Challenge n°14 – Texte n°2

Baal-Moloch

“ Là logiquement, ça devrait marcher. Oui, marcher.”

Splinter ne parlait à personne en particulier, il aimait juste soliloquer. De toute manière, il y avait de moins en moins de Skavens prêts à l’écouter. Les ingrats, les idiots ! Ah mais il allait bientôt leur montrer de quel bois il était fait ! Il n’était pas fini, loin de là.

“Vous allez voir ce que je peux encore faire. Oui, faire.”

Juché sur une étroite passerelle métallique bringuebalante, le Maître Mutateur scrutait l’horizon à l’aide d’une vieille longue-vue cuivrée aux optiques ternis. Des nuages sombres et menaçants s’amoncelaient au-dessus des Montagnes du Bord du Monde. D’ici peu, Malefosse connaîtrait un terrible orage, un qui resterait dans les mémoires. Parfait.

Il referma vivement le tube coulissant qu’il fourra aussitôt dans l’une des nombreuses poches rapiécées de ce qui avait certainement dû être un jour une blouse immaculée, il y a très longtemps de cela. Il amorça ensuite un demi-tour, ce qui n’était pas chose aisée : l’influence maligne de la Malepierre avait fini par souder ensemble les os de son bassin et de ses pattes arrières. Pour se mouvoir, il utilisait à présent un système de roulettes sanglées à ses cuisseaux chétifs. Il avait bon espoir, avec la réussite imminente de sa nouvelle expérience, de s’attirer les bonnes grâces d’un Technomage du clan Skryre qu’il lui fournirait probablement une solution technologique plus pratique et surtout, plus décente.

“Ce soir, le firmament va se déchirer. Oui, déchirer.”

S’agrippant à la rambarde de ses pattes griffues, il se laissa rouler jusqu’à une plate-forme grillagée, puis il tira sur une chaîne rouillée assujettie à une poulie tout aussi corrodée pour descendre par à-coups dans les profondeurs d’une immense cave à ciel ouvert, son laboratoire. Il en profita pour inspecter une dernière fois une immense Malepierre brute suspendue dans le vide. En contrebas et juste en-dessous se trouvaient quatre tables de chêne souillées de sang caillé et d’autres immondes humeurs. Sur chacune d’entre elles gisait une silhouette massive recouverte d’un drap crasseux.

Les Vermines de Choc du clan Mors lui avaient livré quatre Orques tantôt, de superbes cobayes dont les capacités cicatricielles et régénératrices étaient en tous points admirables. La première chose que Splinter s’était empressé de faire fut de leur prélever avec soin la cervelle qu’il avait grignotée à la petite cuillère, histoire de ne rien gâcher. Un régal.

Convaincre les Vermines qu’elles étaient elles aussi désignées volontaires pour participer à son chef d’œuvre ne fut pas une mince affaire. Il perdit l’un de ses précieux Rats Ogres au cours des négociations. Mais le prix à payer ne représentait rien comparé à ce qu’il avait entrepris et greffer les cerveaux des Skavens dans la boîte crânienne des Peaux-Vertes ne lui avait pas posé trop de problème, même au niveau des terminaisons nerveuses, contrairement à ce qu’il avait prévu.

Il ne manquait plus qu’un élément pour parachever sa besogne : une petite étincelle de vie.

“Igirsh ! Où est-tu ? Je dois de suite travailler. Oui, travailler.”

Un Skaven, malingre et bossu, s’extirpa de l’ombre d’un pas mal assuré. Craintivement, il s’approcha de son maître et attendit les ordres.

“Assure-toi que les électrodes soient bien fixées. Nous n’aurons peut-être pas d’autre occasion pour aboutir. Oui, aboutir.”

En effet, le temps lui était à présent compté. Sa présence était réclamée à Skarogne par les Prophètes Gris. Il devait répondre de l’étrange disparition des élites du clan Mors et il savait pertinemment que les Seigneurs de la Ruine ne lui pardonneraient pas ses actes si facilement, à moins que son audacieuse expérimentation soit couronnée de succès.

Un grondement sourd se fit entendre. La tempête était enfin sur Abjectalie. Plus apeuré que jamais, Igirsh vérifiait avec frénésie les derniers branchements tout en poussant un couinement strident à chaque coup de tonnerre. Lorsque soudain, la foudre s’abattit sur l’énorme Malepierre dont la teinte verte se fit plus intense et malsaine qu’auparavant.

“Il faut plus de puissance pour la charger. Oui, charger !”

Comme pour répondre à ses attentes, un second éclair frappa la Malepierre qui fut alors parcourue d’arcs électriques crépitants. Dans un vacarme assourdissant, l’énergie descendit le long du bloc pour s’écouler dans une sphère d’acier hérissée de pointes, elle-même reliée par des câbles aux corps qui furent pris de spasmes impressionnants.

“Ils vont vivre ! Oui, vivre !”

L’air était chargé d’une odeur d’ozone et de poils roussis. Igirsh ne s’était pas retiré assez rapidement et avait littéralement grillé. Pas une grosse perte en comparaison des créatures qui se tenaient désormais debout, inspectant avec curiosité leurs mains.

“Oui ! J’ai allié la force et l’intelligence. Dorénavant, vous vous nommerez Leonatork, Raphaellork, Donatellork et Michelangelork. Vous êtes mes enfants et je suis votre père. Venez m’embrasser. Oui, embrasser.”

Les quatre monstres ne se le firent pas demander deux fois et se jetèrent sur Splinter, inconscient de leur véritable intention. Ils le réduisirent promptement en une masse de bouillie informe et sanguinolente, et s’enfuirent tout aussi vite du laboratoire en poussant des hurlements de bêtes blessées. Leurs cris et ceux des malheureuses victimes qui croisèrent leur chemin se répercutèrent très longuement dans les noirs tunnels de Malefosse.

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