeux de jade. Elle n’arborait aucun bijou, sa robe vert céladon ultra-moulante et ses courbes aguichantes suffisaient amplement pour faire tourner les têtes et cette superbe garce le savait pertinemment. Bras croisés, sûre d’elle en apparence, elle attendait que la sanction tombe, affichant un sourire espiègle.

– Le Chancelier Elder est mort. Constata le maître des lieux.
– Et bien oui quoi ! Evidemment qu’il est mort ! S’exclama Schiff sur le qui-vive. Je suis bien placé pour le savoir puisque Terra a ratifié ma demande. Elder était en accointances avec les Puissances du Chaos, il devait être impérativement supprimé.
– Néanmoins l’Officio Assassinorum déplore la disparition de l’agent diligenté pour cette mission.
– La Callidus ? Ceci est du ressort de l’Ordo Sicarius. Je n’y suis pour rien.
– Nous ne partageons pas votre avis…

Rice opina du chef. Nettement détendu, il s’autorisa à grignoter quelques amuse-gueule.

– Vous semblez m’approuver Cresp. Ce qui n’est pas notre cas vous concernant.
– Plaît-il ? S’étonna l’agent impérial.
– L’Exterminatus contre la colonie de la Nouvelle Acadia…
– Un mal nécessaire. Le risque de contamination extraterrestre était bien trop important, cela requérait une solution radicale.
– Et sur quelle preuve vous êtes vous appuyé ? Principalement des ouïe-dire. Vous voilà maintenant avec des milliers de morts sur la conscience et le renom de notre organisation s’en trouve une fois encore entaché.

Pandh fit alors mine de se lever. Elle n’ignorait pas qu’elle allait être la prochaine cible de la vindicte de leur détracteur. Ce dernier lui fit signe de ne pas bouger.

– Ne nous quittez pas maintenant. Il vous faut d’abord répondre de vos choix tendancieux.
– Je serais curieuse de connaître vos griefs à mon encontre.
– Vos exactions sont hélas bien trop nombreuses. Je me contenterai de mentionner votre dernier exploit : le pogrom au sein des cités-ruches de Korso IX. Etrangement, seuls vos opposants politiques en ont été victimes.
– Espèce de salopard ! J’ai procédé sur votre sollicitation ! Eructa l’Inquisitrice.
– Sienna, Sienna, Sienna… Vous avez opéré tous les trois sous mes instances…

Ils n’arrivaient tout simplement pas à en croire leurs oreilles ; depuis le début, ils avaient été manipulés ! Et cette révélation leur avait été faite avec un tel calme, une telle indolence.

– Je… J’avoue ne pas bien saisir. S’exprima Cresp Rice défaillant. Lequel d’entre nous sera réprimandé alors ? Et pourquoi ?
– Vous ne voyez donc toujours pas où je veux en venir ? Il ne s’agit que de prétextes, de raisons officielles légitimant votre exécution. N’y voyez là rien de personnel. Malheureusement pour vous, vous en savez trop à mon sujet.

La perruque de guingois, Möll Schiff se dressa d’un bond, renversant sa chaise. Celle-ci s’écrasa bruyamment aux pieds des serviteurs qui continuaient indifférents leur inspection.

– C’est une infamie ! Jamais nous n’accepterons cela !
– Comme si vous aviez le choix ! Le repas vous a-t-il plu ? C’était le dernier.
– Un peu de dignité, Möll. Intervint Rice, les mains plongées dans sa tignasse. Il est déjà trop tard : cette ordure nous a empoissonnés.
– Je constate que vos collègues ont accepté leur sort. Rassurez-vous, je ne suis pas si cruel, vous ne souffrirez nullement.

Pour une fois, il n’avait pas menti. Une douce torpeur les envahissait déjà, et étrangement, une certaine euphorie. Les toxines faisaient leur œuvre : leur respiration et leur déglutition se faisaient plus laborieuses. Ils n’avaient plus la moindre force, ni la moindre volonté pour résister. Progressivement, un voile de ténèbres glissait devant leurs yeux.

Non sans ironie, l’amphitryon leur porta un dernier toast.

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