Challenge n°22 – Texte n°4

Son of Khaine

Le Poète

1

Qui suis-je pour s’opposer à sa volonté ? Oui, qui suis-je ? Quelle est sa volonté ? Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi ne puis-je pas l’oublier, pourquoi ne puis-je pas mourir ? Pourquoi me poser toutes ces questions ? Pourquoi ? Pourquoi, pourquoi ? POURQUOI !

2

Il faut que je me calme. Que je sorte de la spirale démentielle et que je réfléchisse. Pourquoi ? La question revient toujours, aussi lancinante que la douleur qu’émet chaque parcelle de mon corps meurtri, chaque recoin de mon âme dévastée. Puisque je ne puis faire taire ces interrogations, autant les traiter le plus sereinement possible. Une à une. Qui suis-je ? Je ne suis même pas sûr de le savoir. Mes hallucinations et mes souvenirs se mélangent dans mon esprit malade au point que je me souviens à peine des noms que j’ai portés dans mon ancienne vie. Ou lorsque je vivais encore, plus exactement. Le Fils de Caïn, la Paix de Dieu, le Porteur de Lumière, le Seigneur des Enfers… aucun ne me convient désormais. Je suis à présent un orphelin qui rêve de devenir meurtrier mais ne le sera jamais, un apostat de la pire espèce que rien n’apaisera plus, un sans-le-sou errant dans les ténèbres, un esclave trimant sans relâche dans les profondeurs de la géhenne.

Je ne suis personne et je ne suis rien. Ou si peu. Une épave, un amas sans vie de chair et d’os, un débris d’être humain. Peut-être un poète, si l’on considère comme des vers les lignes écrites à l’encre de mes veines, si l’on considère comme des pages les six-cent-soixante-six palimpsestes éparpillés autour de moi et sans cesse regrattés. Je suis Prométhée, prisonnier d’un Tartare de marbre noir pour avoir reçu le feu qui me consume encore. Je suis Sisyphe, condamné à un cycle de souffrances sans fin. Toujours le même. Espoir que son visage divin se tourne vers moi et me sourie pour me tirer de mon désespoir. Plaisir quand je la contemple béatement durant quelques instants et crois mon espoir récompensé. Colère quand elle s’en va sans un regard pour moi, mettant fin à mon plaisir futile. Désespoir quand je suis épuisé à force de hurler ma colère.

3

Je dois passer à la seconde question, ou je vais replonger dans la folie. Quelle est sa volonté ? Elle est sûrement que je reste ainsi pour toujours, lié à l’autel que j’ai moi-même bâti en son nom, à guetter malgré moi chacun de ses passages, à pleurer dans les ténèbres, à chercher une mort qui ne vient pas, à chercher une vie que je ne retrouverais jamais, à espérer un sommeil impitoyablement chassé par l’Horloge. Celle-ci émet sans cesse un bruit angoissant de va-et-vient régulier qui résonne de toute parts dans ma conscience et ma cellule, comme le métronome rythmant la douloureuse rhapsodie de mon agonie sans fin. Oui, telle est sa volonté, et c’est la raison pour laquelle je la hais. Meurs ! Meurs, meurs ! MEURS ! Voici ce que je hurle de toute la force de mes poumons comprimés par la rancoeur, sans savoir si je m’adresse à elle ou à ma propre personne.

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Je finis par retrouver le contrôle du déchet sanguinolent que je suis. Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé depuis ma dernière crise. Je souris, dévoilant mes dents brisées – Chronos est mort. Mon passé s’est totalement estompé et le futur n’apportera rien d’autre que ce que je subis en ce moment. Non, le temps n’existe plus, il n’y a que l’Horloge – il faut toutefois que j’arrête de penser à cette machine infernale et que je reprenne le fil de mes interrogations. Sa volonté, qui suis-je pour l’interpréter ? Je suis Tantale, baignant dans un lac de souffre que j’aimerais boire pour mettre fin à mes jours.

Elle veut peut-être que je sorte de ce lieu maudit. Oui, c’est cela ! Je tente de me lever, force sur mes liens – ils vont bien finir par se briser !

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Pourquoi me suis-je donc à nouveau meurtri ainsi les chairs ? J’ai déjà tenté cela une infinité de fois. Il faut que je me concentre et me calme. Quelle peut bien être sa volonté ? Que je sorte de ce puits ténébreux et que je la rejoigne là-haut ? Non. J’ai essayé autrefois, sans obtenir de résultats. Qu’importe, il faut que j’y aille. Il le faut, car je ne peux pas exister sans elle !

6

Est-il imaginable d’être stupide à ce point ? Je souffre encore plus qu’avant, si c’est possible. Je ne peux vivre sans elle, mais je ne vis plus depuis longtemps. Quel idiot je peux être… au point d’en devenir risible… Tout se mélange dans ma tête. Je me convulse, pris d’une frénésie inexplicable. Je finis même par pleurer quelque peu. De rire. Oui, parfaitement, je ris comme je ne l’ai jamais fait. Je me moque de moi-même, d’elle, de l’Horloge, de ma prison, de mon destin, de tout ce qui existe et n’existe pas. Cela me fait qu’augmenter ma douleur. Alors, je me mets également à me moquer de mon martyre.

7

Je suis vidé. Plus d’amusement insolite, plus de questions sans réponses. Plus d’espoir, plus de plaisir, plus de colère, plus de désespoir. Plus rien. Alors je reste là, enchaîné, des larmes au coeur, de l’amour dans les veines et du sang dans les yeux. J’attends sa venue et je la redoute, bercé par le son démoniaque qu’apporte l’écho. L’esprit entre démence, lucidité et fantasmes. Le coeur entre désir, haine et furie. La vie dans le clair-obscur d’un crépuscule sans fin.

8

Puis l’Horloge sonne treize coups, annonçant le début d’une nouvelle éternité d’amour, de rage et de tourments.

9

Je veux mourir mais je veux vivre.
Je veux te tuer mais je veux t’aimer.
Je veux tout et je ne veux rien :
Tu es tout pour moi, mais tu n’as rien à m’offrir.

10

Je t’aime. Je te hais.
Je te hais. Je t’aime.

11

Je te haime.
Je t’aihais

12

Je te

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