Walach

Du haut de la tour de son fort en ruine, Walach, le Grand Maître de l’Ordre des Dragons de Sang, contemplait la nuit. Il se tenait seul, plongé dans ses pensées, son esprit explorant les voies obscures du passé au fur et à mesure qu’il approfondissait toujours plus avant son introspection.

Les souvenirs dansaient fugitivement autour de lui comme de lugubres lucioles. Il se souvenait encore de la débilité de ses sens humains; quelle sensation étrange ce serait de respirer à nouveau, de sentir le sang couler dans ses veines ! A quoi ressemblerait le monde si, à nouveau, il le contemplait avec la faiblesse des yeux d’un homme ? Tout cela n’avait rien de commun avec sa condition présente. La nuit était pleine de formes et de sons il voyait les volutes de magie noire qui venaient lécher les murailles du Fort du Sang, telle une marée impie. Il entendait les loups hurler dans les montagnes, à cent miles de là. Oui, il voyait et entendait tout.

Une seconde vague de souvenir l’assaillit alors qu’il caressait la lame de son antique épée. Tant d’ennemis étaient morts par cette arme! Il se rappelait la gloire des grandes guerres d’antan; le sang avait coulé comme des flots de vin, alors! Combien d’adversaires avait-il tué en ces temps reculés? Seigneurs nains, princes elfiques, comtes de l’Empire, tous avaient plié devant lui. “C’était une époque qui valait la peine d’être vécue.” pensa-t-il.

Mais le passé ne lui rappelait pas que des images plaisantes. Comment oublier le jour ou les templiers du Loup Blanc s’étaient introduits dans le Fort du Sang ? Mikaël, son fils favori, avait été empalé par les prêtres-guerriers fanatiques de Sigmar. Et Aurora, sa concubine… Oh, Aurora Décapitée par le Reikmarshall au cours de la bataille, avant qu’il ne puisse intervenir… Ses doigts gantés de fer se crispèrent sur la poignée de son épée cramoisie. “Un jour !” se dit-il “Vengeance me sera accordée ! J’ai l’éternité devant moi…” Car il était vampire, immortel. Quoiqu’il advienne, le temps serait toujours de son côté.

Walach se détourna et revint vers la porte qui donnait sur le balcon. Il entra dans la faible clarté des torches qui éclairaient l’escalier. La grande salle de réception de l’Ordre était pleine. Les guerriers revenants occupaient leurs postes de garde, tandis que les seize immortels, les derniers de ses chevaliers vampires accompagnés de leurs épouses à la beauté irréelle, siégeaient autour de la table. Dans la maigre lueur des flambeaux, leurs yeux luisaient d’une faim dévorante. Car cette nuit était la celle de la Fête du Sang. Tous se tournèrent vers lui et s’inclinèrent, tandis que d’un geste il les invitait à se rasseoir et prenait place au bout de l’énorme table de banquet.

La salle résonnait du gémissement déchirant des banshees qui, du fond des oubliettes, laissaient échapper leurs lamentations terrifiantes. Ces plaintes auraient suffi à rendre fou n’importe quel mortel, mais aux oreilles des vampires, elles n’étaient qu’une douce mélopée, empreinte de la triste mélancolie du tombeau. Soudain, sur un mot de Walach, un silence de mort s’abattit sur l’assemblée. Le Calice de Sang, la relique sacrée de l’Ordre, lui fut apporté par ses serviteurs. Il étreignit l’ancienne coupe de ses deux mains et but longuement. Une sensation enivrante, mêlant une souffrance plus cruelle que la morsure d’une lame et une extase telle que les vivants ne peuvent en connaître, submergea son corps. Il sentit la puissance et la gloire en lui. Il devenait divin, invincible, terrible. Alors qu’il faisait passer le Calice de Sang à ses compagnons, il observa les chevaliers qui, à leur tour, y trempèrent leurs lèvres. Les anciens voeux de fraternité furent renouvelés au fur et à mesure que le calice passait de mains en mains. La splendeur des armures et des capes fit revenir dans sa mémoire les réminiscences de leur gloire passée. Aucun pouvoir ici-bas ne pouvait rivaliser avec le sien.

Ses guerriers avaient répondu à son appel. L’étendard des Dragons de Sang allait à nouveau flotter au-dessus de ses armées, et il briserait l’échine des seigneurs mortels de ce monde. Qui oserait le défier ? Il n’y avait plus de vrai guerrier aujourd’hui. Il avait affronté et vaincu les plus forts d’entre eux, à l’époque où être un combattant voulait encore dire quelque chose. Mais à présent, tous les héros étaient morts. Les vieilles races des nains et des elfes s’étaient affaiblies, tandis que les nations humaines étaient devenues décadentes et paresseuses. Walach, lui, n’avait fait que croître en puissance avec les années. Cette nuit, le temps de la reconnaissance était enfin arrivé. Le temps de la Guerre.

Compilé par Kragor
Source : Livre d'armée Comtes vampires - GW 1999
Retranscrit en juillet 2007 pour Le Sanctum

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