Challenge d'écriture n°28 – Texte n°4

Son of Khaine

« Et pourquoi est-ce que je ne devrais pas y aller, donne-moi une seule bonne raison ! »
Il ne répondit pas immédiatement, laissant le téléphone grésiller.
« Parce que… ça sert à rien, quoi…
– Ah bon ? Franchement, tu crois que tu peux décider de ce qui est utile et de ce qui l’est pas ? enchaîna t-elle.
– ‘fin non, je voulais dire… »
Il se contenta de claquer de la langue. Tout était si compliqué. Mieux valait toutefois ne pas la faire attendre d’avantage, d’une part parce que c’était lâche, de l’autre parce que cela ne ferait qu’aggraver la situation.

« Et… tu comptes faire quoi là-bas ? finit-il par lâcher.
– C’est une fête ! Tu sais très bien ce que j’ai l’intention de faire à une fête ! »
Nouveau silence. Gêné. Et, comme toujours…
« Te bourrer la gueule en faisant semblant de participer à une discussion ? »
… il fallait que des conneries comme ça sortent toutes seules. « T’es tout le temps négatif, j’en ai marre ! Franchement t’es lourd, Jean, tu veux jamais t’amuser, y’aura plein de monde !
– Désolé. »
Il marqua une pause, puis se força à enchaîner : « Enfin… je voulais dire…
– Tu voulais dire quoi ? l’interrompit-elle.
– Ben, je les connais pas…
– Eh, c’est chez Fred ! Arrête de raconter n’importe quoi, tu le connais, c’est ton ami ! Et y’aura aussi Max et Stef !
– Euh, mais…
– Te cherche pas d’excuse, franchement ! Ça commence bientôt, dans une demi-heure je suis là-bas, et je m’en fiche de ce que tu penses ! »

La tonalité retentit. Communication terminée. Il resta un moment sur son fauteuil en cuir, un Vodafone archaïque et décoqué à la main, avant de réagir.
« Lol », expira t-il d’une voix d’outre-tombe, avant d’ajouter, non sans verve : « Fait chier. »
Comme d’habitude, il n’y avait pas trente-six mille solutions, ce qui signifiait donc que nbx*c ? 190²-10², soit nbx*c ? (200)(180), c étant la variable à la con qui venait tout foutre en l’air et rendait l’inéquation insoluble sans rentrer dans un système. Vive la 1ère S.
Alt+F4, Entrée, Alt+F4, Entrée, allonger les jambes pour mettre les pieds dans les pantoufles, les ramener en s’appuyant dessus pour pousser le fauteuil tout en se mettant debout. Il existait encore des choses simples. Ou pas, étant donné que les roulettes venaient de se prendre dans le tapis.

Qu’allait-il mettre ? Un t-shirt ridicule de black metalleux deux fois trop large – et puant à cause du fait qu’il était impossible de le laver sans en faire partir le motif de dragon d’os sur fond noir – ? Le fameux « I hate you ! » ? Ou alors, une chemise, histoire de ne pas aggraver son cas. Oui, bonne idée, mieux valait ne pas fâcher Manon d’avantage.
Et un pantalon blanc ? Allons pour le pantalon blanc. Avec un nœud papillon vert, et des chaussures noires cirées. Parce que ce n’était pas parce que personne ne comprenait son humour qu’il était sérieux.

S’étant accoutré ainsi, il ouvrit la porte d’entrée. Une voix lui parvint immédiatement : « Tu vas où ? » C’était sa mère.
« Chez Fred, dit-il en sortant.
– Et tu m’as demandé l’autorisation ? »
Il referma la porte. Dans l’absolu, il n’avait rien contre les questions rhétoriques, mais en tant que féru d’étymologie, il pensait qu’il était préférable de les cantonner au domaine de l’art oratoire. Et le fait de crier sur son fils à partir de sa chambre en haut de l’escalier tout en s’épilant ne rentrait manifestement pas dans ce cadre.
Dommage, elle aurait pu demander à quelle heure il comptait revenir, et même espérer obtenir une vague réponse. Mais ce qui était fait était fait. Et à la réflexion, niveau études, un doctorat en tautologie pouvait être bien, même s’il y avait peu de débouchés.

Un bus, une sonnerie suivie d’une mise hors-tension de portable et une demi-heure de marche en traînant les pieds plus tard, il était sur place. « Là-bas » faisait plus romanesque, si tant était que toute cette merde puisse un jour se trouver dans un récit. Cela dit, s’il existait des gens suffisamment désœuvrés et stupides pour le lire, peut-être qu’il n’était pas le plus inutile des êtres rampant sur Terre.
Il sonna au grand portail bleu et se fit ouvrir sans même qu’on lui ait demandé quoi que ce soit : tout le monde était invité, ce qui expliquait sans doute pourquoi il était membre des élus – même s’il était outré à l’idée de faire partie de tout le monde.
La maison à deux grands étages puait par avance le hit-parade, les spots lumineux placés à la va-vite sans aucune réflexion artistique, et l’alcool de mauvaise qualité.

Le premier point se vérifiait aisément à cause des fenêtres ouvertes et de la sono à fond, acoustiquement si mal placée qu’on distinguait un double retour de voix. Appuyant sur la poignée, poussant la porte et étant aveuglé par un faisceau rouge, puis vert, il constata que sa seconde supposition s’avérait également juste.
Stéphane était en train de faire une razzia sur les cacahuètes sans sel dans le fond du salon, non loin de son idole, Maxime – sweat à capuche violet, slim et converses – qui était en train de danser avec Julie et Carla. Fait étonnant, d’ailleurs, étant donné qu’au vu de ses critères, aucune des deux n’entrait dans la catégorie « baisable », et qu’il n’accordait de l’importance qu’à celle-ci.
« Salut Jean, lancèrent un certain nombre de personnes. – Salut. »

Ce dialogue était d’un intérêt stupéfiant. Un bon échauffement. « Ça va ? demanda Maxime.
– Ouais, répondit-il machinalement »
De mieux en mieux. On battait des records, et s’approchait dangereusement de sa limite de tolérance. Mieux valait tenter de rectifier le tir : « Manon est là ?
– Euh, ouais, j’crois.
– Elle est où ?
– Euh, j’sais pas trop. »
« Well done, jeune pomme », pensa Jean. Voilà qui l’avançait beaucoup. Son interlocuteur avait-il conscience du fait qu’il ne rentabilisait pas un dixième du dioxygène qu’il consommait ? Enfin, bref, il avait décidé d’être poli.
« Ah, OK, merci », lança t-il avant d’aller voir sur le balcon.

Les lampadaires masquaient les étoiles. Il n’y trouva qu’Amandine en train de fumer il ne savait trop quoi, étant donné qu’elle-même ne le savait pas. Fausse blonde, petite, gros cul, gros seins, bisexuelle. Il la fixa de dos pendant deux secondes. Elle s’était probablement aperçue de sa présence, mais ne faisait rien. Il se retourna et rentra dans le salon surpeuplé.
Traversant la piste de danse en bousculant un couple, il se dirigea vers la cuisine à l’américaine. Rien qu’à voir les verres de premix ultra sucrés à l’orange additionnés de sirop de menthe, il eut la nausée. Le fait de se bourrer la gueule se tenait en soi, chacun faisant ce qu’il voulait, mais il ne pouvait pas supporter ceux qui n’assumaient pas de se défoncer avec de l’éthanol presque pur.
De plus, l’hôte et sa petite amie se trouvaient dans la pièce. À force de baigner dans ce milieu sordide, il avait fini par entendre qu’ils avaient des problèmes récurrents dans leur couple, lui tentant systématiquement de paraître plus con qu’il ne l’était et de cacher le fait qu’il codait en php, elle niant ses quelques escapades avec Amandine et complexant sur son nez sans l’avouer.
Devant tant de pulsions refoulées, Jean se contenta de faire marche arrière.

Le sous-sol aménagé s’annonçait bien, sans doute grâce à ses trois ordinateurs en LAN. Il en descendit lentement les escaliers, puis vit Manon dans le canapé avec Jef. Le temps qu’il le réalise totalement, il était trois marches plus bas. Il s’empressa de les remonter, sans un mot.
Stéphane fut assez fâché d’avoir à partager les derniers chips avec un affalé sur le fauteuil d’en face. Le R’n’B finit toutefois par avoir raison de ce concurrent indésirable, qui se dirigea vers la cuisine pour y échapper. Retraversant la piste de danse, Jean bouscula à nouveau Damien et Constance.
Tout s’expliquait, au final. Constance avait quitté Jef, qui s’était naturellement rabattu sur le meilleur parti de la soirée, trop content d’être libéré. Meilleur parti qui semblait fort sarkozyste de part son ouverture à tout et à n’importe quoi. Un enchaînement purement logique.
Salope. Crevures.

Alors, quelle était la putain de solution ?
Nbx*c = (200)(180) *c = 36 000/nbx, et comme il n’y avait vraisemblablement qu’une seule solution, c = 36 000. 36 000 moles d’éthanol. Avec une masse molaire de 46 g.mol-1, on obtenait 1,7 tonnes. Ça faisait beaucoup, mais il pouvait essayer, après tout. C’était parti pour l’orange-menthe à 60% de volume d’alcool…

Quand il émergea de son coma éthylique, il put répondre à sa mère lui demandant pourquoi il avait suivi les autres : « J’avais besoin du système ».

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