Challenge d’écriture n°35 – Texte n°1
Skritt – 1
Thriller here tonight
Pourquoi moi et pas un autre ? En sortant de mon trou, j’ai découvert que je n’étais pas seul. Nous ne sommes pas nombreux non plus. Je suis le seul de l’allée, et sur la parcelle nous sommes à peine trois ou quatre, autant dire pas grand chose par rapport à la population qui dort ici. C’est le même débat toutes les nuits –on ne sort que la nuit malheureusement, de peur d’effrayer-, pourquoi lui, elle ou moi, et pas celui là. Et notre vie d’avant, aura t-elle influencé notre vie de maintenant, beaucoup le pensent, d’autres prétendent le contraire. Enfin, on discute, on discute, et rien n’avance, nous n’en savons pas plus aujourd’hui que la veille, et demain, nous en saurons tout autant.
Ce que nous savons tous, c’est que nous mourrons à petit feu si je puis me permettre. Notre esprit et notre intelligence sont toujours là, encore que j’en connais un ou deux, tellement traumatisés, qui sont devenus complètement fous. Mais notre corps, notre corps se désagrègent, lentement. Poussière tu étais, poussière tu seras. Plus rien ne fonctionne comme avant. Je n’ai pas besoin ni de boire ni de manger, et je n’ai ni chaud ni froid. Si je me coupe un doigt, je n’ai pas mal, je ne saigne pas non plus. L’autre jour, ou plutôt l’autre nuit, il y en a un qui s’est cassé le pied, aucune douleur, il se l’est remis tout seul, il a boité pendant quelques temps, puis le pied est tombé, simplement. Notre lot quotidien n’est pas des plus commodes, et nous n’avons plus pour nous consoler le plaisir de la chair. Plus de goût, plus d’odorat, plus de toucher, heureusement que l’on peut parler et entendre encore. On voit aussi mais plus aussi bien, et la vue se détériore avec les mois qui passent.
La peau prend une teinte bleutée, ou verdâtre, elle craquelle et l’aspect que nous avons au fur et à mesure est de plus en plus dégoûtant. Je n’ose pas imaginer la peur que pourrais avoir n’importe quelle personne saine d’esprit si elle nous voyait à la lumière du jour en train de déambuler dans les rues de la ville, d’un pas hésitant, claudiquant.
Notre corps se désagrège petit à petit, inexorablement, et j’espère que mon âme se volatilisera lorsque mes membres n’arriveront plus à me soulever. Horrible serait cette souffrance de rester enfermé dans un corps pourrissant pour l’éternité. Le plus vieux du groupe n’a même pas un an de plus que moi, en année de vie après la mort, ou dans la mort devrais-je dire, c’est vous dire comme nous nous décomposons rapidement.
Alors, vous comprendrez aisément pourquoi nous souhaitons en profiter avant que le temps ne fasse son œuvre. Et lorsque je suis revenu avec le journal du jour que j’avais récupéré sur un banc du square, que j’ai montré la petite annonce au groupe, que je l’ai lu à haute voix à toutes et à tous. Personne n’a réagi sur le moment, j’étais le seul à supposer une suite intéressante pour nous tous. Montrer au monde notre existence, nous montrer sous notre réelle apparence, sans nous cacher.
J’ai entendu des voix dans l’assistance dire que des films avaient été faits sur nous, que nous étions considérés comme des monstres, je les connais, je les ai vu aussi. Ces films, il faut avouer que certains sont bien faits, mais faire croire qu’on se repaît de viscères et de sang, c’est complètement absurde mais ça fait vendre. J’ai donc décidé d’aller passer l’entretien seul sans cette bande de rabats-joies, j’arriverais en fin de journée, quand la nuit commence à tomber.
Le lendemain, alors que je m’apprêtais à partir, j’ai été rejoins par un membre de notre groupe, c’était l’un des plus anciens. Il m’a juste dit qu’il voulait revoir des gens normaux, discuter et rigoler encore un peu, avant de quitter définitivement ce monde. C’est vrai qu’il était dans un sale état, j’ai essayé de l’en dissuader mais j’ai rapidement abandonné. Que peut-il nous arriver de pire que l’ennui et nous le cultivons suffisamment durant notre trop courte existence.
Ils demandaient deux personnes à cause d’un désistement de dernière minute. Le dernier jour de répétition était pour le lendemain, en costume. Ils avaient besoin de deux danseurs et ils appréciaient que nous nous soyons présentés maquillés et déguisés. Puis nous nous sommes exécutés, mon nouvel ami refaisait à la perfection nos ersatz dans les films, et moi je reproduisais quelques pas appris dans ma vie d’avant dans des cours de danse contemporaine que je prenais avec ma femme. Ils nous remercièrent vivement de les sortir d’un mauvais pas et nous conviaient à participer à leur projet, qui d’après eux, était révolutionnaire.
Nous sommes arrivés à l’aube comme convenu. Nous apprenions donc les pas avec les autres danseurs de la troupe, en musique, et enfin nous retournions chez nous le soir, heureux. Le projet devait être filmé, et c’est sur le petit écran que nous pourrions révéler au monde notre existence. Nous nous sommes amusés comme des fous, les autres en étaient jaloux, mais ils nous posèrent quantité de questions, nous racontions ce que nous avions vus et faits, nous étions euphoriques.
Le jour d’après, nous nous sommes rendus au studio pour tourner les séquences. Mon ami, qui s’appelait Henri dans sa vie d’avant, ne tournait pas en même temps que moi. Mais j’assistais à chaque essai. Pendant une prise, il a perdu son bras. Il est tombé tout simplement, il a fait comme si de rien n’était et a continué jusqu’à la fin. Le réalisateur, un certain John, a crié « c’est dans la boîte ». Drôle d’expression qui nous a fait froid dans le dos. L’équipe de tournage avait l’air ravi de cette initiative et quelques-uns sont même venus le féliciter. La dernière prise avait été la bonne.
Je suis ensuite entré en scène, la troupe s’est installée et nous avons commencé. Je lève les bras, quelques pas vers la droite, quelques pas vers la gauche. Le chanteur est venu s’installé devant nous, et nous avons dansé ensemble. Demi-tour, quelques pas puis demi-tour.
A la fin de la journée, avec Henri nous sommes allés voir cette célébrité internationale qui faisait un travail formidable. Il portait toujours sa veste rouge, et malgré la fatigue qui se lisait sur le visage, et le maquillage, il avait encore un visage d’enfant. Sa voix était fine. C’était du talent à l’état pur, un don qu’il avait su exploiter, mais il savait rester humble.
J’ai adoré le coup du bras, fit-il à Henri qui gardait ce dernier avec sa main encore valide. Il ne nous en fallait pas plus, nous sommes repartis, un sourire illuminait notre visage, malgré les dents quelque peu gâtées.
Quelques semaines plus tard, un soir, je marchais paisiblement dans la rue, vêtu d’un large blouson à capuche pour masquer le peu d’humanité qui me restait, seul. Henri n’était plus. On était en Décembre. Devant une boutique, je me suis arrêté pour regarder les télévisions qui retransmettaient une des premières chaînes musicales. La danse était l’une de mes passions de ma vie d’avant, et les chorégraphies dans ces « clips vidéo » me plaisaient, ça bougeait, c’était vivant.
Ce chanteur dans sa veste rouge, se déhanchait devant sa copine, accompagné de morts-vivants. J’étais comme hypnotisé devant la vérité qui s’affichait au grand jour mais que jamais personne ne verrait. Même dans ce court métrage, les clichés avaient la belle vie, mais après tout… Je repartais avec la sensation d’avoir fait plus en quelques mois que ce que j’aurais pu faire pendant toute une vie.
J’étais en paix, je me sentais prêt à partir, définitivement.
You know it’s thriller, thriller night You’re fighting to survive inside a killer, thriller tonight