Challenge d’écriture n°27 – Texte n°1

Lothar

Ma douce et tendre Margueritte,

Je t’écris à la faveur d’une pause pour te donner de mes nouvelles et te rassurer car je te sais rongée par le doute et l’angoisse. Je l’ai lu dans tes yeux quand les cloches ont retenti le 1er Août dernier, je l’ai encore vu quand tu m’as embrassé à mon départ des Invalides. Tes sourires et tes signes de la main n’ont pas pu cacher ce petit voile dans tes yeux et cette façon que tu as de tortiller ton tablier quand tu es tourmentée. Sois tranquille ma petite femme, je te reviendrai. Je n’ai pas l’intention de me faire estourbir.

Quand tu m’as embrassé une dernière fois et que notre officier a donné l’ordre de marche, nous avons pris le chemin de la gare sous les applaudissements et les vivas de la foule. La plupart d’entre nous étaient fiers et résolus à faire honneur à notre Patrie. De jeunes femmes en toilettes du dimanche venaient placer des fleurs à nos boutonnières et aux canons de nos Lebels, des commerçants rougeauds et pleins de gouaille gesticulaient devant leur magasin et distribuaient saucissons, pains frais et autres victuailles à la troupe. De vénérables ancêtres saluaient notre passage d’une main fébrile et cachaient mal leur émotion. Des patrons de bistrots venaient à la hâte remplir nos gourdes de piquette et des enfants armés de fusils à bouchon se joignaient quelques temps à notre défilé. La relève est assurée, les lignards n’ont pas de soucis à se faire ! Quelle impression saisissante, Margueritte ! On aurait juré que la France entière allait nous accompagner au front.

A mon grand regret, j’ai aperçu un triste spectacle, en marge du défilé, qui m’a bien affecté. Un vieil homme (Alsacien, m’a-t-on dit par la suite) qui ne manifestait pas sa joie avec assez d’entrain a été molesté par la foule qui criait « Au Boche ». Les gens ont-ils oubliés que l’Alsace-Lorraine, c’est la France ? Et que nous allons justement rendre à la France ce qui lui revient de Droit et de Cœur ? Ce malheureux était peut-être trop ému ou fatigué par des années d’attente pour se joindre à la liesse populaire. Cette sorte de comportement est vraiment regrettable.

L’ombre au tableau n’a pas persisté longtemps car au croisement suivant, j’ai eu le plaisir de voir un détachement de Dragons. Tu aurais du voir ces fiers cavaliers, leurs uniformes chatoyants et leurs armures dorées brillaient dans le soleil du matin. Ils étaient calmes et confiants, flattant leurs montures et discutant légèrement en nous regardant passer. A leur allure, on pouvait voir immédiatement qu’un sang noble et impétueux coule dans leurs veines. Tout le monde sait que la cavalerie est imbattable, avec des gars comme ceux-ci à nos côtés, nous allons voler de victoire en victoire jusque Berlin !

J’aurais peine à décrire les spectacles qui se sont déroulés durant notre traversée de Paris, ni la multitude de sentiments qui m’envahissait à chaque pas. Finalement, c’est dans cette ambiance quasi fantasmagorique que nous sommes arrivés à notre point de rassemblement : la Gare de l’Est. Il régnait un chaos indéfinissable, dans lequel officiers, gendarmes et chefs de quais tentaient de rétablir un semblant de cohésion. Tout n’était que brouhaha entrecoupé d’invectives. On devait se faufiler entre les groupes en armes et il fallut bien une heure de plus pour récupérer tous les égarés de notre régiment.

Après une attente interminable dans la chaleur étourdissante et le vacarme, nous avons pris le train en direction de Reims. Nous sommes descendus à Charleville Mézières pour continuer notre périple à pieds, sans savoir pour quelle raison. Certains parlaient de sabotage de la voie, d’autres d’accidents ferroviaire et un alarmiste a même lancé que l’armée Prussienne était arrivée à quelques kilomètres. C’était comme si nous étions passés de la liesse collective à la confusion la plus totale. J’ai préféré garder la tête froide. Je n’avais pas entendu d’échos d’une quelconque bataille donc à mes yeux il n’y avait pas encore lieu de s’inquiéter.

Je dois t’avouer que la vie citadine ne m’avait pas préparé aux marches forcées de ces derniers jours, avec tout ce barda sur le dos. Mes compagnons semblent éprouver les mêmes peines mais notre détermination ne faiblit pas. Quand le paquet bringuebalant que je porte me scie le dos, je me dis que c’est un maigre sacrifice en comparaison de la tâche sacrée qui nous attend.

Je sais que cette bataille sera la dernière qui se livrera en Europe et que cette année 1914 restera dans toutes les mémoires comme le début d’une ère de progrès. Ce siècle qui débute sera un siècle de Lumière sans précédent. Néanmoins nous devons au préalable mettre un terme à l’hégémonie Germanique. Il me plaît à penser que notre enfant à venir connaîtra la paix grâce à son papa.

Aies confiance en moi, aies confiance en notre belle et grande Patrie ! Nous sommes vigoureux et courageux, notre industrie est un des fleurons du monde civilisé, nos colonies nous apportent une puissance sans précédent. Comment la Victoire pourrait-elle nous être refusée ? Je te le dis, ma douce Margueritte, nous aurons mis le Kaiser à genoux avant Noël et le cadeau que je ramènerai à notre petit Louis sera un casque Boche.

Ca y est ma douce, le Capitaine passe dans nos rangs et donne ses consignes… Nous allons repartir. J’expédierai ce courrier à la prochaine occasion et je te réécrirai dès que possible. Prends soin de toi en attendant mon retour. Ne te fais pas de soucis pour moi, je ferai bien attention de tirer le premier si je croise un Boche. Reçois tous mes baisers et tendres pensées, ainsi que le petiot.

Ton Firmin qui t’aime

Les commentaires sont clos.