Challenge d'écriture n°30 – Texte n°2

Lily

« La Guerrière Orientale »

C’est ainsi que l’on me nomme. De la Turquie à l’Egypte, on murmure les exploits -les meurtres devrais-je dire, de cette farouche sauvageonne qui parle aux oiseaux. Une ancienne prophétie aurait dû faire de moi l’instrument des Dieux Anciens, Celle par qui les anciennes croyances renaîtraient de leurs cendres. Mais l’enfant de la prophétie est devenu assassin, vengeresse, traitresse, poing d’Allah… On m’a prêté bien des attributs. Trop d’attributs pour la simple meurtrière que je suis.

Je suis née il y a environ 25 ans sur l’île de Philae, au large de l’Egypte, dans l’ancien temple de la Déesse Isis. Mes cheveux déjà blonds ont fait douter mon égyptien de père qui tua ma mère de rage, et je fus abandonnée aux prêtresses du temple, empressée qu’elles étaient d’avoir sous leur coupe l’enfant capable de réaliser l’Ancienne Prophétie. L’île, protégée par les flots tumultueux et la superstition du commun des hommes, fut pour moi le cadre d’une enfance idyllique, pendant laquelle on m’instruisit aux lettres et me forma aux combats et aux armes. Je n’eus aucun compagnon de jeu, aucune amitié et aucun lien. Les prêtresses, n’agissant que pour le bien du culte, me formèrent à tuer. J’appris bien plus tard qu’elles ne défendaient pas que le culte vieillissant de la grande déesse…

Je devais avoir quinze ans quand les choses commencèrent à mal tourner pour elles. Le temple fut la cible d’attaques virulentes et violentes de ceux qu’on nommait avec peur « pirates ». Bien trop jeune, on décida alors de me faire accéder au grade de prêtresse, position qui me permettrait de véritablement rejoindre leurs rangs et défendre mes terres. Trop jeune, je l’étais sans aucun doute. La maturité nécessaire pour comprendre les anciens rites me fit cruellement défaut, et je me trouvai détentrice d’un savoir et d’un pouvoir bien trop grands pour moi. Les prêtresses, qui ne voyaient en moi que l’instrument de leur sauvegarde, ne comprirent leur erreur que lorsque je m’associai à leurs ennemis pour détruire le temple. Même alors, leurs yeux restèrent incrédules devant mon cimeterre brandi au-dessus de leur tête.

J’avais quinze ans, et le pouvoir déjoua l’éducation que j’avais reçue. Les prêtresses m’avaient interdit de m’attacher à elles, et j’aime à voir dans ce manque la raison de ma folie meurtrière. Mais il serait naïf de croire à une intervention extérieure, quand il est plus probable que je sois née avec la soif de sang sur ma langue. Je ne me sentais aucune bannière à défendre. Mon cœur était mort, et je me retournai contre ceux que je venais d’aider. Les ennemis du temple furent supprimés aussi froidement que les prêtresses, les anciennes croyances tombèrent dans un oubli sans nom. Je n’eus même pas un dernier regard vers ce qui avait été ma demeure durant quinze années, alors que le bateau que je venais de voler aux pirates m’emmenait loin de tout ça.

Ma vie après ça était désormais écrite. Je ne pouvais plus être la servante des Dieux, je devais donc m’opposer à eux. Mais c’était encore trop pour moi. Je refusais de servir une cause, bonne ou mauvaise, je ne voulais obéir qu’à mes lois. Je parcourus l’Egypte, en quête de quoi ? Je ne le sais pas. Je marchais longtemps, toujours seule. Je tuais sans pitié, parce que je n’en étais pas capable. Je volais, pillais, et nul ne s’opposait à moi. Dans mon malheur, il est arrivé que je tue des meurtriers. On a alors pensé que j’agissais pour la justice d’Allah, et on commença à me louer. Je détruisis chaque foyer où cette pensée gangrenait les esprits. On dit alors de moi que je n’étais qu’un corps sans cœur entraîné à tuer. C’était mieux.

Je croisai un jour la route d’un fauconnier. Je voulus l’affronter, il me fut impossible de le battre. Vaincue, il me laissa la vie sauve à la seule condition que je suive son enseignement. Les folies de l’adolescence derrière moi, j’acceptai, et à vingt ans, j’appris à parler aux oiseaux. Bientôt, je surpassai le maître. J’aurais alors pu le tuer, comme je l’avais si souvent fait. Il ne me servait plus à rien, ce vieillard, et la vie errante commençait à me manquer. Mais j’ai hésité, un jour de trop. L’odeur du sang m’éveilla avant même que le soleil ne daigne se lever, et le cri perçant du faucon que je m’étais appropriée m’apporta la nouvelle qu’on m’avait devancée.

Je le revois encore, gisant dans son propre sang. Les bêtes avaient toutes disparues, seul le corps du vieillard était resté là, comme leur ultime protection. Qui pouvait en vouloir à un vieil homme ? Que possédaient tous ces oiseaux pour qu’on les enlève ? Ces questions restent sans réponse, encore aujourd’hui. Je déteste ne pas savoir. Aussi, je repris mon errance à travers la Turquie, à la différence près que j’avais cette fois un but. Je n’éprouvais pas le moindre regret en pensant à la mort du vieillard, mais j’étais enragée qu’on m’ait volé mon droit à tuer de mes mains. J’allais retrouver les voleurs, et leur faire payer de s’être opposé à moi.

Depuis cinq ans, je les traque sans relâche. Ils sont doués. Parfois, je ne les manque que de quelques minutes. Je peux alors sentir leur orgueil démesuré collé aux portes qu’ils ont touchées de leurs doigts puants. L’impétuosité a laissé la place à un désir froid de vengeance. Je ne vis plus que dans ce but. Les meurtres qui autrefois me grisaient me laissent de glace, comme si plus rien n’avait de saveur. Pourtant, je frémis d’impatience à l’idée de couper la tête des assassins du vieillard. Il me semble qu’avoir un but ne laisse pas de place aux frivolités. Tant que je n’aurais pas accompli ce que je dois faire, je ne serais plus la même qu’autrefois. Je veux redevenir ce que j’étais.

Redevenir une meurtrière sans autre but que de tuer ? Autrefois, c’était un destin qui me semblait noble. Aujourd’hui… j’en ai peur. Peur de perdre ce que j’ai gagné, peur de mourir en n’ayant laissé au monde que les souvenirs d’une folie sans nom. Je ne pourrais jamais lutter contre ma soif de sang, je serai pour toujours l’assassin que décriront les légendes. Mais je peux faire de ma vie autre chose. Je n’ai pas rencontré le vieillard par hasard. Il m’a donné le goût des grandes destinées. Est-il trop tard pour l’Ancienne Prophétie ? Je l’ignore, et je ne compte pas le découvrir.

Mes valeurs ne sont pas les mêmes que les vôtres, mes croyances ne concernent que moi. Mon cimeterre fauche sans faire de distinction, n’obéissant qu’à mes lois. Si je m’associe à vous en ce jour, c’est pour accomplir la vengeance qui me tient prisonnière de sa volonté. Sachez partir quand ce jour sera arrivé, car même vous n’êtes pas à l’abri de ma rage meurtrière. Je n’éprouve aucun sentiment d’attachement, aucune allégeance à aucune bannière. Le chemin sous vos pas suit le même tracé que ma route, je ne tolère votre compagnie que parce qu’elle m’amuse. Ne vous laissez pas prendre à ma docile bienveillance, vous seriez déçue de savoir ce qui se cache sous le foulard qui cache mes cheveux blonds.

Je m’appelle Xylopha. On m’a dit un jour que c’était le nom d’une plante. Ici, il n’est rien, éclipsé par ma réelle identité. Je suis la Guerrière Orientale.

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