Lamenoire

Presque imperceptible, l’ombre escalada le mur extérieur de la résidence du Seigneur Noir et sauta silencieusement sur le sol de l’autre côté. Hellebron faisait souvent appel à Lamenoire pour disposer de ses opposants politiques ou de ceux qu’elle considérait lui avoir fait du tort, même de la façon la plus insignifiante.

Il n’avait aucun avis personnel sur les meurtres qu’il commettait pour sa maîtresse, il ne faisait qu’exécuter les ordres et cela lui suffisait. Il aimait la manière dont un corps s’affaissait lorsque la dague empoisonnée se glissait entre les côtes. Il prenait plaisir à contempler l’expression de douleur indescriptible qu’affichaient ses victimes en succombant sous les effets du venin noir.

Il aimait son travail, tout simplement. Et il était loyal. Une seule chose avait à ses yeux plus d’importance que son talent à tuer, la loyauté. Encore enfant, il avait été enlevé à ses parents au cours d’une Nuit des Supplices, puis endoctriné lors de sa rude éducation dans le temple de Khaine, et la notion de loyauté était gravée de manière indélébile dans son esprit.

Dans le temple, il avait été initié aux arts martiaux des assassins de Khaine, il avait étudié la puissance des poisons, appris à se déplacer sans émettre le moindre son et s’était entraîné à se glisser invisible parmi les ombres. Plus que tout autre, Hellebron la Reine des Furies avait à maintes reprises fait appel aux services de l’assassin et à ses compétences… Plus que tout autre, à l’exception peut-être du Roi Sorcier lui-même.

Lamenoire planta sa dague entre les épaules du garde posté à l’entrée de la tour sans même penser à ce qu’il faisait. C’était devenu tellement naturel pour lui, que c’était presque automatique. Les autres gardes, à l’intérieur de la tour, ne lui posèrent pas plus de problèmes : ils n’eurent conscience de sa présence qu’au moment où il les tuait.

Mal à l’aise, le garde allait et venait devant le porche où il avait été posté. La lumière des torches qui éclairaient brillamment le passage vacilla un instant. Il avait cru voir quelque chose, mais il n’aurait pas pu dire quoi. De toute façon, il ne pouvait rien y avoir dans le couloir. Il avait probablement rêvé.

Comme une gigantesque araignée noire, le maître assassin se pendit par les bras à la poutre de la voûte du couloir sur laquelle il s’était perché. D’un soudain mouvement de pince, il passa ses jambes autour du cou du garde et serra. La lance de l’elfe noir tomba avec fracas sur le sol alors qu’il tentait des deux mains de desserrer l’étau qui l’étouffait. Lamenoire tira légèrement sur ses bras et souleva le garde sur la pointe des pieds, la fluidité de son mouvement ne trahissant en rien la force qu’il y mettait. Puis, effectuant une légère torsion, il eut la satisfaction d’entendre craquer le cou du garde.

Rapidement, Lamenoire hissa le corps inerte du garde sur la poutre, juste à temps. A peine une seconde après, un autre garde elfe noir apparut dans le couloir. Attiré par le bruit de la lance tombant sur les dalles, il s’avançait avec précautions, l’arbalète prête à tirer, essayant de comprendre ce qui s’était passé. Lamenoire laissa le garde passer sous son perchoir et se laissa tomber sur le sol, juste derrière l’elfe noir.

Le garde n’avait rien entendu mais son sixième sens lui hurla un avertissement et il se retourna pour se retrouver face à face avec l’assassin masqué. Aussi rapide que l’éclair, avant même que le garde ne puisse faire usage de son arbalète, Lamenoire agrippa l’arme et la lui arracha des mains. Retournant l’arbalète, l’assassin tira à bout portant dans le coeur de l’elfe noir. Arborant une expression de surprise, le garde glissa à terre avec un cri étranglé par le sang .

Porte-le directement à ma chambre, et vite.” Lord Corvass frappa son serviteur derrière la tête. L’esclave muet s’éclipsa du vestibule. Enlevé à l’âge de quatre ans lors d’un raid mené par une flotte d’elfes noirs, le pauvre souffre-douleur avait eu la langue coupée avant d’être estropié.

Corvass pensait que ces précautions étaient sages, l’esclave ne pouvait ainsi ni le trahir, ni facilement quitter son service, à moins que le Seigneur Noir ne le décide, auquel cas ce serait probablement à l’aide d’un dague plantée dans la gorge.

Corvass n’aimait rien autant qu’un verre du plus fin des vins de Clar Karond au moment de se retirer et, après les événements d’aujourd’hui à la cour, il en avait encore plus besoin. Il était d’une humeur massacrante, encore plus que d’habitude, et il lui fallait vraiment un remontant pour calmer ses nerfs et son anxiété. Corvass fit demi tour et se dirigea vers ses appartements personnels.

De sa cachette, Lamenoire aperçut les deux gardes d’élite armés jusqu’aux dents et équipés d’armures lourdes qui surveillaient l’accès à la chambre de Corvass. L’antichambre était bien éclairée et il savait qu’il serait vu dès son entrée. Bien que bretteur compétent, Lamenoire préférait tuer avec subtilité et, si possible, en évitant toute confrontation directe. En tant qu’expert en déguisement, il n’aurait aucun problème à prendre la place d’un des deux gardes, mais il devrait d’abord en tuer un. De plus, Lamenoire voulait que la mort de Corvass ne fut pas découverte trop tôt pour lui laisser le temps de quitter les lieux du crime. Non, aujourd’hui, il devait essayer autre chose.

Les deux gardes se mirent au garde à vous quand leur maître entra dans l’antichambre. Corvass passa entre eux d’une manière hautaine et ouvrit la porte à double battant. Il marqua soudain une pause, se retourna et s’adressa à l’un des gardes en armure. “Vous pouvez disposer,” dit-il d’une voix qui n’autorisait aucune discussion.

“Etes-vous certain, Seigneur ?” demanda le garde, interloqué par l’ordre du Seigneur Noir.

“Évidemment, rustre !” rétorqua Corvass. “Je viens juste de t’en donner l’ordre, n’est-ce pas ?”

“Bien Seigneur, à vos ordres Seigneur.”

Sans piper mot, les deux gardes quittèrent leur poste et disparurent dans le couloir.

Le serviteur muet et boiteux se pétrifia d’horreur. Devant lui, dans le corridor silencieux, des gouttes de sang tombaient de l’obscurité du plafond pour former une petite flaque qui se coagulait sur le sol dallé et froid. Le serviteur regarda nerveusement vers le plafond voûté. Le corps d’un garde pendait de chaque côté d’une poutre, comme une marionnette dont ont aurait coupé les ficelles. L’esclave retourna en direction de la chambre de son maître aussi rapidement qu’il le pouvait. Il devait l’avertir.

Corvass s’immobilisa dans l’antichambre. Où étaient ses gardes ? Comment ces fous avaient-ils pu avoir l’impudence de quitter leur poste ! Ils seraient tous les deux livrés aux furies, mais il réglerait cette histoire au matin. Pour l’instant, il avait besoin de dormir.

Corvass entra dans sa chambre et, dans l’obscurité presque totale se dirigea vers son lit. Soudain une forme sombre se jeta sur lui et le précipita sur le lit, la main de l’assassin, plaquée sur sa bouche, l’empêchait de crier. Il plongea son regard apeuré dans celui de Lamenoire, le suprême tueur.

“Tu as cru pouvoir insulter impunément la Maîtresse des furies ?” lui chuchota l’assassin.

Corvass tenta de se libérer mais se figea soudainement quand la lame empoisonnée lui transperça le coeur. Son corps se convulsa violemment de douleur, comme si des clous chauffés à blanc s’étaient enfoncés dans chacun de ses nerfs.

“Regarde le visage de ta mort,” murmura Lamenoire. Retirant la main de la bouche de Corvass, il releva son masque.

“Toi !” soupira Corvass, incrédule, dans son dernier souffle. Puis tout fut fini.

Un sourire de satisfaction se dessina sur les lèvres de Lamenoire. Une autre mission accomplie ! Mais il devait maintenant partir le plus vite possible.

Soufflant et boitillant, le serviteur tourna au coin du corridor et se retrouva face au maître assassin. Dans les dernières secondes de sa vie, le muet ne comprit pas exactement ce qui lui arrivait. Lamenoire passa rapidement près de lui dans sa cape flottante qui lui donnait l’air d’un immense oiseau de mauvais augure, ce ne fut qu’alors que le serviteur regardait l’assassin s’éloigner qu’il s’aperçut qu’il avait été poignardé. En mois d’une minute, le boiteux mourut dans une rapide mais terrible agonie alors que le venin noir se répandait dans son corps.

Lamenoire s’arrêta un moment pour savourer la mort du malheureux. Le muet n’aurait représenté aucun danger pour le maître assassin et n’aurait même pas pu décrire ce à quoi il ressemblait s’il était resté en vie, mais c’était une question de principe.

Lamenoire remit son masque. Personne n’avait jamais pu voir son visage et rester en vie. L’instant d’après, il n’était plus là, la nuit l’avait englouti.

Compilé par Kragor
Source : Liste d'armée Elfes noirs - GW 1994
Retranscrit en juillet 2007 pour Le Sanctum

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