Ibn Sullan

Ibn Sullan s’immobilisa. L’entrée du sépulcre n’était plus qu’à une centaine de mètres, flanquée de piliers de crânes. Des artisans morts depuis longtemps l’avaient sculptée pour qu’elle ressemble au visage décomposé de quelque ancien monarque maléfique. Comme il l’avait déjà fait tout au long de son long et assoiffant voyage à travers le désert pour venir piller les tombes de Khemri, Ibn se bénit luimême. Il était seul ici, mais son dieu omniscient lui semblait très loin.

Le chasseur de trésors essuya la sueur sur son front et scruta la porte sombre à travers les ondulations de l’air brûlant. N’était-ce qu’un mirage, une illusion créée par une insolation, ou avait-il bien discerné un mouvement dans l’entrée à moitié ensevelie sous le sable de la nécropole?

C’est alors que le Prêtre-Liche, au visage blanc et hideux mais malgré tout encore humain, émergea des ténèbres vêtu de ses antiques robes de cérémonie. Il commença à entonner les rituels de réveil de son ancien culte dans un langage aussi mort que la civilisation de Nehekhara.

Pétrifié d’horreur, Ibn regarda l’armée de morts sortir de la porte en forme de bouche squelettique. Il y avait des squelettes, les gardes du corps du monarque enterrés avec leurs armes antiques et néanmoins efficaces, d’autres squelettes chevauchant des montures osseuses, certains portant des bannières poussiéreuses et déchirées, d’autres chevaux morts tirant des chars construits à partir des restes calcifiés de quelque créature inconnue et monstrueuse, et les Seigneurs de Khemri avides de vengeance, condamnés à une existence immortelle sous forme de momies. La horde d’un Roi des Tombes partait en guerre.

Ibn avait entendu des histoires racontées à voix basse lors des nuits sans lune aux points d’eau. Des histoires de Rois des Tombes momifiés de Nehekhara qui se battaient dans la mort comme ils se battirent de leur vivant, pour la domination des nécropoles de cette contrée maudite. Mais il n’avait jamais prêté attention à ces histoires… Jusqu’à présent.

Les squelettes surgissaient aussi des sables. Ici et là, des mains osseuses et griffues surgissaient et hissaient des cadavres hors de leurs sépultures.

Ibn Sullan entendit approcher l’ennemi du Roi des Tombes avant de voir son armée franchir la crête des dunes à l’est. Les forces adverses étaient impressionnantes. Aussi loin qu’il pouvait voir s’alignaient des soldats et des chars, attendant le signal de l’attaque. Mais ces ennemis étaient depuis longtemps libérés des limites de la chair et de la mortalité. Comme ceux qui étaient sortis des chambres mortuaires devant ses yeux, l’armée d’invasion était constituée de morts vivants.

Un tambour fait d’un crâne démesuré couvert d’une peau fit entendre son battement. Comme un sel homme, l’ennemi avança. Les armures ternies des squelettes brillaient à travers la distorsion de l’air brûlant, tandis que le bataillon de cadavres marchait vers la nécropole. Les deux protagonistes se rencontrèrent devant les murs de cette dernière.

Ibn regarda pendant une heure les deux armées de morts vivants s’affronter sur le sable devant les tombes, sans oser sortir de sa cachette. Les os claquaient et raclaient pendant les combats, tandis que des cris enroués jaillissaient de gorges sèches comme des parchemins. Les soldats des rois des tombes qui s’écroulaient en tas d’ossements ne mettaient pas longtemps avant de se relever et de continuer le combat pour leurs maîtres immortels.

Qui sait quelle antique dispute se rejouait ici, sur les sables brûlants de Nehekhara? Une haine si amère et intense que les morts quittent leur sépulture pour continuer cet éternel conflit des millénaires plus tard sur les plaines arides du Pays des Morts. Une douleur fulgurante transperça son corps, et Ibn se retourna dans un spasme de douleur Les yeux écarquillés sous le choc, il vit la silhouette squelettique le regarder depuis le rocher, avec son sourire grimaçant de crâne, et sa cage thoracique qui se découpait sur le ciel jaune en ombre chinoise. C’est alors que l’arabe baissa les yeux sur la hampe qui sortait de son corps. Sa vision se brouilla tandis qu’il contemplait son propre sang couler le long de la lance et imbiber le sable chaud. Puis les ténèbres éternelles l’engloutirent.

Le corps du pilleur de tombes remua. Il s’assit d’une manière raide et regarda la lance qui le transperçait d’un air presque curieux, comme s’il était surpris de la trouver là, et l’arracha lentement de la chair morte. Soumis à une volonté étrangère, plus puissante et bien plus ancienne, le corps se leva en tenant fermement la lance, et s’en alla rejoindre le reste de l’armée du Roi des Tombes qui s’apprêtait à vaincre son ennemi une fois encore, comme elle le faisait siècle après siècle après siècle.

Compilé par Kragor
Source : White Dwarf n° 72 avril 2000
Retranscrit en octobre 2007 pour Le Sanctum

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