Nécrarques

Portant bien haut sa lanterne, Néron descendit l’escalier en spirale qui menait à la crypte. Les marches étaient anciennes et vermoulues et la lumière chancelante émise par la lanterne dessinait sur les murs des ombres mouvantes. Atteignant enfin la dernière marche, il écarta de la main les toiles d’araignées tendues en travers de l’arche. Une pensée lui traversa soudain l’esprit et l’arrêta net dans son mouvement. Ce donjon était le lieu de repos d’un vampire, comment ce dernier pouvait-il passer chaque matin par cet escalier sans déranger les toiles d’araignées ? Il devait y avoir une attire entrée à cette crypte… ou s’agissait-il d’un autre des nombreux pouvoirs de l’ignoble créature qui hantait ces lieux ?

Sans avoir répondu à cette question, Néron pénétra dans la pièce et senti immédiatement qu’il ne foulait plus un sol dallé de pierre. Le plancher était recouvert d’une couche de mousse, la même qui recouvrait abondamment la contrée maudite de Sylvanie. C’était ainsi que les vampires restauraient leur énergie surnaturelle durant leur repos diurne, ils avaient besoin en quelques sortes de retrouver leur terre.

Il vit alors le sarcophage et ne put réprimer un frisson. Retenant sa respiration, il s’approcha très lentement, arriva près de la sinistre sépulture, posa sa lanterne sur le sol et prépara le pieu de bois et le maillet en vue de ce qu’il avait à faire. Il poussa tout doucement le couvercle et.. vicie! Aucune trace du corps! Il s’était fait avoir comme un débutant !

Quelque chose bougea pourtant tout ait ‘ fond du sarcophage et Néron reprit sa lanterne. La créature qu’il découvrit semblait sortie tout droit d’un cauchemar : il s’agissait d’une tête en décomposition portée par quatre paires de pattes semblables à celles d’une énorme araignée. Sans doute était-ce là le résultat d’une des expériences du propriétaire des lieur. La créature émit un “Ssssseigneur !” écoeurant et bondit subitement hors du cercueil pour courir se -réfugier dans un sombre recoin de la pièce. Néron fit quelques pas dans cette direction et aperçut un énorme catafalque de pierre gravé d’étranges symboles qui lui rappelèrent ces parchemins de l’antique Khemri, qu’il avait étudiés autrefois. Avant qu’il n’ait eu le temps de faire tout autre mouvement, la dalle qui fermait le catafalque tomba lourdement au sol et une ombre, plus sombre encore que l’obscurité ambiante de la pièce, s’en échappa. Néron ne put remarquer que les yeux du vampire : deux joyaux qui brillaient d’une malfaisance séculaire.

“Ainsi donc, misérable mortel, tu pensais surprendre Nicodemus ?” murmura une voix dans l’ombre, une voix qui s’insinua jusqu’aux plus profondes terreurs de Néron et provoqua en lui une indicible horreur.

Il poussa un gémissement aigu et récita immédiatement une série de for-mules arcaniques. De ses yeux jaillirent deux rayons de la plus pure Magie Noire, qui allèrent frapper le vampire et semblèrent l’engloutir. La créature fut surprise par la violence de l’attaque et parvint à grand-peine à disperser les énergies qui menaçaient de le détruire. Nicodemus leva les bras et entonna une mélopée dans une ancienne langue. Répondant à soit appel, une douzaine de squelettes animés s’extirpèrent du sol de la crypte et commencèrent à avancer vers Néron. Alors que le cercle se refermait, un sourire inattendu se dessina sur les lèvres de l’humain.

“Plutôt mal joué, Nicodemus !” Néron copia la posture du vampire et égrena plusieurs commandements.

Les squelettes arrêtèrent leur progression et Nicodemus sentit, fléchir son emprise sur les créatures décérébrées. Ses pouvoirs étaient annulés par ceux d’un autre esprit au moins aussi puissant que le sien.

Il lutta pour garder le contrôle de ses sinistres serviteurs, et les deux sorciers, le vivant et celui qui ne l’était plus vraiment, entamèrent un véritable bras de fer. Nicodenus pouvait percevoir les flots de Magie Noire que son adversaire mettait en oeuvre, et appréhender la maîtrise dont il faisait preuve pour exploiter la moindre faille dans ses propres défenses. Comment cela était-il possible ? Comment son, ancien élève avait-il pu atteindre tut tel niveau de connaissance ?

Lentement, les squelettes se retournèrent et avancèrent vers leur créateur.

“Tu es perdu, pauvre monstre pathétique ! Qu’est devenue ton arrogance envers le vulgaire étudiant que j’étais ! C’est moi le maître, aujourd’hui !”

Le vampire recula contre le mur et tenta une dernière fois de reprendre le contrôle des squelettes. Néron avançait tout en maintenant la pression .Il se sentit presque désolé de voir cette.créature décrépie, qui avait été jadis soif maître, pitoyablement,’ acculée dans un recoin de sa crypte, jouée par son propre apprenti. Le vampire cessa alors brusquement de lutter et Neron fut surpris par cette apparente et soudaine capitulation. II regarda son maître avec, méfiance. Avait-il réellement renoncé ? Nicodemus parla d’une voix paternelle

” Je vois que ton savoir s’est grandement accru, mais tu ne dois pas oublier que tu n’es qu’un moi-tel. Les mortels sont fragiles, leur vie peut s’échapper si facilement de leur frêle enveloppe charnelle. Ne crois-tu pas que, dans ton avidité à me détruire, tu te serais approche… un peu trop près ?”

Le vampire se jeta alors sur Néron, traversant littéralement les squelettes qui explosèrent sous l’impact. L’humain réalisa son erreur. Dans sa jeunesse passée en Tuée, il avait entendu des légendes sur la force surhumaine des seigneurs de la nuit, sans avoir réellement imaginé que son vieux maître ait été jamais capable de faire preuve d’une telle célérité… Il n’aurait jamais pensé qu’il put fracasser de la sorte ces squelettes… jamais imaginé que ces doigts si .fins aient pu se retrouver aussi vite en train de lui enserrer la gorge.

Le vampire rejeta le cadavre de Néron comme s’il s’agissait d’une poupée de chiffon et les derniers squelettes s’écroulèrent au sol. Il tituba alors jusqu’à son sarcophage. Il devait se reposer. L’humain avait judicieusement attaqué en milieu de journée, lorsque les pouvoirs du vampire étaient au plus bas, Nicodemus pouvait ressentir la présence du soleil, même avec autant de volume de terre au-dessus de lui. Il remit le lourd couvercle en place et, avant de sombrer dans un profond sommeil, repensa à ce qui venait de se produire. Comment était-il possible qu’un ridicule apprenti, quelqu’un qui étudiait la nécromancie depuis si peu de temps (cela faisait combien de temps déjà ? Trente ans ?) puisse représenter la moindre menace ? Cela faisait des milliers d’années que lui même s’était aventuré sur les tortueux méandres des sombres arcanes, et il fut l’élève du Grand Nécromancien en personne, celui-là même qui défia la mort. Comment était-ce possible ?

Quelques nuits, plus tard, Nicodemus se réveilla. Il s’était suffisamment reposé et il lui fallait maintenant l’essence vitale d’une créature à sang chaud. Il se leva et traversa la crypte en direction des marches. Il remarqua à peine les restes de la lutte, les tas d’ossements là où’ les squelettes s’étaient effondrés et le corps… Ou donc était passé le cadavre de Néron ?

Il était sûr de l’avoir tué , il se rappelait parfaitement avoir etouffé entre ses propres mains la flamme de sa vie. Nicodemus était éberlué. Autant de sorts parfaitement maîtrisés ! Néron avait assimilé cette technique décrite, par les légendes, selon laquelle les effets d’un sort ne pouvaient être déclenchés que par la mort de celui qui l’a lancé. Autant de talent chez cet apprenti ! Ce genre de sort nécessitait une force d’esprit colossale, une puissance qu’il n’aurait jamais cru pouvoir trouver chez un humain. Nicodemus comprit alors. C’était pour cela que les humains maîtrisaient la nécromancie au-delà de ce qu’un vampire pouvait espérer, même pour la lignée des Nécrarques. Les humains étaient obsédés par la peur de mourir, de changer de monde et de disparaître. Leur vie était si brève qu’ils devaient absolument trouver comment vaincre la mort en quelques décennies. Le Baiser de sang donnait l’immortalité aux vampires, mais cette immortalité signifiait aussi qu’ils perdaient ce qui pousse les humains en avant, la peur de la mort, et cela empêchait les vampires d’atteindre une parfaite maîtrise de la Magie Noire.

Nlcodemus fut tout d’abord abattu par cette révélation, puis il commença à envisager la chose comme un défi personnel. Il lui fallait trouver un autre apprenti, quelqu’un qu’il pourrait étudier d’encore plus près. Après tout, peut-être y avait-il quelque chose à apprendre de ces humains, ses pathétiques proies…

A partir de cette nuit, Nicodemus allait mener ses expérimentations avec un intérêt renouvelé.

Compilé par Kragor
Source : White Dwarf n°63 juillet 1999
Retranscrit en octobre 2007 pour Le Sanctum

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