Abraham V. H.

Tu veux la connaître, l’histoire de cette cicatrice ? Tu te demandes d’où me vient cette coupure en travers de la tronche ? Allez, je te raconte, mais écoutes moi bien, Abraham, parce que je ne la raconterai pas deux fois.

Au milieu de la grande salle baignée de la douce chaleur diffusée par la cheminée, le petit Abraham, dix ans, s’installa sur un coussin face à son grand-père. Ce dernier tira une brindille du foyer pour, lentement, rallumer sa vieille pipe pleine de ce tabac odorant qu’Abraham allait sentir, en cachette de ses parents, chaque fois qu’il en avait l’occasion.

« Ça remonte à plus de trente ans cette histoire. En ce temps là, j’étais un fameux chasseur, tu peux me croire. Aucune proie ne pouvait m’échapper une fois que j’en avais repéré la trace.

A l’occasion d’une grande chasse, le châtelain m’avait emmené avec lui là-bas, dans ce maudit pays. Il avait été invité par un de ces cousins pour une battue mémorable. Tu parles !

Bref, on y est allé; il nous a fallu cinq longues semaines de voyage. A cette époque j’étais jeune et traverser le continent n’était pas pour me déplaire. Une fois sur place, le temps n’était pas au beau et, alors que nous étions en plein été, le ciel resta couvert toute la durée de notre séjour. La chasse a commencé juste après notre arrivée, le châtelain du coin nous avait, effectivement, préparé une belle et grande battue. Notre maître était ravi et je lui ai rendu de fiers services en lui rabattant trois magnifiques cerfs, des huit bois au moins.

La chasse s’est poursuivie pendant plus de cinq jours et plus nous chassions, plus nous nous enfoncions dans la forêt.

Mais, le dernier jour, l’ambiance a changé. Les bois étaient devenus sombres et noirs si bien que nous nous sommes laissé surprendre par la nuit. Impossible de rentrer à la cabane, impossible d’en retrouver le chemin surtout. C’était bien la première fois qu’une chose comme ça m’arrivait.

On a donc décidé de passer la nuit à la belle étoile.

Nous n’étions qu’un petit groupe composé par notre châtelain, son cousin, deux de ses rabatteurs et moi.

On a allumé un grand feu pour se tenir chaud et sécher un peu l’humidité ambiante, mais rien n’y a fait, on s’est tous retrouvé grelottants et transis de froid. La nourriture, elle, n’a pas posé de problème, tu t’en doutes, et on s’est régalé du gibier tué la veille.

On a alors essayé de dormir pour être en forme le lendemain avant de rentrer, mais pas moyen de s’endormir, c’était comme si quelque chose nous en empêchait. Comme si on était observé. »

Tapotant sa pipe sur le rebord du manteau de la cheminé, le grand-père d’Abraham laissa se consumer le restant de tabac sur les braises avant de reprendre :

« Une sensation très désagréable, pourtant on ne voyait personne, rien, et pas un bruit non plus.

Ça aurait dû nous paraitre bizarre d’ailleurs, en plein milieu d’une forêt, pas une chouette, pas une musaraigne, un silence absolu, tout juste perturbé par le crépitement de la flambée.

Soudain, un cri a déchiré la nuit. Ca aurait pu être un cri humain, mais ça n’en était pas un, et ce n’était pas non plus le cri d’une bête. On s’est tous figé et on a sortit nos fusils et nos couteaux de chasse.

Rien.

Rien ne nous est tombé dessus, ni jaillit des bois, alors on a commencé à se moquer de nous, à nous raconter des histoires pour se rassurer, mais personne ne lâchait son arme, et on a bien eu raison.

Un des rabatteurs qui s’était éloigné pour soulager sa peur, si tu vois ce que je veux dire, n’a pas vu venir le danger et la mort. Une masse sombre lui ait tombé dessus et il a crié; une fois, une seule avant de s’écrouler au sol. Alors on s’est tous précipité pour l’aider et on l’a vu. La vision la plus horrible et que j’espère bien ne plus jamais revoir.

Ça avait une forme humaine, mais je ne pourrais pas te dire s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme. Ces habits étaient en lambeaux, des loques qui recouvraient à peine un corps crasseux et maigre. Des cheveux filasse lui tombaient sur les épaules encadrant un visage de cauchemar.

Ses yeux noirs, enfoncés dans leurs orbites, nous scrutaient avec une haine palpable. Sa bouche s’ouvrit pour lancer un cri de défi nous dévoilant alors toute l’horreur de la créature. Des crocs, longs comme mon doigt, remplaçaient ses canines, des crocs rouges du sang de notre malheureux compagnon.

La mêlée qui s’ensuivit est restée floue dans mon souvenir, tout ce dont je me souviens c’est d’avoir reçu un coup de griffes au visage, c’est comme ça que j’ai eu cette balafre, et je suis tombé inconscient, sonné par le coup.

Quand j’ai repris mes esprits, il ne restait plus que notre châtelain et son cousin encore en vie. De la créature, seul un petit tas de cendres pouvait témoigner qu’elle avait existé.

Je n’ai pas eu plus d’explications et je ne veux rien savoir de plus, mais ce fut ma dernière chasse dans cette forêt maudite. »

Le silence de la grande salle n’était brisé que par le doux crépitement du bois dans la cheminée. Abraham regardait son grand-père, la bouche ouverte, fasciné.

« Et bah dis donc papy, c’est une fameuse aventure que tu as fait là, moi aussi je serai chasseur quand je serai grand.

– Tu as le temps mon petit, et puis, chasseur, ce n’est pas un métier facile tu sais, il faut être fort.

– Alors je serai très fort et je serai le plus grand de tous les chasseurs, foi de Van Helsing. »

Commentaires des votants

  • le “médieval” te réussit bien en ce moment. très bon texte.
  • J’aime bien le style en plus ça change du 40000
  • Très chouette chute, texte malheureusement un peu long mais très bien ammené.
  • “foi de van helsing”(!),très bien trouvé, cela conclut le récit d’une manière peu prévisible.
  • J’ai bien aimé l’alternance entre l’histoire et le lieu où elle est racontée. La fin m’a surpris. Que dire d’autre?
  • Que dire ? Un superbe texte: La chute est magnifique et totalement inattendue. Le raccord avec Van Hellsing est du plus bel effet.
  • La cause ‘banale’ de la cicatrice (dans le feu de l’action et non pas contre un “super ennemi”) apporte beaucoup. Bravo !

Mon commentaire

Le coup du chapeau avec cette 3ème première place de suite. Un de mes texte préféré par son ambiance et la manière de traiter du sujet. Ça ne parle que de vampire sans que ce soit le personnage principal en ne partant que d’une simple cicatrice. Et puis ça essaye de faire appel à l’imaginaire du petit enfant au fond de nous qui ne demande que ça : écouter les histoires fabuleuses du papy au coin du feu.

Le coup du « foi de Van Helsing » m’est venu dès le départ de la création du texte, après une petite recherche du prénom du fameux chasseur de vampire, il n’y avait plus qu’à combler entre le 1er et le dernier paragraphe.


Texte écrit pour le challenge d’écriture n°11

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