Meinhoff

L’armée des orques avançait, la horde de peaux-vertes approchait du Château de Meinhoff par l’ouest, se détachant sur un paysage de soleil couchant. Albrecht, l’un des arbalétriers stationnés sur les remparts, cligna des yeux, puis fixa l’horizon. Il aurait juré avoir vu quelque chose…

Là! Ces satanés peaux-vertes poussaient une drôle de machine de guerre. Il plissa les yeux pour mieux voir, mais le contrejour ne lui permit de discerner qu’une forme ondulante. Probablement une tour de siège, pensa-t-il, et il cria un avertissement aux défenseurs à ses pieds. Des défenses de siège avaient été hissées jusqu’aux créneaux et des centaines d’archers alignés le long des murs choisissaient déjà leurs cibles.

Tandis que l’armée se rapprochait, Albrecht’; eut l’impression d’entendre un beuglement sourd. Dans le passé, il avait déjà entendu les terribles cris de guerre des orques, mais celui-ci était pire que dans ses souvenirs.

La nuit allait bientôt tomber et la horde était assez proche pour qu’Albrecht puisse utiliser sa lunette sans être aveuglé par les rayons du soleil couchant. Quelque chose l’inquiétait à propos de cet engin de siège, ce beuglement n’avait pas l’air de venir de nombreuses voix, mais d’une seule…

Albrecht régla sa lunette, la porta à son œil droit puis la laissa soudain tomber au sol en poussant un cri de terreur. Le sergent Luthor courut jusqu’à lui pour savoir ce qui se passait, suivi par une poignée d’arbalétriers. Chacun à leur tour, ils jetèrent un coup d’œil dans la lunette en marmonnant un juron ou une courte prière.

Cette chose n’était pas une machine, mais une créature vivante de la taille des murs du château qui marchait comme un homme, mais parcourait à chaque pas une trentaine de mètres. La chose transportait un tronc d’arbre en guise de gourdin, des charognards tournaient autour de sa tête et elle les chassait d’un geste comme on chasse ordinairement des mouches. Un géant accompagnait les orques.

Les peaux-vertes s’arrêtèrent, les Chevaucheurs de Sangliers retenaient à grand-peine leurs montures. Dans les rangs des gobelins, des milliers de ces petites créatures malveillantes se poussaient et se bousculaient. Les chefs orques hurlaient et menaçaient leurs régiments pour avoir le calme. Des catapultes et des balistes se mirent en position. Lentement et maladroitement, les orques s’alignèrent plus ou moins en ordre de bataille. C’était la plus grosse armée d’orques qu’on n’avait jamais vue à Talabheim, et les défenseurs du château apprêtèrent leurs armes en hâte, poussés par la peur.

Maintenant que les orques étaient assez près pour être distingués les uns des autres, la taille du géant était encore plus terrifiante. Il était nettement plus grand que les lance-rocs et les Trolls, et marchait parmi les rangs comme un homme marche dans l’herbe.

Les défenseurs virent au loin le Seigneur de Guerre orque lever son étrange épée vers le ciel. A son signal, l’armée entière se tut, à l’exception de deux bandes de gobelins qui venaient de se prendre soudainement en grippe. Ce qui avait commencé par , une dispute dégénéra rapidement en mêlée. Vétéran de nombreuses batailles, Albrecht était sidéré par ce manque de discipliné. ci regarda les orques furieux se diriger vers les gobelins et les rappeler à l’ordre à grands coups de pied.

Un grand “Chut” monta des rangs des attaquants. Les orques reprirent le contrôle de leurs troupes et la horde resta silencieuse pendant un moment, mais on entendait encore quelques gobelins se lancer des quolibets et des insultes. Les deux armées s’observaient, dans l’attente de l’attaque à venir.

Sans aucun signal, un cri de guerre monta des gorges de milliers d’orques, puis les gobelins y mêlèrent leur hurlement nasillard. Même les Trolls se mirent a’ brailler.

Alors la créature donna aussi de la voix, recouvrant presque le bruit de l’armée entière.

Les cris avaient à peine cessé lorsque la horde entière chargea, telle une immonde marée verte se jetant sur les remparts, le géant au beau milieu d’elle.

Immédiatement, tous les- doigts lâchèrent les cordes des arcs et le ciel s’assombrit. Une pluie mortelle de flèches s’abattit sur les peaux-vertes. Des dizaines d’orques tombèrent et s’écroulèrent sur le sol, en portant la main à la blessure qui avait eu raison d’eux. Des centaines de gobelins moururent dans l’assaut, leurs formations étaient tellement compactes qu’une seule flèche en embrochait plusieurs. Des Pistoliers et des Chasseurs, sortis du château sans avoir été remarqués, manoeuvraient sur les flancs de l’ennemi, tandis que le gros de l’armée orque recevait les projectiles des mortiers qui explosaient au milieu d’elle en projetant à chaque fois des poignées de peaux-vertes.

En réponse, les balistes et les lance-rocs commencèrent à pilonner les remparts à coups de rochers et de flèches gigantesques. La maçonnerie séculaire tremblait sous les projectiles, mais les murs tinrent bon, et les défenseurs des fortifications ne souffrirent pas trop des machines de guerre des orques.

Malgré le carnage qui l’entourait, le géant continuait d’avancer. Sa peau était criblée d’une vingtaine de flèches, sans qu’il semblât en souffrir pour autant, et les servants des canons n’arrivaient pas à aligner leurs armes sur cette cible mouvante. Albrecht oublia sa peur et leva son arbalète vers le monstre qui s’approchait, en hurlant à ses hommes d’en faire autant.

On entendit un bruit sourd lorsqu’un des carreaux d’arbalète toucha l’œil droit globuleux du géant, en s’y enfonçant si profondément qu’il y disparut presque. Oubliant l’horreur des combats, Albrecht laissa échapper un cri de victoire. Cette grande brute allait sûrement…

La créature vacilla sur ses pieds et les défenseurs retinrent leur souffle… peut être allait-elle tomber. Les orques semblaient se poser la même question, car l’armée entière s’écarta, chaque individu cherchant à deviner où allait s’écraser le géant et espérait ne pas finir aplati sous sa masse monstrueuse. Mais cela n’arriva pas et, après avoir été déséquilibré un moment, le géant retrouva ses esprits et reprit sa charge en avant.

Il y eut comme un roulement de tonnerre. Des chaudrons d’huile bouillante furent renversés et tombèrent du mauvais coté des remparts. Un déluge d’énormes pierres tomba des murs sur les défenseurs, les écrasant comme des insectes. Le géant s’était jeté la tête la première sur les murailles.

En se relevant, Albrecht examina l’état du mur. Un grand renfoncement s’était dessiné dans l’antique ouvrage, qui n’avait pourtant pas cédé sous l’impact. Le géant s’extirpa du mur, emportant une partie de la maçonnerie avec lui. Il semblait que l’impact ne l’avait pas affecté, pas plus que la volée perpétuelle de flèches qui se plantaient dans sa chair.

Les Pistoliers avaient finalement réussi à s’approcher et chargèrent le monstre par l’arrière en déchargeant les balles de tous leurs pistolets dans ses jambes. Le géant se retourna et se baissa maladroitement. Albrecht ne put en croire ses yeux, un des cavaliers, ainsi que sa monture, furent soulevés de terre et projetés sur ses camarades avec une force incroyable.

Puis il y eut un autre coup de tonnerre. Les défenseurs redoutèrent le pire. Un autre géant s’était-il joint à l’attaque? Des yeux se tournèrent dans la direction d’où était venu le son, et d’autres regardèrent le géant vaciller comme un arbre abattu. Une clameur monta des rangs des défenseurs lorsqu’ils réalisèrent que l’équipage d’un des canons avait finalement réussi à prendre le monstre pour cible.

Puis les sourires se changèrent en rictus horrifiés lorsque le géant se redressa lentement. Il secoua la tête, encore étourdi par le tir du canon dont le boulet s’était logé dans son imposante poitrine.

Avec une rapidité surprenante, il attrapa un des servants du canon sur les remparts. Ses compagnons ne purent rien faire d’autre que regarder l’horrible monstre refermer ses mâchoires sur l’homme qui hurlait.

Lorsqu’il eut fini de manger, le géant traversa doucement l’armée orque pour s’éloigner du château, et jeta en arrière un regard mauvais sur le mur qui n’avait pas cédé. Alors qu’il avait presque atteint le; groupe de catapultes orques, il se retourna soudain et se mit à courir vers le château.

Il vint s’y fracasser tel un bélier démesuré, et tous les défenseurs furent jetés à terre. Les anciens murs ne purent en supporter davantage, et une brèche gigantesque s’ouvrit sous le poids du géant qui avait trébuché.

La panique était à son comble. Les soldats fuyaient en désordre, même ceux qui avaient survécu à des dizaines de batailles reculaient. Le géant était dans l’enceinte, et alors qu’il se relevait, des centaines d’orques se déversaient entre ses jambes. Le château Meinhoff était condamné.

Compilé par Kragor
Source : White Dwarf n° 80 - Octobre 2000
Retranscrit en octobre 2007 pour Le Sanctum

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