Challenge n°13 – Texte n°1

Hellspawn

«Je ne comprends pas; il était là devant moi et soudain …
– C’est bon, crétin, on a tous pigé, ici ! »

Rufus n’était pas une lumière, c’était un fait. Manni n’avait accepté de garder le gosse avec eux qu’en mémoire de son frère qui lui avait fait jurer avant de passer l’arme à gauche de le garder dans la bande malgré tout. L’absence totale de faculté de réflexion du gamin n’avait pas semblé être une cause suffisante de refus dans un premier temps mais là… là, il allait devoir y réfléchir à nouveau et peser minutieusement le pour et le contre. Cet attardé venait sans doute de rater sa dernière mission pour les « Crevards de Manni ».

« Ecoute, Ruf’… on ne t’avait pourtant rien demandé de compliqué : suivre cette saleté de bestiole jusqu’à son repaire pour qu’on puisse lui chaparder toute sa malepierre… ce n’était pas infaisable, si ? Même Crottin ici présent aurait su le faire !
– Ouais, même moi, cracha un des pouilleux de la bande »

Rufus faisait rouler ses gros yeux bovins comme s’il voulait à tout prix que son regard échappe à celui de son chef. Il le savait bien, lui, que ce n’était pas sa faute, ça oui, mais Manni ne le laissait jamais parler.

« Si tu es trop stupide pour t’acquitter d’une tâche aussi basique, tu vas me forcer à revenir sur la parole que j’ai donné à ton pauvre frère. Et ça, mon gros, ça me foutrait en rogne ! Je déteste avoir à me parjurer !
– Mais Manni, quand je suis arrivé aux docks…
– Quoi ? Mais ça va pas la tête ? Tu m’a pris pour un autre ou t’as le cristallin opaque, Ruf’ ? Depuis quand tu m’appelles Manni ? Depuis quand ? Comment tu dois m’appeler, gros tas de merde ? Hein, comment ?
– Mais il y avait…
– Comment, bordel ?
– Réponds, l’andouille, ou je t’arrache les c… keuf keuf, expectora un Crottin affligé d’une infection pulmonaire quasiment aussi vieille que lui et d’un sens douteux de la rime.
– … « chef »… je dois t’appeler « chef »… annona Rufus.
– Voilà qui est mieux.

Manni n’avait rien d’un tyran… presque un brave type, même, si l’on considère que parfois, un brave type, dans une situation particulière, peut être amené en toute humanité à trancher la gorge d’un autre brave type d’un coup de lame… Pas de sadisme : il n’aimait pas faire souffrir ; pas de turpitude : il frappait de face, honorablement. En fait, pour un mercenaire crapahutant dans les sombres ruelles de la cité damnée qu’était Mordheim, c’était presque un gentilhomme.
Il était parvenu, au fil des mois, à se faire respecter d’une poignée de vicelards deux fois plus pourris que lui pour s’assurer sa protection et sa fortune à venir… il devenait le meneur d’hommes qu’il n’aurait jamais espéré pouvoir devenir. Alors, évidemment, ce titre de « chef », il y tenait. De quel droit un de ses hommes l’aurait-il appelé par son prénom ? Et ce taré, qui plus est !

– Bon, ça va, ne fais pas cette gueule-là, on dirait ma putain de mère avant que mon père la cogne. Tu parlais des docks, c’est ça ?
– … Ouais, fit un Rufus un peu décontenancé à l’idée saugrenue d’être comparé à une femme battue.
– Tu te souviens d’un endroit plus précisément ?
– … Ben ouais, euh… il y avait un bateau à quai. « Le Poulpe », qu’il était marqué dessus. Même que le skav’, eh ben, je crois qu’il allait rentrer dedans quand je l’ai perdu, ça oui, parce que…
– Nom-de-dieu, Rufus !
– Quoi ?
– Mais, t’as réussi ta mission sans le savoir, bougre de con ! S’il est entré là-dedans, c’est que c’est son repaire ! Tu vois un rat naviguer seul en pleine mer à bord d’un voilier démâté pour rejoindre son île aux trésors, toi? Parce que Le Poulpe, c’est bien ce gros rafiot avec des dorures partout qui croupit aux docks depuis des mois, c’est ça, celui que les habitants du coin ont dépouillé à son arrivée à tel point qu’il n’a jamais pu repartir ?
– Sûr de sûr, chef, couina Crottin qui se souvenait s’être lui-même servi abondamment en boustifaille sur ladite épave avant d’intégrer la bande de Manni.
-Hein ? articula Rufus, soufflé par la simple idée d’avoir vraiment accompli quelque chose qui ne soit pas susceptible de lui valoir une raclée ou une volée de reproches.
– Allez, c’est bien, mon gars. Bon boulot, s’amusa le chef en tapant sur l’épaule du pauvre garçon. Reste ici et repose-toi. Nous, avec les copains, on va lui péter sa tronche et lui voler son trésor à ce rat, hein les gars ? »

Une douzaine d’éclopés aussi durs à cuire qu’un corbeau blindé approuva bruyamment et la petite troupe se mit en branle hors de la maison investie et convertie en quartier général des « Crevards ».

Laissé seul à lui-même, Rufus traîna les pieds jusqu’à son lit où il s’assit pesamment.

C’était une bonne chose. Il avait aidé la bande. Maintenant, on allait sûrement moins se moquer de lui. Il devenait utile. C’était bien, ça oui. Il aurait bien aimé être aussi fortiche que les autres.
Ou aussi malin que Manni. Ca oui, il était malin, le chef. Parce que pour Rufus, un homme-rat, c’était un homme-rat et rien ne le différenciait d’un autre homme-rat. Le chef, lui, il était sûr de reconnaître le bon skaven parmi la centaine qui grouillait dans le navire. Trop fort, le chef ! Il était parti à la conquête de ce trésor sans avoir peur, comme si on ne lui avait même pas parlé de la véritable armée qu’il allait rencontrer ni des trois rats ogres dont Rufus avait entendu parler et dont on disait qu’ils interdisaient tout replis à des attaquants éventuels.
A leur retour, il faudrait qu’il leur demande de raconter. Ca oui. A leur retour. Ce serait une belle histoire, pour sûr.
Ca oui.

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