Challenge Flash n°8 – Anthony

Nager contre nature

Surplombant sa dernière victime de toute sa masse sombre, la créature contempla le corps frêle dans lequel elle avait plongé ses mains. Lentement, elle secoua la tête et de la poussière alourdie de sang tomba en une épaisse pluie sur le cadavre. Elle avait, avec ce jeune homme, essayé sa toute dernière idée et celle-ci n’avait pas plus fonctionné que les précédentes tentatives. Elle avait besoin de faire le point, de prendre du recul.

 

La créature avait commencé par voler des vêtements pour se mêler aux humains, mais sa carrure et les relents qu’elle laissait dans son sillage avaient très vite alerté la milice et les quatre soldats qui lui avaient donné la chasse avaient été les premiers inscrits à son tableau de chasse. Ce fut à ce moment qu’elle comprit la différence majeure entre ces créatures qui la fascinaient tant et son propre corps. Eux étaient de chair molle, d’organes tout aussi mous, soutenus par des os à peine plus résistants et empaqueté dans un sac de peau là où elle était terre, pierres et métaux que rien n’ébranlait. Elle avait prélevé des yeux, plusieurs paires, qu’elle avait absorbé tout d’abord, puis qu’elle s’était implantée pour voir comme voyaient les humains, mais cela ne lui avait strictement rien apporté. Elle avait pris des lèvres pour tenter de communiquer avec un enfant qu’elle avait capturé, mais elle n’avait pu produire de mots malgré toute sa bonne volonté. En disséquant le jeune garçon, elle avait compris que la structure interne des humains était beaucoup plus alambiquée qu’à première vue. Ils n’étaient pas de simples amas ou empilements organiques comme elle l’avait conçu quand elle avait éparpillé les miliciens, tout en eux était connecté et entremêlé avec un degré de complexité qui ne lui était pas accessible.

La créature ne s’était pas découragée pour autant, elle avait fait de nombreuses expériences, attrapant avec agilité et silence de nouvelles victimes, même parmi les soldats professionnels que le suzerain local avait dépêché dans le village surplombant les souterrains où elle avait élu domicile. Elle coupait les membres, retirait des organes les uns après les autres pour déterminer ce qui était superflu dans les corps des hommes, pour cerner l’essence même de l’humanité à laquelle elle aspirait mais de laquelle elle s’éloignait pourtant à chacun de ses crimes. Elle comprit bientôt qu’elle n’arriverait à rien ainsi, ses prisonniers mourant des traitements qu’elle leur infligeait sans qu’elle ne comprenne la logique des décès. Elle se résolut alors à capturer un homme qui était versé dans les médecines et les sciences, afin qu’il réponde à ses questions, mais le vieillard tomba raide mort quand elle se saisit de lui dans sa poigne effarante.

 

Se souvenant après cet épisode d’une coutume qu’elle avait entraperçu en surface, elle en conçut une nouvelle approche. Etant un être à l’épiderme de terre et en étant sortie, et les humains enfouissant leurs morts, peut-être était-elle elle-même un ancien humain qui se serait libéré de son tombeau après que la matrice bourbeuse ait remplacé ses os par du métal et ses organes par de la pierre ? Si elle reproduisait le phénomène opposé, sûrement pouvait-elle en toute logique inverser le processus !

Cette nuit-là, la créature fit une descente dans un quartier qu’elle avait épargné jusque-là et fut l’épicentre d’une gigantesque hécatombe. Les hommes, femmes et enfants avaient beau fuir, elle était plus rapide malgré sa masse, plus puissante, plus formidable, résistante aux armes qu’on brandissait devant elle, insensible aux banderilles de feu qu’on plantait dans son corps. Elle retourna à l’aube dans son repère, après plusieurs macabres voyages, ses mains comme des battoirs chargés de corps désarticulés à chaque fois.

 

Sept lunes. Elle resta sept lunes sous le charnier jusqu’à ce que l’amas de chair putride la surplombant ait complètement disparu sous l’assaut des larves et des charognards, pour laisser la place à un ossuaire luisant légèrement dans la phosphorescence du souterrain. La créature s’extirpa des os, la colère aiguisée par ce stratagème vain, prête à mettre en œuvre une nouvelle idée. Plutôt que de s’enterrer sous des dizaines de morts, peut-être devait-elle revêtir une peau et une seule ? Que la transformation tant espérée ne pourrait prendre place que sous ces conditions particulières ? La bête meurtrière se mit alors en quête d’un homme suffisamment volumineux pour que, une fois écorché, elle puisse se glisser dans son manteau de peau. Elle peina à trouver un tel personnage, la région étant jour après jour désertée par toujours plus d’humains. Elle en dégotta finalement un, gros bourgeois tremblant et vacillant dans sa grande propriété, occupé à empaqueter des monceaux d’or qui n’étaient d’aucun intérêt aux yeux de la créature.

Après avoir mis le plus grand soin dans la récupération de la peau du marchand, elle se confronta en quelques jours au même échec que sa précédente tentative, ce qui l’amena à la dernière idée qu’elle venait à peine de mettre en pratique. Mais, se rendit-elle compte, manger des cerveaux ne lui procurait pas plus de sensations et ne la transformait toujours pas en homme.

 

Se détachant avec une pesante peine de la vision de sa dernière victime, la créature meurtrière quitta ses souterrains pour aller s’allonger sous la voûte céleste et contempler les étoiles, solitaire. Elle était un golem, comprit-elle, et rien n’aurait pu changer cela…

Note finale : 2.7/5

Une réponse le “Challenge Flash n°8 – Anthony

  1. Atorgael dans

    Ils ont commenté :


    Beaucoup de superlatifs pour décrire la créature.
    Sinon le thème est parfaitement respecté par cette chute.
    Une petite invraisemblance quand la créature chope un médecin : comment peut-elle reconnaitre un individu d’un autre de part sa profession…
    Et puis je n’ai pas bien compris le rapport du titre avec le texte, je me suis tout de suite attendu à une créature marine.


    Très bon, bien tourné, j’adore.


    J’avoue que je suis franchement resté sur ma faim avec ce texte.
    La situation est exactement la même entre le début et la fin, et les stratagèmes me semblent tirées par les cheveux. Notamment, celui où « il faudrait reproduire le procédés inverse ».