Croque-les-pattes

Laissez-moi vous raconter l’histoire de Croque-les-pattes, comment il vécut, comment il mourut et comment il devint une star.

Croque-les-pattes adorait jouer au ballon. Depuis sa plus tendre enfance il a toujours voulu devenir un champion de première ligue. Mais Croque-les-pattes était trop petit et trop frêle pour devenir autre chose qu’un porte serviette pour des joueurs de seconde ligue ; ce qu’il devint pour la petite équipe de sa ville, les Chamboule-tout.

Mais le Destin aime à se jouer de chacun, et Croque-les-pattes rencontra le sien.

Ça s’est passé un soir d’hiver, les Chamboule-tout jouaient pour l’accession en première ligue, un évènement sans pareil pour ces joueurs et tous s’investirent à fond dans ce match. Ils vidèrent leurs tripes et y laissèrent leur sueur et leur sang. Certains un peu trop car tous ne s’en relevèrent pas. Il faut vous dire que leurs adversaires, les Equarisseurs-verts, jouaient aussi la montée en première ligue, le combat était violent. Les coups bas volèrent, les irrégularités s’enchaînèrent et les infirmeries se remplirent à un rythme alarmant.

Le coach des Chamboule-tout se retrouva bientôt à court de remplaçants. Cherchant désespérément une solution il avisa le jeune homme qui distribuait les serviettes et il lui dit ces deux mots, des mots que Croque-les-pattes n’oublia jamais :

« Tu rentres! »

On était à la toute fin du dernier quart temps, le coach mit au point une manœuvre désespérée. Croque-les-pattes devait courir devant le receveur afin de lui frayer un passage. Tout au moins offrir une distraction aux défenseurs orques. Croque-les-pattes enfila rapidement une tenue et entra sur le terrain. Enfin il foulait l’herbe, son rêve devenait réalité.

La suite fut sans surprise, il fut réduit en bouillie dès le premier choc, non pas par un défenseur orque comme prévu, mais par un ogre et, on le sait, les ogres laissent rarement leurs adversaires se relever indemne. Croque-les-pattes ne se releva pas du tout.

Les Chamboule-tout ne montèrent pas en première ligue cette saison, ils n’en eurent jamais plus l’occasion. Aujourd’hui ils ne sont plus qu’une petite équipe de troisième ligue.

Qu’advint-il de Croque-les-pattes ? Il fut repéré par un nécromant qui, depuis les tribunes, recherchait de nouveaux joueurs. Vous connaissez cette engeance, toujours là où les vautours volent bas. Il alla donc voir le coach dépité des Chamboule-tout et demanda à racheter le contrat de Croque-les-pattes. Apprenant qu’il n’y en avait pas, il se félicita de sa chance et reparti avec le corps sous le bras, tout content de sa bonne affaire. Ce qu’il avait remarqué chez Croque-les-pattes, c’est son courage, chose dont les équipes de morts-vivants ont bien besoin, son inconscience aussi.

La saison suivante, il intégra donc l’équipe des Bouffeurs-de-racines, une modeste équipe de morts-vivants à la peine en première ligue mais qui devint très compétitive après la période de recrutement et notamment l’arrivée de Croque-les-pattes.

Les matchs s’enchaînèrent, les victoires aussi. Croque-les-pattes devint une vedette, sa tendance à toujours aller de l’avant sans se soucier de ses adversaires faisait vibrer le public qui ne demandait que ça. Il était plutôt rapide pour un zombie, mais ce qui fit sa popularité et lui donna son nom, c’est la tactique qu’il employait : alors que sa démarche hasardeuse le portait au-devant des lignes de défenses, il se laissait tomber au sol et s’agrippait aux jambes de ses adversaires qui, voulant chopper le receveur, sautaient par-dessus lui sans se méfier. C’est alors qu’il leur attrapait le mollet et y plantait ses dents. Plus d’un en portent encore les marques.

Le rôle de Croque-les-pattes était ingrat mais d’une efficacité redoutable, grâce à lui, son équipe marqua de nombreux points. Mais cette feinte devint trop évidente et les défenseurs commencèrent à se méfier. Croque-les-pattes et toute l’équipe changèrent alors de tactique.

Ceci se déroula lors de la finale de la coupe, les Bouffeurs-de-racines se retrouvèrent face à une équipe que connaissait bien Croque-les-pattes, les Equarisseurs-verts. Un petit parfum de revanche flottait sur ce match.

Après les amabilités d’usage et les allers-retours à l’infirmerie, le match devait se décider à la dernière minute du dernier quart-temps. C’est à ce moment là que les Bouffeurs-de-racines décidèrent d’utiliser leur botte secrète.

Les lignes se mirent en position, le vampire tenait dans ses mains le ballon alors que les premières lignes se jetaient dessus avec force craquements d’os et cris de joie des orques. Mis sur le reculoir, le vampire parvint in-extremis à envoyer son ogive dans les bras de son receveur juste avant de finir sous un troll. Croque-les-pattes était devant Skellie le receveur et avança sur quelques mètres avant de s’écrouler au sol, reprenant ainsi sa tactique habituelle. Le défenseur ogre le regarda d’un air moqueur et le contourna pour ne pas se faire choper la jambe, imité par tous les autres défenseurs. Tous fondaient sur le pauvre Skellie qui s’était figé sur place. C’est ce moment que choisit Croque-les-pattes pour se relever et courir comme jamais il n’avait encore courut de toute sa carrière. Skellie se transforma en lanceur, juste avant de devenir un petit tas d’os, visant le zombie complètement démarqué.

Le ballon traversa les airs droit vers notre héros, la foule était en délire, Croque-les-pattes tourna la tête et tendit les bras au tout dernier moment et le ballon lui tomba miraculeusement dans les mains. Il ne lui restait plus que quelques mètres avant la ligne, quelques mètres qui allaient faire de lui cette star que nous connaissons aujourd’hui, quelques mètres pour donner la victoire et la coupe à son équipe. Le public devint comme fou, tous ses équipiers lui lançaient des encouragements, même le pauvre Skellie réussit à agiter un fémur en guise de fanion.

Les orques avaient enfin compris ce qui leur arrivait et firent demi-tour à toute vitesse pour venir le plaquer. Mais Croque-les-pattes ne leur en laissa pas l’occasion et, dans un dernier effort, il décolla du sol pour aller porter le ballon derrière la ligne, l’herbe grasse s’offrait à lui, il s’y étala de tout son long.

Commentaires des votants

  • J’ai adoré. Je ne suis pas un fan de Blood-Bowl mais le ton, l’histoire et le rythme m’a amené à la fin du texte avec bonheur.
  • Et touch down ! Un texte bien original (si blood bowl m’était conté) mais qui ne respecte pas les canons de la nouvelle et qui ne fait que survoler les éléments qui la compose (d’où une note d’écriture volontairement baissée). Dommage, car cela mériterait un texte bien plus conséquent en volume. La dernière phrase a aussi été modifiée (pas de majuscule au premier mot, oui je sais je chipote mais le niveau est élevé pour ce concours).
  • Ce texte est plein d’humour et malgré le fait qu’il dépeint un univers que je ne connais pas (Bloodbowl), je n’ai eu aucune difficulté à m’immerger dans le récit. Une bonne surprise.
  • Juste génial ! Skellie agitant le fémur est la petite touche en plus qui rend ton texte irrésistible.
  • Du Blood bowl et du halfling, le tout bien secoué avec un zeste de nécromancie par-dessus et la phrase finale qui clôt parfaitement le texte – en plus d’en contourner le côté bucolique – , c’est mélange réussi.
  • Texte très original. Une bonne histoire, fouillée. Il y a des rebondissements, de l’humour… Tout ça en 996 mots: bravo. Quelques fautes de temps : “Ça s’est passé un soir d’hiver… tous s’investirent”. C’est un peu dommage car il y a selon moi une faute de ponctuation à la dernière phrase (Remplacer la , par un .)
  • Original, mais il eut été préférable que l’auteur précisasse immédiatement qu’il est question de blood bowl.
  • Tout y est, aventure, danger, héroïsme, sexe… Ha non, pas sexe…

Mon commentaire

J’ai adoré ce texte qui reste parmi mes préférés.

Blood Bowl fut évidemment la source d’inspiration principale de ce texte. Quelques petites touches d’humour plus loin et voici un challenge réussi qui me remet sur le podium.

Beaucoup de relectures, de modifications avant d’arriver à ce résultat, ça a porté ses fruits.


Texte écrit pour le challenge d’écriture n°20

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