Challenge d'écriture n°29 – 1er texte

Atorgael

” Tu n’aurais pas dû me suivre, ce n’est pas raisonnable.
– Je ne sais plus ce qui est raisonnable ou pas, je sais seulement que je ne peux plus te quitter de toute la nuit.
– Il faudra bien se quitter pourtant.
– Ne dis pas ça et profitons du temps présent qui nous est offert à toi et moi. ”

Sur ces mots, le jeune homme tenta d’attirer sa compagne à l’abri d’un porche, mais elle se déroba lestement et repartit d’un air joyeux au milieu de la rue semblant le défier de la rattraper. Son rire léger et cajoleur emplit l’air un instant, couvrant le bruit des nombreux autres fêtards. Cette nuit des Morts, une ancienne fête païenne revenue au goût du jour, était joyeusement animée dans ce quartier branché de la capitale, les vampires se mêlaient aux squelettes, monstres verts et autres revenants.

” Miranda ! Attends-moi ! ”

Mais la jeune femme ne semblait pas disposée à cela et continua à virevolter dans la rue égrenant un chapelet de rires dont profitèrent tous ceux qui croisèrent le couple, son costume de revenante flottait derrière elle en un superbe oriflamme décatit, elle se jouait de son compagnon en une danse de séduction lascive et irrésistible.
Marco ne se laissa pas distancer et partit à la poursuite de sa compagne d’un soir en riant et en l’appelant, son costume de dandy élégant brilla aux lumières des réverbères alors que ses longues foulées le rapprochaient de délices longtemps imaginés.

Les deux jeunes gens se retrouvèrent ainsi dans une petite ruelle sombre et discrète écartée des rues pleines de lumière et d’agitation où la fête battait son plein. Elle paraissait être le lieu idéal pour arrêter enfin cette course sembla penser Miranda car elle se laissa rejoindre par le sémillant jeune homme qu’elle avait croisé un peu plus tôt, au tout début de la nuit.
Celui-ci se rapprocha à pas lents, sentant que la conclusion allait se dérouler ici lorsque les douze coups de minuit sonnèrent au clocher d’une église voisine.
A ce son ils se sourirent d’un air entendu mais, alors que leurs mains commençaient à se chercher et à se découvrir, des ombres plongèrent la ruelle dans une obscurité presque complète : un groupe bloquait les pales traits de lumière de l’unique réverbère. Quatre hommes corpulents vinrent troubler leurs ébats.

” Qu’est-ce qu’on a là les gars ? Un gentil petit couple ? C’est’y pas mignon de voir ça, hein les gars ? lança la brute qui semblait être le chef des loubards du quartier.

Les rires gras et vicieux de ses trois compagnons lui répondirent, accompagnés de quelques remarques obscènes. Les hommes étaient grossièrement grimés en ogres et en portaient les oripeaux classiquement attribuées à ces monstres, à moins que ce ne fut leurs habits de tous les jours. Sans avoir le carrure de ces monstres, ils étaient cependant tous bien plus costauds que les jeunes gens qui ne faisaient pas le poids face à eux.

” Vous dérangez pas pour nous hein, on va attendre que vous ayez fini avant de prendre notre tour. ”

Miranda regarda le bout de la ruelle vers laquelle ils auraient pu s’échapper mais elle ne distingua qu’un mur qui allait rendait cette impasse fatidique. Elle regarda alors les brutes puis Marco, ce dernier lui semblait encore sous le choc de cette interruption et elle prit donc les devants.
La jeune femme se dégagea de son compagnon et fit face à la bande.

” Dites-moi les gars, mais je rêve, je crois que j’ai un ticket là, reprit le chef, désolé mon petit, mais ta copine semble préférer les hommes, les vrais.
– Même dans tes pires cauchemars mon gros, tu ne t’imagines pas ce qui va t’arriver. ”

La voix de Miranda avait soudainement changé pour se muer en une sourde plainte sépulcrale, de longs crocs percèrent ses gencives alors que sa gueule semblait vouloir s’agrandir et ses doigts se déchirèrent sous la poussée de serres acérées.
Les brutes tentèrent de reculer par effroi autant que par surprise, mais un bond prodigieux de la jeune femme la propulsa dans leur dos, bloquant toute possibilité de s’enfuir.
Changeant de direction, le groupe reflua en direction de Marco qui leva les mains au ciel.

” Je vous laisse avec elle, je ne la connais que depuis ce soir. ” lança-t-il avec un sourire désolé sur le visage.

Ne sachant pas s’il se moquait d’eux, les loubards le laissèrent tranquille et continuèrent à reculer en gardant un œil sur la jeune femme. Ils arrivèrent ainsi au bout de l’impasse et se retrouvèrent bloqués.

” Fin du voyage les gars. ” conclut Marco sinistrement.

Miranda se jeta alors sur le groupe et la boucherie commença.
Le premier tomba sous les serres acérées, son ventre laissant échapper ses intestins. Il tenta de les retenir un instant, mais il finit par s’écrouler dans ses propres organes, mort.
Le second tenta de sauter sur le monstre qui les attaquait mais il fut cueilli en plein vol par le poing levé de la femme. Les serres perforèrent son abdomen comme s’il s’était agit d’une simple boite en carton. Le craquement sinistre des côtes résonna un instant aux oreilles de ses deux derniers comparses. Elle le laissa retomber au sol avant de se tourner vers le troisième homme.
Ce dernier avait sortit un couteau qu’il pointait vers leur bourreau d’une main mal assurée, fauchant l’air devant lui pour l’empêcher d’avancer. La jeune femme n’en tint cependant pas compte et continua sa marche funèbre. L’homme lui planta alors la lame dans le ventre avec un rictus de joie sauvage. Miranda regarda la main de l’homme tenant encore son arme et le saisit par le poignet. Elle retira lentement la lame en fixant l’homme droit dans les yeux. Il y lut toutes les noirceurs de l’âme du monstre en face de lui, le monstre qu’ils avaient réveillé quelques instants auparavant alors qu’il ne demandait rien à personne sinon un peu de tranquillité. Son regard se figea soudain et devint vitreux quand Miranda lui planta son couteau dans la gorge.

” Pitié, pitié !” pleurnichait le dernier survivant du petit groupe.

Recroquevillé sur pavé il sanglotait agité de spasmes nerveux. Le sol était souillé sous lui car il n’avait pu se retenir, la terreur ayant submergé sa raison.
Une serre pointue lui fit relever le menton et il croisa le regard mort de Miranda.

” Ne t’en fais pas, je ne vais rien te faire, je me suis assez amusé comme ça.
– M … merci, merci ma … madame …
– Marco, il est à toi, je te le laisse. Montre lui quel genre d’homme j’aime, montre-lui ce qu’est un homme véritable.”

Une furie de crocs et de griffes se jeta alors que le malheureux rescapé qui eut à peine le temps de voir son assaillant. L’air s’embruma d’une teinte rouge sang, le fluide vital se répandit bientôt à flots sur les pavés de la ruelle. Un spectateur aurait pu voir deux formes inhumaines penchées sur un cadavre en train d’en dévorer les morceaux les plus tendres.

Miranda et Marco se relevèrent enfin de leur funeste repas.

” Ce petit intermède m’a donné faim, allons chasser un peu.
– Tu es vraiment insatiable ma douce, mais je te suis. ”

Le restant de la nuit, Marco et Miranda allèrent de maison en maison pour célébrer la nuit des morts qui porta rarement aussi bien son nom. Les hommes du guet auraient de nombreuses enquêtes à mener au matin.
Au son de la joyeuse comptine ” Ouvrez-nous ou on fait les fous”, les deux prédateurs nocturnes se firent ouvrirent nombre de demeure où les habitants tenaient à célébrer cette fête dignement. Aucun ne revit le soleil. Ils enchainèrent massacre sur massacre, reprenant parfois dans des draps encore chauds de leurs victimes là où ils avaient été interrompus plus tôt dans la nuit.

Miranda et Marco se gorgèrent de sang et de meurtres toute la nuit jusqu’aux tous derniers instants avant l’aube. Jusqu’au moment de la séparation.

” Tu avais raison, ce n’était pas raisonnable de te suivre.
– Adieu mon aimé, je ne t’oublierai pas.
– Adieu mon aimée, cette nuit restera gravée à jamais. ”

Rejoignant leurs carrosses noirs aux lourdes tentures opaques, les deux prédateurs reprirent la route, chacun de leur côté. Ils repensèrent longtemps aux moments passés avec l’autre avant que le sommeil ne les prenne.

L’existence de prédateurs était dangereuse et incertaine malgré leurs terrifiants pouvoirs, mais Marco était sûr d’une chose concernant cette nuit et Miranda, au plus profond de lui il la ressentait avec une précision telle qu’elle aurait pu passer pour une divination, il savait qu’il la reverrait bientôt.

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