Malekith

Le dragon noir volait au-dessus des nuages, invisible aux yeux du monde, dirigé dans sa course par le lent battement de ses membres noueux. Une fois dans le ciel, les dragons utilisent leurs ailes massives pour planer sur les courants d’air chaud. Malgré leur taille immense, ils sont capables des virages les plus acrobatiques, pouvant même égaler ceux des plus prestes des oiseaux. Leur vitesse, leur force et leur agilité font réellement des dragons les maîtres des cieux.

Un seul dragon suffisait à insuffler la terreur dans les cœurs d’une armée entière et au-dessus des océans qui entouraient l’île mythique d’Ulthuan, ce n’était pas un, mais cinq de ces monstres qui parcouraient l’immensité du ciel. A la tête de la formation volante, Malékith le Roi Sorcier, cruel souverain des elfes noirs, donna le signal de descente. Un par un, les dragons replièrent leurs ailes et piquèrent en direction du sol.

En perçant la couche inférieure des nuages, leurs cavaliers aperçurent enfin les îles d’Ulthuan, un anneau couvert de sommets enneigés entouré de plus petits archipels. A environ cinq milles nautiques de la côte nord-est du continent, approchant du rivage désolé de Nagarythe, plusieurs hautes tours de pierre semblaient jaillir de l’océan. Autour de ces sinistres vaisseaux s’étaient regroupées de gigantesques monstres marins, chacune de ces bêtes atteignait plusieurs dizaines de mètres de long mais de là où ils étaient, ceux qui chevauchaient les dragons les voyaient comme de petites silhouettes barbotant dans l’écume des vagues.

Le regard du Roi Sorcier était fixé sur l’île qui s’étendait sous lui. Cette terre avait autrefois été sienne, et cette pensée fit rejaillir un sentiment enfoui d’amertume. Il s’était délecté du temps qu’il y avait passé dans sa jeunesse à maîtriser l’art de l’épée. Nagarythe n’était pas un endroit pour y faire grandir de jeunes elfes, à la différence des autres royaumes, protégés par d’infranchissables chaînes de montagnes, celui-ci était ouvert à toute invasion. Un enfant devait rapidement y apprendre à se défendre comme un vrai guerrier ou mourir avant d’avoir atteint l’âge adulte. Bien des millénaires s’étaient écoulés depuis son enfance, mais la haine qu’il ressentait contre ceux qui l’avaient forcé à s’exiler était demeurée intacte.

Le dragon poursuivait sa vertigineuse descente. Aux yeux de ceux embarqués sur les Arches Noires, il sembla presque que leur maître allait délibérément plonger dans les eaux glacées, mais au dernier moment, le monstre redressa son dos épineux, étendit toute l’envergure de ses ailes de cuir et rasa la surface de l’océan, emportant Malékith droit vers les rivages d’Ulthuan. Une fois de plus, le Roi Sorcier avait l’intention de reprendre son royaume légitime, mais cette fois, ses dragons et lui allaient mener l’assaut. Son plan avait été minutieusement élaboré depuis plus d’un millénaire, et l’heure de la reconquête avait enfin sonné.

Malékith repensa au jour qui avait vu la naissance de son projet. Rakarth, le plus doué de ses Maîtres des Bêtes, avait été le premier à lui rapporter l’incroyable découverte: une nichée de plus d’une douzaine d’œufs de dragon avait été trouvée dans les Pics Sinistres. L’esprit retors de Malékith avait immédiatement commencé à réfléchir sur la façon dont il pouvait utiliser cette trouvaille contre ses ennemis. Cela faisait des siècles que Kaliphon, son dragon noir, avait été occis par une lance qui lui avait percé le cœur, et Malékith n’avait pu se résoudre à en monter un autre, bien que la plupart de ses nobles lui aient alors offert le leur. Il avait à la place ordonné la construction d’un char tiré par des sang-froid, avait décrété que lui seul avait le droit de partir au combat monté sur un char, et avait fait détruire tous les autres.

La découverte des œufs avait donné à Malékith l’un de ses trop rares sentiments de joie, il allait pouvoir élever un dragon pour le servir comme bon lui semblerait. En compagnie de quelques membres de la noblesse triés sur le volet, il allait entraîner ces monstres durant les siècles à venir pour mener contre Ulthuan une guerre telle que nul n’en avait jamais connu.

Alors qu’il s’approchait des plages de Nagarythe, Malékith jeta un regard vers la tête cornue et effrayante. L’œuf de Seraphon avait été le premier à éclore et Malékith s’était immédiatement arrogé ce dragon. Le premier né était toujours le plus fort et le souverain du peuple des elfes noirs ne se contenterait de rien d’autre. Il avait fallu attendre plusieurs siècles avant que les dragons ne naissent et plus longtemps encore avant qu’ils n’atteignent leur maturité, mais leur entraînement avait commencé dès leur sortie de la coquille. Malékith avait assigné Rakarth en personne à cette tâche, exigeant que Seraphon atteigne la perfection.

Les nobles avaient reçu l’ordre de rester avec leurs bêtes tout au long de leur entraînement, les décennies qu’il avait fallu pour que maîtres et dragons apprennent à se comprendre étaient sur le point de payer. Du haut de sa selle, Malékith repéra une petite ville côtière et pointa le doigt dans sa direction. Les cavaliers des dragons surent instantanément ce qu’ils avaient à faire. Ils conservèrent la même formation et en volant très près du sol, se rapprochèrent de la bourgade où très certainement, personne ne se doutait encore de ce qui se tramait.

*

Seraphon est le nom du terrifiant dragon noir que le Roi Sorcier monte pour partir en guerre. Après qu’une patrouille d’Ombres eut trouvé un nid abandonné à une haute altitude dans les Pics Sinistres, Malékith ordonna qu’ils soient ramenés à Naggarond, ou ils furent surveillés par les prêtresses de Khaine pendant près d’un siècle avant leur éclosion. Seraphon fut le premier à sortir de sa coquille et avant que les Furies n’aient pu l’arrêter, il avait eu le temps de détruire la plupart des autres œufs. Malékith fut impressionné par l’instinct combattif de cc monstre et décida d’en faire sa monture personnelle. Désormais, le Roi Sorcier a abandonné son char tiré par des Sang-froid en faveur de Seraphon.

Les derniers dragons nouveau-nés furent tous confiés aux meilleurs généraux de Malékith. Ces nobles ont passé des dizaines d’années à s’entraîner à combattre montés sur ces créatures ‘ apocalyptiques, en prévision du prochain assaut du Roi Sorcier contre Ulthuan.

Malékith pense que le temps est à nouveau venu de mener son peuple au combat. Seraphon et lui combattent à la tête de tous les dragons issus de cette même portée, dont les attaques imprévisibles ont déjà ravagé les régions côtières du Vieux Monde.

*

Netariah sentait ses paupières s’alourdir, il était de guet depuis le lever du soleil et son quart touchait à sa fin. Il avait hâte d’aller dormir avant de se joindre aux habitants du village pour célébrer le Festival de la Lumière. Les rues de Caldor étaient ornées de rubans et la coutume voulait que les jeunes elfes courent à travers toute la ville en jetant des poignées de poudre colorée sur les passants, pour que chacun se promène en arborant des vêtements multicolores. Beaucoup de vin allait couler ce soir pour commémorer l’anniversaire de la cuisante défaite du Roi Sorcier et des exilés. Pour le moment, Netariah profitait de son poste pour observer le déroulement des festivités dans la lumière du crépuscule.

Il sourit en tentant d’imaginer les histoires que lui raconteraient ses enfants à son retour, mais fut interrompu dans ses pensées par la voix de son remplaçant qui l’appelait du pied de l’échelle. C’était le signal que son tour de i garde s’achevait enfin. Tandis qu’il se tournait pour descendre, le ciel s’obscurcit soudain. Une immense ombre noire passa près de la tour de guet dans un coup de vent qui fit perdre l’équilibre à Netariah et le fit tomber au sol. Les dragons étaient entrés dans Caldor sans que l’alarme n’ait pu être donnée.

Malékith vit en dessous de lui les habitants rassemblés sur la place du marché. Les autres dragons quittèrent la formation et il dirigea Seraphon vers les festivités en riant de voir hurler d’horreur les premiers elfes à l’avoir remarqué. Seraphon poussa un rugissement féroce et tous les autres villageois réalisèrent en même temps, mais trop tard, quel danger s’abattait sur eux. Ce qui avait été une scène de liesse s’était transforme en panique générale: au milieu des tables retournées, les elfes se piétinaient les uns les autres dans leurs tentatives désespérées de fuir. Survolant la foule frappée d’effroi, Malékith chuchota un ordre à sa monture.

Seraphon inspira profondément et retint son souffle un instant avant d’expirer. Un nuage de gaz s’échappa de la bouche du dragon et recouvrit presque entièrement la place. Les villageois tombèrent un par un à genoux en suffocant, les doigts serres sur leurs gorges. Le dragon cracha un deuxième nuage de gaz empoisonné tandis que Malékith observait les alentours. Au-dessus des toits du village, les nobles elfes noirs faisaient faire de même aux quatre autres dragons et en quelques minutes, les rues aux décorations chamarrées furent noyées dans la brume mortelle. Ceux qui parvenaient à s’échapper de cet endroit condamné étaient rapidement rattrapes.

Un brave guerrier tenta d’attaquer l’un des monstres qui flottait au-dessus de lui à l’aide de sa longue lance tout en se couvrant la bouche avec un chiffon. “Quel imbécile,” songea Malékith, “le gaz devrait pourtant être le cadet de ses soucis à l’heure qu’il est.” D’un claquement de mâchoire, le dragon brisa la lance comme si elle n’avait été qu’un bout de paille, puis il étendit vivement son long cou. Le guerrier qui se retournait pour s’enfuir mourut broyé entre deux rangées de dents longues comme des poignards.

Seraphon parcourut le ciel au-dessus du village pendant quelques minutes jusqu’à ce que les brumes se dispersent. Le spectacle de carnage fit sourire Malékith, les corps de centaines d’elfes gisaient dans les rues, et déjà l’acide corrosif avait commencé à attaquer les vêtements colorés et la chair des morts. Malékith ordonna à son dragon de se poser et scruta les moindres recoins de la place. Parmi tout ce désordre, il ne vit pas le moindre survivant.

“Quel gâchis,” lança-t-il à Seraphon qui haletait bruyamment après être resté si longtemps en vol. “Je suis sûr qu’ils auraient tous fait d’excellents esclaves. Mais après tout, qu’est-ce qu’une centaine de captifs ici ou là ? Très bientôt, Ulthuan tout entier et son peuple m’appartiendront.”

Compilé par Kragor
Source : Livre d'armée Hauts Elfes - GW 1993
Retranscrit en juillet 2007 pour Le Sanctum

Les commentaires sont clos.