Challenge n°22 – Texte n°7

Linuial

« Qui suis-je pour m’opposer à sa volonté ? »

Raphaël regardait ses bottes franchement dégueulasses en prenant soins de ne surtout pas lever les yeux. Le prêtre et le commissaire allaient et venaient devant le peloton, leurs voix portées par des audio-crânes virevoltants. Les deux compères haranguaient copieusement les soldats à grands coups de : « L’Empereur exige ! » « L’Empereur demande ! » « Il vous regarde ! » Leurs bras tranchaient l’air moite autour d’eux. Ce fut un véritable massacre de moustiques qui se retrouvèrent impitoyablement collés sur la robe de bure de l’ecclésiaste et le cuir de l’officier impérial.

A quinze minutes des festivités, Raphaël se disait que c’était sans doute le moment le plus pénible de sa vie. Ce n’était pas le fait qu’on allait leur demander d’affronter, en vain, une marée tyranides. Ce n’était même pas le fait de devoir subir ce même discours de crétins avant de se faire trucider (ce qui était le comble de la perversité) En réalité, Raphaël regardait ce foutu bouton sous son pouce et imaginait son avenir. Appuyer lui faisait peur. Bizarrement, les conséquences immédiates ne le préoccupaient pas vraiment. Il commença à se demander s’il ne sombrait pas dans la démence. D’après le commissaire, l’Empereur demandait qu’il aille mourir pour rien. Enfin, non, pas pour rien, pour l’Empereur mais bon, quand même…
« Qui suis-je pour m’opposer à sa volonté ? »

Au loin, on entendait grandir les crissements et les claquements caractéristiques des hordes xénos affamées. Voyant le trouble chez son auditoire, le prêtre monta le volume des haut-parleurs et s’égosilla de plus belle. Apparemment, il tenait vraiment à sauver la spiritualité de ses oies.
Cette belle âme à chérir et ce corps à haïr. Leur part de divin qu’ils se devaient de libérer dans la souffrance de la chair comme l’avait fait l’Empereur avant eux et pour eux. Ca avait été un sacré sacrifice et ça imposait le respect. Aujourd’hui le prêtre Emilio ou « haleine de rat », comme le nommaient affectueusement les soldats, affirmait que le Dieu de l’humanité avait tout sacrifié pour qu’elle fasse de même aujourd’hui. Son sceptre laissait s’échapper un encens à dégouter un Kroot et tintait frénétiquement à chaque balancé. Ca tapait sur les nerfs de beaucoup mais Raphaël n’entendait plus rien.
Il était à un geste de la liberté et ça le terrifiait.
« Qui suis-je pour m’opposer à sa volonté ? »

Ca lui revenait tout le temps comme pour lui dire de laisser tomber. S’il faisait ce qu’on lui demandait, il deviendrait un élu aux yeux de son Dieu et vivrait éternellement à sa droite. Spirituellement parlant, bien sûr. C’était ça le deal et c’était tout de même un paradoxe que de commencer à exister tout en devant mourir. Il n’en revint pas de la difficulté qu’il avait à sauter le pas. Le choix n’était pourtant pas compliqué et semblait d’une limpidité évidente : Soit il ne faisait rien et il était sûr de « caner » comme un con pour Emilio et son « patron », soit il tentait sa chance et prenait le risque d’un mieux… comme d’un pire. Qu’il puisse « contrarier » la volonté de l’Empereur-Dieu, Raphaël n’y croyait guère au fond mais il comprenait que c’était de perdre ses repères ou son « référentiel » comme disait le major, qui lui foutait les foies. Qu’avait-il auquel il puisse tenir à ce point ?

« Ben, rien. » dit-il, à voix haute.
Le commissaire s’arrêta net et regarda en sa direction, cherchant l’origine de l’interruption. Raphaël le fixa sans peur et appuya. Les pains de plastic sautèrent aux quatre coins de la base et ce fut la débandade la plus complète. La muraille sud avait cédé et déjà on pouvait voir grouiller les premiers essaims de Gaunts. Les officiers essayaient de rassembler et de regrouper les leurs sous les regards ulcérés du prêtre et de l’officier de propagande impériale.

Raphaël suivit son plan tranquillement et s’éclipsa jusqu’à l’extérieur où l’attendait camouflée, sa carte de sortie : un land-speeder abandonné et retapé en douce durant le dernier mois. Il attendit que les premiers tirs retentissent au loin et se mit en route vers l’astroport à vingt kilomètres au nord-ouest. Il s’en voulut d’avoir si peu de peine pour ses frères d’armes mais il voulait vivre.
Peut-être s’en sortirait-il ou peut-être pas.
Le visage au vent, il esquissa un sourire.
« Je m’en remet à votre volonté, ô Empereur. »

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