Challenge d'écriture n°28 – Texte n°1

Bat

-” Et pourquoi est-ce que je ne devrai pas y aller, donne-moi une seule bonne raison !

– Calme toi, mon Dodu… Tu sais ce que j’en pense : c’est une drôle d’idée… Et puis, quand tu en reviens, tu sens le poisson, la vase… Je suis sûre que c’est dégoûtant là-dessous : noir, pourri, rempli de créatures gluantes qui te frôlent, pouah !

– Là, M’man, tu te trompes complètement : si tu savais comme l’eau est claire en profondeur, comme c’est merveilleux de plonger toujours plus bas, comme je me sens libre dans les recoins de la terre, tout entouré d’eau. Tous les jours, ma respiration se transforme. Je sens que quelque chose se passe dans mes poumons, que j’ai de moins en moins besoin de remonter à la surface : c’est une expérience fantastique. Tu parles vraiment comme quelqu’un de borné, qui n’a jamais plongé son nez sous la surface… Et puis arrête de m’appeler ton Dodu : j’ai grandi maintenant, je ne suis plus un bébé, je mesure au moins cinq mètres de plus que toi

– D’accord fiston, mais comprends moi : un fils qui passe son temps sous l’eau, parfois plusieurs heures, alors que personne dans la famille ou dans l’entourage ne sait nager…Et si tu te noyais, ou si tu te faisais attaquer par une créature malfaisante : dans ces profondeurs, tu ne contrôles plus rien et nous non plus

– Maman, calme-toi donc ! Qui est plus fort que nous sur terre, hein ? Alors qui peut me faire peur sous l’eau ? Je nage aussi vite que je cours, et tu sais comme je suis fort à la chasse : je mange qui je veux, quand je veux !!!

– C’est bien le problème : quand on est le meilleur chasseur, quand on est admiré par tous les autres, quand on peut avoir plein d’amis, quand on doit se préparer à succéder à son père en tant que chef de groupe, quel intérêt y a-t-il à passer son temps tout seul, au fond d’un trou d’eau sans fond ? Tu t’imagines fonder une famille et, plutôt que de voir éclore ton successeur, essayer de battre ton record d’apnée ??!!

-J’en étais sûr ! La voici ta bonne raison : tu me trouves bizarre, pas conforme. Tu ne comprends pas qu’on puisse aimer l’eau pure, qu’on puisse aimer la solitude, qu’on rêve de quitter un groupe de sauvages qui ne pensent qu’à courir et se goinfrer. Je me contrefiche de ma descendance. Vous ne serez bientôt plus sur terre : votre esprit est trop étriqué, votre cerveau ne contient rien d’intéressant : pas d’imagination, pas de douces folies, pas de sombres angoisses, rien, vous êtes trop nuls.

– Nessie, tais-toi immédiatement ! J’essayais une fois de plus de discuter avec toi, de te faire changer d’avis en douceur. Tu sais ce que ton père pense de tes élucubrations et de tes prétendues « visions » de l’avenir. C’est ton cousin qui deviendra chef. Le clan va t’exclure. Ton propre père te désavoue. J’ai honte pour toi.

– Un dingue, voilà ce que vous pensez tous ! Mais excluez moi donc ! J’ai mon chez moi : il est dans les profondeurs. Je te parie qu’avec l’entraînement, je suis capable d’y rester des années, des milliers d’années sans vous. Oui, j’ai des visions, et alors… Cette étoile qui tombe et qui ravage tout, le feu, la cendre, le ciel obscurci durant un temps infini, notre peuple agonisant et mourant de faim, je les ai vus ; ces profondeurs qui peuvent nous permettre de survivre, cette eau qui m’entoure, comme si j’étais dans un ventre, je sais que c’est notre seul avenir, que vous aussi, il faudra que vous y descendiez. Je t’en supplie, Maman, il faut me croire, il faut convaincre Papa, il entraînera tout le groupe et nous serons sauvés.

-Va-t-en Nessie. Pars mon fils. Ton père arrive et tu connais sa violence. Il montre les dents, il écume et siffle. Il m’avait donné une dernière chance pour te convaincre. Il veut te supprimer. Cours là-bas, plonge, cache-toi. Tu dois y aller…

Nessie, dans son loch, dernier survivant d’une espèce éteinte depuis longtemps, remonte parfois jeter un coup d’œil à l’extérieur : il espère encore qu’un membre de sa famille aura survécu à l’étoile de feu. Il replonge tristement après avoir vu de misérables petites créatures essayer de lui faire des signes. Il préfère sa solitude et ses belles eaux secrètes à l’incompréhension ou la trahison.

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