Challenge n°19 – Texte n°1

Metatron

D’une impulsion de son cerveau électronique, Khapa ordonna l’activation des dix mille robots d’assaut qui peuplaient les soutes.
Les capteurs disséminés dans le vaisseau sanctuaire renvoyèrent immédiatement des images des êtres de métal qui revenaient à la vie après des années d’inactivation.
Sans joie, Khapa contempla les rangées de guerriers qui appliquaient les séquences qu’une civilisation avait implantées dans millénaires auparavant dans leur cortex de silicone.
S’équiper, vérifier le matériel, rejoindre le point de ralliement, attendre…
Quel ennui…
Brisant le cliquetis discret des machines, la voix douce et modulée de Nodro résonna dans les coursives :
« Le vaisseau sanctuaire sera en position dans 15 minutes »
Pas un sanctuaire, songea Khapa. Plutôt un immense tombeau, dérivant pour l’éternité dans l’espace.
Pas de risques de panne sèche : les accumulateurs étaient rechargés automatiquement dès que l’on passait suffisamment près d’une étoile.
Aucun besoins physiques : respirer, boire, dormir… Il n’y avait que des robots à bords. Pour le nettoyage, l’entretien, la guerre… Des milliers de pantins de toutes les tailles, incapables de bouger de leur propre initiative.
Et seulement trois intelligences artificielles pour troubler la morosité d’un voyage intersidéral sans but. Nodro, l’ordinateur central qui occupait la fonction de pilote ; Labhia, chargé de la maintenance des appareils ; et Khapa, à qui revenait tout ce qui touchait à la défense du vaisseau. Mais qui aurait voulu s’attaquer aux précieux tabernacles qui contenaient les saintes reliques ? La civilisation qui les avaient érigées comme telles avait sombré dans l’oubli et l’espace était désespérément vide.
Faute d’assaillants, ils avaient décidé d’un commun accord d’aller les chercher.
La planète XDR-0001 semblait offrir un défi intéressant : une population de bipèdes belliqueux, capables d’élaborer des armes puissantes pour se détruire mutuellement, avec d’immenses armées perpétuellement sur le pied de guerre…
« Ordre aux unités C-12×0 et K-PU12 de ramener les matériels suivants : … »
La consigne venait de Labhia. Il énumérait à présent une liste d’objets sans queue ni tête, de toutes les formes, tous les matériaux… Les projecteurs de la salle d’arme clignotèrent quelques secondes. C’était ainsi que Khapa manifestait sa colère : Labhia avait transmis une injonction de priorité une, court-circuitant toutes les procédures et prenant le pas sur les robots d’état major.
Labhia était ce qui ressemblait le plus à une intelligence artificielle au bord de la folie.
Au cours des siècles, il avait réussi à se reprogrammer partiellement, élargissant par la même son champs de possibilité. Il pratiquait à présent ce qu’il appelait « de l’Art » et nul doute que les objets demandés finiraient dans l’une de ses improbables sculptures.
« Vaisseau Sanctuaire stabilisé en orbite géostationnaire » psalmodia Nodro dans les hauts parleurs.
Pourquoi ce fichu ordinateur s’acharnait-il à déclamer ses observations par onde sonore plutôt que par le réseau hypertronique ?
Khapa ne supportait plus cette voix grave que ses concepteurs avaient voulu chaleureuse.
« Première vague d’assaut en attente » répliqua-t-il, en choisissant une voix féminine.
Les opérations commençaient.
Il avait choisi d’envoyer une force de frappe réduite, qui permettrait de maintenir chez les autochtones l’illusion d’un espoir de victoire.
Cependant, les circuits du cerveau millénaire de Khapa avaient déjà creusé toutes les possibilités sur le déroulement des affrontements.
Il n’y aurait aucune surprise.
Avec une série de bip qui auraient pu passer pour un soupir de résignation, Khapa amorça le bombardement nucléaire.

*

Le vaisseau sanctuaire avait repris sa route et la planète XDR-0001 n’était déjà plus qu’un croissant lumineux dans les viseurs optiques.
« Nous avons atteints notre vitesse de croisière, déclama Nodro. Nous quitterons le système dans 385 minutes et 18 secondes »
Khapa activa sa connexion au réseau central du vaisseau.
Les flux électroniques qui le parcouraient de manière spasmodique trahissaient l’excitation des autres intelligences artificielles.
« Patience, tempéra Khapa. Nous le réveillerons une fois que nous aurons gagné le plein espace.
_Il a l’air si puissant, s’extasia Labhia ! Ce sera un plaisir que de le voir parcourir notre vaisseau. J’ai déjà imaginé toute une série de pièges et d’épreuves à lui faire subir.
_C’était le meilleur d’entre eux. Tu ne seras pas déçu »
Ces deux mois d’assauts interrompus aux quatre coins de la planète n’avaient pas été vains : ils avaient permis d’y dénicher le guerrier ultime. Un concentré de muscles, de techniques de combat et de dextérité au maniement des armes.
Ils avaient du le traquer sans relâche comme si, trop sur de sa force, il avait refusé le combat, refusant de se mêler aux ridicules fantassins kakis qui avaient été balayés par les robots. Mais les innombrables vidéos qui pullulaient dans toutes les villes parlaient pour lui : aucun autre de ses congénères ne lui arrivait à la cheville.
Khapa jubilait en contemplant son prisonnier : il lui mettrait à disposition toutes les armes dont il avait jamais rêvé, puis il le lâcherait dans les interminables coursives du vaisseau. A sa charge ensuite d’échapper aux robots traqueurs qui seraient lancés à sa poursuite et aux pièges tordus de Labhia. Et comme d’habitude, Nodro se délecterait du spectacle en silence.
Impatient de lancer le début des festivités, Khapa contrôla une dernière fois les constantes vitales du prisonnier :
« Tu vas voir, John Rambo, on va bien s’amuser »

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