Tonnerre sur Gestheim

Les roulements des gigantesques tambours de guerre étaient à peine audibles au milieu des cris de guerre des peaux-vertes. Les troupes de Talabheim étaient organisées en formations très disciplinées. Le vacarme provoqué par l’ennemi emplissait l’atmosphère et les orques apparurent enfin à l’orée de la forêt. Le Comte Electeur Schepke, chevauchant sa fidèle monture, leva son épée bien au dessus de sa tête et s’adressa calmement à ses troupes.

“Restez en formation!” leur cria-t-il. “Artilleurs, soyez prêts à faire feu!”

Sa voix était presque entièrement masquée par les hurlements qui s’échappaient de la horde orque. Un véritable mur vert se dressait devant les braves soldats, hurlant défis et insultes et frappant à grands coups de Kikoup’ sur les armures rouillées. Quel contraste avec les troupes impériales parfaitement alignées!

Les habitants de Talabheim s’étaient crus en sécurité au cœur de la Grande Forêt. Leur vigilance s’était ainsi relâchée au fil des années durant lesquelles ils n’avaient connu que paix et prospérité. Lorsque l’invasion orque commença, elle ravagea sans problème de nombreux villages aux alentours de la cité impériale. On signalait des orques partout, des bandes s’attaquaient aux fermes isolées puis disparaissaient tout aussi soudainement, ne laissant que ruines derrière elles. Seule la ville de Geistheim tenait encore sur la route qui menait les orques vers celle que l’on appelait le joyau de la Forêt.

Vétéran de nombreuses campagnes, le comte Otto Schepke avait deviné le plan qui se dessinait derrière les attaques des orks. Il avait rassemblé les régiments de chevaliers et avait fait route vers la petite ville pour alerter le bourgmestre du danger qui le menaçait. Si ses déductions s’avéraient exactes, il n’avait que peu de temps pour se préparer au combat. Le bourgmestre appela ses habitants à prendre les armes, car le Comte savait bien qu’un homme qui se battait pour défendre son logis était un adversaire redoutable, faisant preuve d’un courage digne des plus grands héros. Et il aurait besoin de tout le courage de ses hommes s’il voulait avoir une chance de vaincre l’envahisseur.

Le soleil disparaissait à l’horizon lorsque le Comte Electeur Otto Schepke, chevauchant à la tête des chevaliers de la Reiksguard, regagna la bourgade de Geistheim. Le Comte était épuisé par cette journée de rudes combats et espérait prendre un bon bain pour se débarrasser de cette odeur de sang de peaux-vertes. Il y avait pourtant une chose qu’il tenait absolument à faire auparavant.

Les soldats se préparaient à camper pour la nuit et, autour de chaque feu de camp, on se racontait une histoire. C’était celle de ce soldat solitaire qui avait à lui tout seul mis la pagaille dans l’armée orque après qu’un chamane ennemie ait grillé sur place tous ses camarades. Le brave homme avait plongé les orques dans la plus grande confusion et avait même tué de ses mains le sorcier qui avait massacré ses amis. Si cette histoire était vraie, un tel courage méritait récompense.

” C’est le soudard en question, ” lui dit un de ses chevaliers en désignant d’un geste méprisant une silhouette solitaire assise en lisière de la forêt.

” Vous pensez que c’est une bonne idée, Monseigneur ? ” lui demanda un autre, ” cet homme est un brigand ! Lui accorder le pardon pour ses actes passés est une chose, mais lui offrir une place parmi vos Gardes du Corps… Autant donner de la confiture aux cochons. ”

” Taisez-vous, chevaliers, ” ordonna le Comte. ” Où est passée votre humilité ? Ce brave soldat m’a servi avec honneur aujourd’hui et je vais l’en remercier. Quel plus grand honneur pour lui que de servir dans ma garde personnelle ? Il saisira sa chance et tournera à jamais le dos à sa vie passée. ”

Les chevaliers n’avaient pas l’air convaincus et le petit groupe se dirigea vers le combattant couvert de sang de la tête aux pieds. L’homme tirait quelques gorgées d’une bouteille déjà bien entamée et semblait ignorer les chevaliers en armures qui approchaient. Il avait plus l’air d’un rufian que d’autre chose, ses traits étaient couturés (le cicatrices, il portait une large veste de cuir épais et un bandeau noir recouvrait son œil droit sans doute manquant. Une épée était posée contre un tronc d’arbre derrière lui, la lame était souillée de sang orque.

Le Comte Otto s’éclaircit la voix et approcha du soldat, un parchemin roulé dans la main gauche.

L’homme posa un regard absent sur les arrivants, – porta une nouvelle fois la bouteille à sa bouche et avala une bruyante gorgée.

” Et vous voulez quoi, les dorures ? Vous voyez pas que j’suis occupé ? ” dit-il d’une voix rocailleuse en montrant sa bouteille. ” Un peu de respect pour ton seigneur! ” aboya un des chevaliers en portant la main à son fourreau.

Otto fit signe à ses hommes de se taire et dit ” Je suis venu vous offrir une chance de racheter votre honneur, Monsieur. J’ai entendu parler de vos prouesses sur le champ de bataille en ce jour, et soyez certain que j’apprécie de tels actes. J’ai besoin d’hommes tels que vous à mon service, et je vous propose de rejoindre les rangs de ma garde personnelle, ainsi qu’une amnistie totale, bien entendu. ”

Voyant que le soldat ne disait rien et préférait continuer à boire, le Comte lui tendit le parchemin. L’homme s’essuya la bouche d’un revers de la main, daigna enfin se lever et ramassa son épée. Il était bâti comme un colosse et le moindre de ses gestes démontrait une puissance musculaire hors du commun. Le Comte se recula d’un pas.

” C’est mon amnistie ? ” demanda le soldat en désignant le parchemin toujours roulé dans la main du Comte.

” Heu, tout à fait, ” répondit Otto, ” mais avez-vous entendu ce que je vous ai dit ? Je vous propose de rejoindre ma garde personnelle. C’est un grand honneur pour vous, non ? ”

L’homme acquiesça de la tête. “Je vous ai entendu… Mais désolé, je ne sers personne.” Il attrapa le parchemin des doigts du Comte et partit en direction de la taverne du village. Les chevaliers avancèrent pour lui barrer la route, mais Otto les arrêta d’un geste. Ils s’écartèrent et laissèrent passer le soldat.

” Attendez! ” cria le Comte, ” si vous refusez mon offre, dites-moi au moins votre nom! ”

L’homme s’arrêta, pivota et sembla considérer quelques instants la question.

” Je m’appelle Koplisken. Karl Koplisken. Mais les gens m’appellent… ”

Koplisken hésita et secoua finalement la tête.

” Aucune importance… ” murmura-t-il avant de poursuivre son chemin.

Compilé par Kragor
Source : White Dwarf n°69 - Octobre 2000
Retranscrit en octobre 2007 pour Le Sanctum

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