Challenge n°18 – Texte n°4

Metatron

L’affaire Marie Garrigan

Bonjour à tous

D’abords, j’adresse un grand merci à tous ceux qui sont venus assister à cette conférence de presse inhabituelle.

Ce n’est pas tous les jours qu’un lieutenant de police à la retraite convoque les journalistes de son propre chef. Mais ne vous inquiétez pas, vous aurez votre content de scoop pour la journée.
Pour ceux qui ne me connaissent pas, je m’appelle Alek Mashburn. J’ai fait l’essentielle de ma carrière dans la police criminelle de la ville et j’ai eu l’occasion de collaborer avec certains d’entre vous au cours de mes investigations.

C’est l’une de ces enquêtes que je vais dépoussiérer aujourd’hui. Les plus anciens d’entre vous se souviennent peut-être de Marie Garrigan : il y a dix-sept ans, le 17 mars 1978, cette femme était retrouvée dans un hangar désaffecté. Ligotée sur une chaise, elle avait été torturée avant d’être abattue d’une balle dans la tempe. C’est moi qui m’occupais du dossier, d’abords sur sa disparition, puis sur son meurtre.

Je peux vous dire que les relevés sur les lieux du crime n’ont pas été une partie de plaisir.

L’assassin avait fait preuve d’une cruauté sans retenue.
La victime avait été tabassée à l’aide de planches de chantier et subi des brûlures superficielles aux bras réalisées avec un briquet ; on lui avait arraché des mèches entières de cheveux et cassé les doigts à l’aide d’un marteau… Je vous passe la suite des sévices. Vous pourrez vous plonger dans vos archives, cette charmante séance avait été retranscrite avec force détails dans tous les journaux.

L’affaire avait immédiatement fait grand bruit car l’époux de Marie Garrigan n’était autre que Robert Allenby. Que vous connaissez tous, n’est-ce pas ? Ancien acteur, né dans une famille désargentée du Vermont, il est aujourd’hui à la tête d’une entreprise florissante : textile, production de film, crédit à la consommation, radio… Cet homme touche-à-tout est l’exemple type du self-made man.

Au moment de la mort de Marie Garrigan, il jouissait d’une notoriété certaine : quelques mois plus tôt, il avait abandonné sa carrière de comédien pour racheter Kaneo, la fameuse marque de prêt-à-porter masculin.
A cette époque, les costumes Kaneo n’étaient pas encore à la pointe de la mode comme ils peuvent l’être aujourd’hui. Robert Allenby avait fait le pari de redonner ses lettres de noblesse à cette société alors en plein marasme financier.
Cependant, le chemin était semé d’embûches : les dettes de Kaneo n’étaient pas si facile à éponger et il fallait se battre à chaque seconde pour renouer avec le succès.
Mais revenons aux faits.

Le 16 mars, Marie Garrigan sort de chez elle à 9h30. Elle monte en voiture et salue sa voisine à qui elle déclare avoir un rendez-vous dans son institut de beauté, situé à une dizaine de minutes de chez elle.
A 18h40 le même jour, un garde forestier retrouve la voiture sur un chemin de terre de la forêt de St Hinguail, portière arrachée et des traces de sang sur le siège.
C’est à ce moment là qu’on m’a confié le dossier.
Très vite, on tombe sur un os : Marie Garrigan n’avait jamais pris rendez vous dans son institut de beauté.
On a tout de suite pensé à l’éventualité d’un amant.
Il se trouve que nous avons vu juste : Stuart Villalobos était un sculpteur prometteur qui possédait un atelier en centre ville. C’est avec lui que Marie avait rendez-vous ce matin là. Ils se fréquentaient depuis 5 mois et, au dire de Stuart, étaient passionnément amoureux.
Pourtant, malgré les appels à témoins lancés à la télévision ou à la radio, Stuart ne vient pas se présenter à nous : il nous a fallu éplucher les échange téléphoniques de Marie pour apprendre l’existence de cette liaison. Sur ce coup là, Stuart n’a pas marqué des points et il s’est placé très vite en tête de liste des suspects.

Mais dans ce genre d’affaire, s’il y a un amant, c’est plutôt le mari qui a le mobile le plus plausible. D’autant plus que Robert Allenby, qui était parti depuis le 14 mars, ne revient que dans la nuit du 16 au 17 mars. Injoignable, il visitait plusieurs sites de productions de Kaneo, à deux cents kilomètres de chez lui.
Tandis que Stuart est interrogé dans les locaux de la police, Robert est cuisiné dans sa maison. On espère toujours une demande de rançon quelconque, aussi on reste à portée du téléphone.
Rien ne vient.

Dans le même temps, mes enquêteurs se plongent dans les comptes du couple Allenby – Garrigan. Surprise : Robert, suite aux sommes investies dans Kaneo, n’a plus un sous. En revanche, sa femme possède un pécule confortable, avec une assurance vie de plusieurs centaines de milliers de dollars, qui lui viennent de sa famille. Robert avait donc deux mobiles : le mari trompé et le mari avide de récupérer l’argent de son épouse. Et il ne faut pas longtemps pour faire un aller retour de 200 kilomètres…

Nos interrogatoires se font plus pressants. On secoue Robert, qui nous tient tête pendant plusieurs heures.
Puis, le 17 mars au matin, il craque : il avoue qu’il était au courant pour Marie et Stuart. Qu’effectivement, il y a eu des mots très durs. Mais il nous assure que lui et sa femme se sont réconciliés et que Marie devait annoncer à son amant la fin de leur relation.
D’ailleurs, les alibis de Robert sont confirmés. Le gardien de l’entrepôt de l’usine de Ashford confirme qu’il a vu passé Mr Allenby à deux reprises le 16 mars : à 8 heures et 12 heures. Celui de l’usine de Torbay, à 14h00 et 18h00. La visite de chacun des deux sites a été réalisée en compagnie de Mr Montani, responsable de la production chez Kaneo.
C’est alors que la police retrouve le corps de Marie Garrigan dans ce hangar. Nous sommes tous choqués par la violence du meurtre. Même aujourd’hui, à vous en parler, les souvenirs de ce corps déchiré et meurtri me font froid dans le dos.
Mr Allenby ayant des mobiles mais de solides alibis, notre attention se reporte sur Stuart Villalobos, l’amant au comportement suspect.
La police scientifique passe la scène du crime au peigne fin : on y retrouve des traces d’argile de sculpture.
Nous obtenons sans difficulté un mandat afin de perquisitionner l’atelier de l’artiste.
L’argile utilisée pour les sculptures correspond en tout point à celui découvert sur les lieux du crime. Mais, surtout, il y a ces œuvres : des statuettes représentant des hommes et des femmes entravés, mutilés, implorant le pardon à genoux. L’homme a un talent indéniable, mais ses sculptures sont malsaines et le psychiatre à qui nous les soumettons juge qu’elles sont le fruit d’un esprit malade.

Voila, dans les grandes lignes, le résumé de l’enquête. La suite, c’est l’arrestation de Stuart Villalobos pour le meurtre de Marie Garrigan et sa condamnation à mort à la fin d’un procès haut en couleur. Stuart a été exécuté il y a de cela huit ans. Pour la petite histoire, Robert Allenby ne toucha jamais l’assurance-vie de sa femme. Celle-ci avait inclus une clause spéciale afin que cet argent soit versé à une association caritative.
L’affaire est donc classée aux yeux de la justice.
Mais vous vous doutez bien que je ne vous ai pas réunis ici pour vous raconter ce que tout le monde sait déjà.
Comme je vous le disais, je suis à la retraite et je ne me mêle plus des enquêtes.
J’ai cependant gardé quelques de bons contacts avec mes anciens collègues, qui me passent un coup de fil de temps à autre. C’est ainsi que mercredi dernier, j’ai reçu un message pressant. Il était de Macenzy, un enquêteur prometteur qui débutait tout juste au moment de l’affaire Marie Garrigan. Il me disait qu’il avait quelque chose de très important à me montrer.

La retraite n’a rien de bien folichon pour celui qui a été confronté pendant des années aux pires crapules du pays. Aussi, c’est avec une certaine excitation que je gagnais le commissariat central.
Macenzy me fit mariner un moment. Il me raconta la sombre histoire d’un receleur pris la main dans le sac.
Il me détailla par le menu la fouille de l’appartement du prévenu, où se trouvaient une quantité astronomique de portefeuilles dérobés.

« Et alors ! » lui demandai-je, impatient.

« Et alors, de 1976 à 1982, ce type jouait les pickpockets. Chez lui, nous avons retrouvé ceci »

Il me tendit le portefeuille que voici. Un bel objet : cuir noir, dorures… Mais voyez cette usure à la pliure : de toute évidence, il n’est pas tout jeune.
Je l’ouvre.
Qu’y trouve-t-on ?
American Express, carte de parking et… Cette carte d’identité.
Allez y, approchez ! Venez lire le nom.

Et oui : Robert Allenby.
La photo n’est pas toute jeune, mais il est très reconnaissable pour ceux qui ont vu ses films.
Il y a même son permis de conduire.
Je me remémore alors une anecdote : Robert, au moment d’enregistrer sa déposition, nous avouant qu’on lui a volé ses papiers durant son voyage d’affaire…
Ce n’est pas tout.

Dans ce portefeuille se trouvait aussi cette lettre, proprement pliée.
Je vous en fais lecture :

« Je, soussignée Marie Garrigan, demande la modification du contrat d’assurance vie numéro untel. Le seul bénéficiaire de ce contrat en cas de décès est à présent Mr Robert Allenby, né le… etc… etc.… » Intéressant, non ?
Et cette lettre est signée par Marie elle-même !
Enfin, le plus beau : il y a plusieurs tickets de caisse.
Les plus récents sont datés du 15 mars 1978, soit la veille de l’enlèvement de Marie Garrigan.
Macenzy a interrogé le pickpocket, qui a avoué avoir dérobé ce portefeuille le 16 mars 1978, à quelques rues du hangar où la victime a été retrouvée.
Comprenez-vous ce que cela signifie ?

Le 16 mars, Robert Allenby a eu le temps de faire un aller-retour de 200 km pour se balader non loin du lieu du meurtre de sa femme. Par conséquent, au moins l’une des personnes qui lui a fourni un alibi a menti.
Qu’a-t-il fait exactement ?
Est-ce lui qui a enlevé sa femme et l’a séquestrée dans ce hangar ? L’a-t-il torturée jusqu’à ce qu’elle accepte, en échange d’une mort rapide, de signer le fameux papier demandant la modification du bénéficiaire de l’assurance vie ?
Est-ce lui qui a appuyé sur la détente du revolver ?
Et comment comptait-il utiliser ce document sans éveiller les soupçons ?
Il y a encore de nombreuses questions sans réponses, mais comme moi, vous conviendrez que le doute s’est installé.
Et si Stuart Villalobos n’était pas coupable ?
Aujourd’hui, Robert Allenby est un richissime homme de pouvoir. S’il souhaite étouffer ces nouveaux indices, il ne lui en coûtera qu’un claquement de doigts.
Aussi, je vous demande à vous tous, amis journalistes, de m’aider à faire rouvrir ce dossier, en publiant les éléments que je vous ai présentés aujourd’hui.
Seule la pression de l’opinion public empêchera que la contre-enquête soit tuée dans l’œuf.
Si par hasard on découvrait qu’un innocent a payé pour le crime d’un autre, je n’oserai même plus toucher la maigre retraite qu’on me verse chaque mois tant que le vrai coupable ne sera pas sous les verrous.

Je vous remercie de votre attention et j’attends avec impatience vos papiers à la une des journaux.

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