Challenge Flash n°8 – Estée R.

Intrusions

— Vous vous moquez de moi !

— Non ! Loin de moi cette idée…  Vous me demandez, je vous réponds honnêtement.

    Elle laissa échapper un rire nerveux. Le canon de son arme toujours menaçant.

— Honnêtement ? Mais qu’est-ce que vous savez de l’honnêteté, vous ?

    Il n’avait rien à répondre à ça. Surtout étant donnée la situation. Baissant un peu les bras, qu’il avait encore au-dessus de la tête, il désigna sa veste du menton :

— Je vous dis la vérité. Tel que vous me voyez, je ne suis que moi. Pas d’arme, pas de piège. Je ne porte que mes vêtements et mon portefeuille dans la poche de mon veston… Vous voulez le voir ?

— Allez-y. Mais envoyez-moi ça tout doucement.

    Sentant la situation se détendre, l’homme montra cette fois un fauteuil, les mains toujours bien en évidence. N’obtenant qu’un regard lourd, méfiant et indécis, il finit par s’asseoir.

    Elle examinait les papiers d’identité d’une main, avec la plus grande concentration. Au bout d’un moment, elle sembla se relâcher vraiment, prit place sur une chaise face à lui, croisa haut les jambes, et dit :

— Donc, Marcus Langtom, né en 78 à Arras, sans signe particulier, pouvez-vous m’en dire plus sur vous ? Que faites-vous dans la vie ? Je ne suis pas certaine d’avoir bien compris.

— Eh bien, je suis Vide-pochologue.

— OoooKey ! Jamais entendu parler de ça. C’est un vrai métier ?

    Elle n’avait pas réussi à cacher l’ironie de sa voix. Visiblement, elle ne savait pas quoi penser de lui. Il choisit de continuer sur sa lancée, d’être sincère et courtois, histoire de lui faire oublier ses griefs.

— C’est un vrai métier, absolument. Peu connu, mais en voie de développement, si je puis dire.

— Il va falloir que vous m’expliquiez.

— Eh bien, je travaille à mon compte. Je suis consultant. Mon job est d’étudier et d’analyser les vide-poches de certaines personnes dans le but d’établir leur profile psychosocial.

— Vous m’en direz tant… C’est sérieux ?

— Oui, tout à fait. Je peux…

— Écoutez, le coupa-t-elle. Je ne comprends rien. Donnez-moi des exemples. Vous dites consultants, mais concrètement vous parlez de quoi ? Moi, cela m’évoque des experts pour les grandes entreprises, pour la justice, lors de procès…  Mais des « vide-pochoirs »…

— Vide-pochologues.

— Si vous voulez. Donc, avez-vous déjà travaillé pour la police ? Sur des scènes de crimes, par exemple ?

— Cela m’est arrivé. Mais la plupart du temps je travaille pour des sociétés de recrutement qui veulent se faire une idée sur leur nouvel employé avant de prolonger une période d’essai. J’analyse alors le vide-poche de leur bureau. Parfois celui, plus personnel de leur logement. Mais il arrive aussi que je sois engagé par des particuliers, des jeunes couples qui veulent savoir s’ils seront compatibles au quotidien, vous voyez ? Juste en mettant le nez dans l’espace intime le plus petit et le plus fourni d’un appartement.

— Je vois, oui. Tout à fait. Et je trouve ça fascinant, j’avoue…

    Elle sentait la nervosité reprendre le dessus. Cette conversation polie n’avait rien d’anodine. Il faudrait bien en venir aux faits. Elle n’osait cependant pas aller trop vite et choisit de continuer sur le même ton :

— Et quelle formation avez-vous reçu ?  Quelles qualités diriez-vous qu’il faut posséder pour exercer votre métier ?

— J’ai des notions de psychologie et de sociologie, cela va de soi. Mais j’ai aussi une bonne acuité visuelle, un sens de l’observation très développés, une certaine logique, ainsi qu’une connaissance aiguë des modes de vie contemporains et des travers humains.

— Et, cela rapporte bien ?

— Assez. En France, je suis le seul à exercer cette spécialité, voyez-vous. Et mon petit bizness commence à faire parler de lui dans les milieux intéressés. Je suis assez populaire bien que très discret.

— En somme vous avez un boulot en or. Y a-t-il des risques ?

— En général non, je suis invité chez les personnes qui louent mes services et tout se passe bien. Il se peut, bien sûr, que mon expertise ne soit pas du goût de celui que j’ai « analysé » mais, à vrai dire ce n’est pas mon problème. Par contre, je dois parfois entrer chez les gens sans les prévenir. Il me faut alors travailler très vite. Prendre une photo mentale, voire quand j’ai le temps une photo numérique du vide poche incriminé et me sauver bien vite. Voyez-vous, tout dépend de qui m’engage et de pourquoi.

— Ce qui nous amène tout droit à ces brûlantes questions : Qu’êtes-vous venu faire chez moi ? Qui vous a engagé cette fois-ci ?

— Effectivement. Je me demandais quand vous les poseriez. Allons, vous ne devinez pas ? Mais voyons Madame le premier ministre, mes plus gros clients sont les magazines people et la presse à scandales !

    Le sourire de l’homme était suffisant, carnassier. Elle se raidit et ne put empêcher un regard vers le petit panier, sur le guéridon, près de la porte d’entrée.

    Quelle gourde ! Elle laissait trainer tant de choses dans son vide poche. S’il disait vrai, il l’avait vu, il savait tout d’elle, et il parlerait…

Sa mâchoire se serra imperceptiblement. Que risquait-elle  vraiment ? Après tout, il était entré chez elle par effraction.

    Elle releva le canon de son révolver et tira.

Qui irait l’en blâmer ? Elle n’avait pas eu le choix. Il était entré chez elle. Il connaissait son secret. Et rien n’aurait pu changer cela.

Note finale : 3.3/5

Une réponse le “Challenge Flash n°8 – Estée R.

  1. Atorgael dans

    Ils ont commenté :


    Du coup on se demande quel était ce secret ! Bien joué !
    Pas grand chose à redire, c’est bien écrit, bien mis en scène et les éléments nécessaires à l’intrigue tombent parfaitement.
    Et le thème est respecté.


    L’idée est très sympa, bien amenée. Le texte en lui-même nous laisse sur notre faim avec ce fameux secret, mais c’est le jeu !


    Une idée particulièrement intéressante ce Vide Pochologue. Le nom n’est pas terrible mais la profession est particulièrement bien trouvée.
    j’avoue que l’histoire se borne quasiment à décrire cette profession, mais le concept serait à reprendre dans une histoire plus longue.