La lutte pour l'Île Blafarde

Sous la lumière blafarde du soleil, la Plaine des Os scintillait. Préservés par une étrange magie, les os étaient blancs. Des armures aussi vieilles que les royaumes elfiques donnaient l’impression de sortir des forges et les armes emprisonnées dans les mains des squelettes étaient aussi acérées qu’au premier jour. Les morts reposaient en rangs sans fin, cages thoraciques emmêlées, empilements de crânes hauts comme des collines. C’était comme si tous les morts de toutes les guerres reposaient ici.

A mesure de sa progression, l’armée des elfes foulait les ruines d’anciennes constructions. Une cité aussi grande que Lothern s’était élevée à cet endroit, mais tous ses bâtiments s’étaient effondrés et il n’en restait pas pierre sur pierre. Le bois vitrifié des poutres gisait au milieu des restes calcinés de murs abattus.

Les os craquaient sous les sabots des chevaux. Une poussière répugnante pénétrait les narines de Tyrion. A sa gauche se trouvait le squelette d’un serpent de plusieurs mètres de long, à sa droite une pyramide de crânes entassés, à peu près de la taille d’un elfe. Tyrion se demanda depuis combien de temps il pouvait se trouver là. Peut-être avaient-ils été empilés hier ou peut-être cinq-mille ans auparavant. Il savait qu’ici le temps s’écoulait de façon étrange.

Tyrion fixa le regard vide d’une immense tête de pierre. La statue à laquelle elle avait appartenu, devait être immense. Chaque oeil était de la taille de Malhandir, la monture de Tyrion et le plus grand des coursiers elfiques de tous les temps.

Au loin, les yeux perçants de Tyrion, pouvaient discerner l’énorme autel noir de Khaine, aussi grand que la pyramide d’Asuryan. Ses flancs vomissaient un flot de sang et il était entouré d’immenses statues. A son sommet, quelque chose brillait d’une lueur noire de sinistre augure. Tyrion ressentit une étrange excitation au creux de son estomac, un avant-goût de la soif de combat qu’inspirait la présence de l’épée maudite.

Les deux armées se rencontrèrent dans la plaine, devant le sanctuaire de Khaine. Leurs fières oriflammes battant au vent, les hauts elfes prirent position. A la vue de son armée, le coeur de Tyrion s’emplit de fierté. L’expédition pour reprendre l’Ile Blafarde était l’une des plus importantes de cet âge du monde.

Tyrion chevauchait à l’aile droite de l’armée, aux côtés des heaumes d’argent. Il était heureux de mener au combat ces chevaliers en armures, tous issus des familles les plus nobles et montés sur les meilleurs destriers qu’Ulthuan pouvait fournir. A sa droite se trouvait un groupe d’héroïques auriges de Tiranoc, donnant à voix basses leurs dernières instructions aux chevaux qui tiraient leurs chars.

A leurs cotés se trouvaient Antheus de Caledor et ses frères les princes dragons, montés sur leurs immenses destriers. Chaque coursier était caparaçonné avec une têtière semblable au heaume ailé de son maître. Antheus salua Tyrion de son antique lance ornée de runes, dont la pointe brillait du feu captif d’une étoile tombée.

A la gauche de Tyrion, la multitude des archers, leurs arcs longs prêts au tir, tenait le centre. Plus à gauche encore, se tenait une importante formation de lanciers composée de gardes maritimes de Lothern, resplendissants dans leurs heaumes ornementés et leurs cottes de mailles en écailles et de soldats citoyens des vallées d’Yvresse et des rivages de Gothique. Près de la garde maritime, deux balistes avaient été déployées en hâte.

Il y avait aussi la garde personnelle du prince mage saphérien Irion, aux costumes chamarrés. Le haut mage se tenait fièrement aux côtés de ses soldats, échangeant des plaisanteries avec Hallar, capitaine des maîtres des épées de Hoeth. Le mage et la plus fine lame d’Ulthuan, étaient de vieux rivaux. Tyrion sourit, il avait appris le métier des armes de Hallar et il aimait bien son humour sardonique.

Les terribles légionnaires silencieux de la garde phénix épaulaient les puissants lions blancs de Chrace, resplendissants dans les fourrures des grands carnivores dont ils tiraient leur nom. Cette armée avait de quoi effrayer même le plus farouche des ennemis.

Face à l’armée des hauts elfes, l’ennemi avait massé ses rangs. Sur les marches mêmes du sanctuaire, se tenait N’kari. Le démon majeur était horrible à voir. Une fois et demi aussi grand qu’un elfe et pesant dix fois plus lourd, une énorme masse compacte de muscles. De ses deux épaules sortaient deux bras terminés par des pinces, sous lesquels se trouvaient deux bras humains. N’kari jeta en arrière sa tête de taureau et laissa échapper un étrange ululement, qui se répercuta à travers l’armée des elfes noirs, les mettant dans une transe de terreur et d’adoration. Aux pieds de N’kari se trouvait un démon hideux, en partie scorpion, en partie reptile et en partie bestial. Il léchait lascivement les jambes du démon. N’kari lui caressa la tête, d’une de ses mains humaines. Il agita l’autre en direction de Tyrion dans un salut moqueur.

Devant lui se tenaient les rangs des lanciers elfes noirs aux yeux brûlants d’une haine non dissimulée. Tyrion les avait déjà affrontés et les savait redoutables. Toute l’infanterie des elfes noirs était consumée d’une haine tellement violente, qu’elle la rendait incapable de reculer ou de se rendre. Les légions du Roi Sorcier, étaient les plus terribles ennemis des hauts elfes.

Aux côtés des lanciers, face aux auriges de Tiranoc, une foule de furies hurlait et piaillait, avide de meurtre. Les lèvres violettes des femmes droguées dégoulinaient de bave. Elles brandissaient des lames enduites de poison et dansaient lascivement pour le plaisir de leur maître.

Juste en face de la cavalerie des hauts elfes, il y avait plusieurs formations d’elfes noirs montés sur des sang-froid, à la peau verte et gluante. Tyrion se demanda si les montures de son armée accepteraient de charger ces lézards répugnants. Enfin, il était trop tard pour se poser ce genre de questions. Il devait avoir confiance dans la loyauté des chevaux et dans le courage des hauts elfes.

Malhandir hennissait et se cabrait, impatient d’aller au contact de l’ennemi. Ne voyant aucune raison de le retenir, Tyrion donna le signal de la charge. Son plan était simple. Les archers devaient maintenir un tir nourri sur l’ennemi, tandis que les chars et la cavalerie se rapprochaient des rangs ennemis. Il conduirait lui-même la charge.

Après les doutes de la veille au soir, Tyrion était serein. S’il était tué au cours de cette bataille, il aurait la mort qu’il désirait. La guerre était quelque chose qu’il comprenait, il avait été élevé pour cela. Il fixa son regard sur N’kari. Oui, le démon était réellement une vision d’horreur, oui, le démon était une créature d’un pouvoir redoutable. Mais Tyrion savait qu’il avait déjà été battu. Une fois par son lointain ancêtre Aenarion et une autre fois par son propre frère, le mage Teclis. Harceler la lignée d’Aenarion était le destin du démon, de même que le destin des fils d’Aenarion était d’être le fléau de N’kari.

Tyrion avait confiance dans la force de son bras. Dans sa main, Sunfang irradiait d’une puissance meurtrière. Son corps était protégé par l’Armure Dragon d’Aenarion. A son cou pendait le Cœur d’Avelorn, dans lequel il y avait une mèche de cheveux de la Reine Eternelle. Il était protégé par des sorts d’une puissance incroyable. Tyrion savait qu’aucun guerrier excepté, Aenarion, n’avait été au combat aussi bien équipé et protégé. Si une créature vivante avait l’ombre d’une chance en combattant le démon, c’était bien lui et il n’en demandait pas plus.

Il leva une main gantée et lança l’attaque. Les notes claires des cors de guerre des elfes résonnèrent à travers le champ de bataille. Le temps d’un battement de cœur, un nuage de flèches s’abattit sur les ennemis. Malhandir avait besoin de précéder l’attaque. Il accélérait sans effort. Le vent sifflait aux oreilles de Tyrion, tandis que son destrier allongeait ses foulées. Les os se brisaient comme des brindilles sous ses sabots ferrés d’argent. Dans le lointain, un sang-froid s’effondra percé par un trait de baliste. Tyrion vit son cavalier désarçonné et écrasé par le cadavre de sa monture.

Les sabots de la cavalerie des hauts elfes, faisaient trembler le sol. Tyrion vit un des chars de Tiranoc rebondir sur le sol inégal. Les auriges, grisés par la l vitesse, faisaient retentir leurs terrifiants cris de guerre qui firent courir un frisson le long de sa colonne vertébrale. Le cri des auriges rappelait les années de haine, d’amertume et de solitude. S’il avait été un elfe noir, il aurait été effrayé.

Les elfes noirs tenaient leurs positions, en dépit des volées de flèches qui les fauchaient. Bien que vendus au mal, ils n’en restaient pas moins des elfes, avec une discipline et un courage elfique. D’un mot, Tyrion ralentit Malhandir, laissant le reste de la , cavalerie le rattraper. Il voulait engager la bataille à leurs côtés, être le fer de lance de l’attaque des elfes. A travers les nuages de poussière, il pouvait voir les elfes noirs se rapprocher. Ils poussaient des cris frénétiques, utilisant une parodie de la langue d’Ulthuan. Les mots se ressemblaient suffisamment pour être compréhensibles mais la langue hachée de Naggaroth, n’était qu’un pâle reflet de la langue fluide et chantante d’Ulthuan.

Eltharion sentit une vague de chaleur au niveau de sa poitrine, comme un éclair de pouvoir démoniaque jaillissait des pinces de N’kari. L’énergie maléfique se lova autour de lui mais fut dissipée par le charme de la Reine Eternelle. Tyrion murmura une prière pour remercier la mère universelle. De derrière lui, un éclair d’énergie surnaturelle bondit vers le démon et fut repoussé d’un simple revers de ses pinces monstrueuses.

Un sifflement sinistre emplit l’air lorsque les arbalétriers elfes noirs ouvrirent le feu. A la droite de Tyrion un guerrier audacieux s’écroula, un carreau empenné de noir dans l’oeil. Avec un hurlement horrible, il fut désarçonné. Un pied pris dans l’étrier, il fut traîné sur le champ de bataille comme une hideuse charrue labourant le sol recouvert d’os. Instinctivement, Tyrion baissa la tête. Les carreaux rebondissaient sur son armure. Les antiques mailles pliaient. La douleur le brûlait à l’endroit des impacts, il savait qu’après la bataille il serait couvert de bleus, s’il survivait. Aucun carreau n’avait encore pénétré son armure, ce qui le rassurait car de sombres rumeurs prêtaient aux enfants de Naggaroth la détestable habitude d’enduire de poison les pointes de leurs projectiles.

Tyrion risqua un coup d’oeil aux alentours. Les pertes des elfes n’étaient pas trop importantes. Les tireurs étaient loin et les traits avaient perdu la majeure partie de leur force en atteignant les rangs des hauts elfes. Il vit un char heurter un talus et se retourner, son conducteur atteint en plein coeur par un tir malheureux. Hennissants de terreur, les chevaux essayaient de se dégager des décombres.

Incapables de se maîtriser plus longtemps, les furies et l’infanterie de Naggaroth se mirent en branle, piaillant et se gaussant. Avec de lentes mais grandes enjambées, les sang-froid revinrent à leur hauteur. La haine afflua dans les veines de Tyrion. Il était déterminé à semer la mort parmi ses ennemis. Une petite partie de son esprit identifia l’accroissement de sa soif de sang. Elle venait de l’arme fichée dans cet antique autel. Il savait que l’épée de Khaine se nourrissait de tous ces carnages.

Des sorts s’échangeaient entre les deux armées. Le mage et le démon se livraient un duel peu convaincant. Jusqu’ici, la magie n’avait eu que peu d’effet mais Tyrion savait que l’un des deux sorciers finirait par épuiser ses sorts défensifs et qu’alors de terribles choses se produiraient.

Des volées de flèches pleuvaient sur les elfes noirs. Pendant que leur cavalerie se rapprochait, les hauts elfes concentraient leur tir sur l’extrémité des rangs de Naggaroth. Des cris à glacer le sang retentissaient lorsqu’un elfe noir mourait. Sur l’autel, l’aura sombre autour de l’épée maléfique s’intensifiait sans cesse.

Dans un fracas épouvantable les deux armées s’entrechoquèrent. Menée par Tyrion, la cavalerie des hauts elfes, telle un raz de marée d’acier, se rua sur l’ennemi. Tyrion frappait de droite et de gauche. Des furies tombaient décapitées. Malhandir se cabrait, écrasant leurs corps encore agités de convulsions. Plus vive que l’éclair, la lame de Tyrion fauchait tout ce qui se trouvait à sa portée. Le prince elfe sentit affluer en lui une soif de sang familière. Il sentait les os se briser sous sa lame et la sensualité du pouvoir enfin libéré, tandis que Sunfang déchaînait son énergie.

Hurlant toujours plus, les furies se jetèrent sur lui. Avec leurs yeux vitreux et leurs lèvres tachées de sang, elles étaient encore plus démentes que Tyrion lui-même. Il était une machine de destruction vivante, il était impossible à un humain de l’arrêter. Faisant virevolter sa lame de part et d’autre, il s’était taillé un chemin sanglant à travers les furies et l’infanterie des elfes noirs.

Du coin de l’oeil, il aperçut une lame enduite de poison piquer vers lui. Au dernier moment, il tenta d’esquiver en se renversant sur sa selle mais trop tard. La lame l’atteint aux côtes et lui aurait percé le coeur sans la résistance de son antique armure. Des étoiles dansèrent devant ses yeux, sous la force de l’impact. L’assassin elfe noir cracha dans sa direction. Tyrion put voir la marque de Khaine, tatouée sur sa pommette.

“Meurs, assassin !” rugit-il en frappant. Sa lame trancha la main de l’homme, le revers le décapita. Dans sa frénésie à semer la mort, Tyrion frappait dans tous les sens, transformé en un véritable tourbillon de mort. Bientôt, il ne resta plus d’ennemi vivant à portée de sa lame.

Tyrion eut un moment de répit, qu’il mit à profit pour étudier le déroulement de la bataille. La cavalerie des hauts elfes avait fracassé le gros des troupes des elfes noirs, leur infligeant de lourdes pertes. Tyrion avait pensé que rien de vivant ne pouvait survivre à une telle avalanche d’acier. Les lances avaient transpercé les corps des elfes noirs. Les roues équipées de faux des chars les avaient fauchés comme les blés. Probablement soutenus par leur haine ancestrale, les elfes noirs avaient tenu bon. Ils avaient réussi tant bien que mal à conserver leur ligne et à résister à la fureur de l’attaque des hauts elfes. Malgré l’intense pression exercée, ils n’avaient pas flanché. C’étaient des ennemis réellement redoutables.

Tyrion vit Antheus donner du haut de sa monture des instructions aux autres princes dragons. Ils étaient cernés par un groupe de lanciers elfes noirs, échangeant coups pour coups avec leurs agresseurs. Un seul char avait réussit à percer les lignes ennemies et se dirigeait vers les arrières des elfes noirs. Près de Tyrion, la masse des heaumes d’argent était engagée dans une lutte sans pitié avec leurs adversaires fous furieux. Les grands chevaux blancs se cabraient et retombaient, écrasant les crânes à coups de sabot. Les fiers chevaliers en mailles argentées, taillaient et tranchaient de leurs épées.

Alors même qu’il regardait, un fier chevalier fut désarçonné et éventré par un lancier elfe noir. De là où il se trouvait il était difficile de dire qui avait l’avantage. Tyrion ne doutait cependant pas qu’il le saurait bientôt.

Les sortilèges fendaient l’air. Près de Tyrion, un éclair de pouvoir ténébreux frappa au milieu des heaumes d’argent, réduisant l’un d’eux en un cadavre rabougri et provoquant la stupeur chez les autres. Voyant le visage horrifié de ses hommes et leur ardeur affaiblie, Tyrion, leur hurla de ne pas avoir peur et de tenir bon. Il y avait une telle autorité dans sa voix que les hauts elfes tirent leurs positions.

Tyrion chercha du regard la source du sort mortel et la trouva. N’kari était descendu des marches du sanctuaire et traversait la mêlée. Chaque coup de ses pinces laissait un courageux guerrier elfe à terre aux pieds du démon.

A l’arrière, les cors de guerre résonnèrent une fois de plus, appelant l’infanterie à se joindre à la bataille. Une fois encore les flèches se mirent à tomber en une pluie mortelle sur les rangs des elfes noirs. Poussant son cri de guerre, Tyrion dirigea Malhandir vers le démon majeur.

Une odeur fétide saturait l’air à proximité de N’kari. La présence oppressante du démon mettait en péril la raison de quiconque le regardait. Il y avait quelque chose de presque majestueux dans l’apparence de ce rejeton de l’enfer et quelque chose de presque ( merveilleux dans la puissance surnaturelle et la grâce de ses mouvements. Tyrion vit l’un des heaumes d’argent être hypnotisé puis coupé en deux par le démon. Même la charge de Malhandir ralentit, obligeant Tyrion à recourir aux éperons.

Tandis qu’il se ruait comme l’éclair sur le démon, les runes de son épée se faisaient de plus en plus brillantes. Il fit décrire à Sunfang un grand arc de cercle et frappa le monstre. Maniée par le puissant bras de Tyrion, dont la puissance était accrue par la charge irrésistible de Malhandir, l’épée aurait terrassé tout autre ennemi. N’kari ne fit qu’émettre un cri de douleur qui réjouit néanmoins le coeur de Tyrion : la chose pouvait donc être blessée.

Tyrion frappa encore et encore, faisant pleuvoir une grêle de coups, repoussant N’kari. La sueur coulait sur le front du héros et menaçait de l’aveugler. Son bras tremblait sous les impacts de son épée contre le cuir, aussi résistant que de l’acier, du démon. Il n’osait cependant pas s’arrêter. Il ne voulait pas laisser un seul instant de répit à cette chose, de peur qu’elle ne le mette en pièces de ses gigantesques pinces. Des humeurs en fusion coulaient de plusieurs longues estafilades et le démon criait avec un étrange mélange de plaisir et de douleur.

La bataille était finie, sauf pour Tyrion et N’kari. Pour les deux combattants plus rien d’autre n’avait d’importance. Il leur semblait qu’ils se battaient dans un univers isolé et silencieux où seuls eux et leur haine existaient et où tout était dominé par la présence maléfique de l’épée de Khaine.

Presque à la limite de ses forces, Tyrion continuait de frapper. Soudain le démon leva les mains. Ses doigts humains firent un geste d’invocation et un éclair brûlant de pouvoir ténébreux enveloppa le héros des hauts elfes. Tyrion gémit, la douleur se propageait à toutes ses terminaisons nerveuses. Il avait des hauts-le-coeur et aurait voulu vomir. Il se sentait comme s’il avait été foudroyé. Une odeur de bile et de soufre emplissait ses poumons. Il resta paralysé pendant un moment, tandis que la chaleur de l’amulette et le redoutable pouvoir au sort démoniaque se livraient bataille dans son corps.

Maintenant c’était à N’kari de faire pleuvoir les coups. A travers les brumes de la douleur, Tyrion se défendait du mieux qu’il pouvait. Malhandir reculait tandis que le démon s’avançait en ricanant. Tyrion bloqua l’un des coups de la créature et esquiva une pinces monstrueuses. Un autre coup atteignit son heaume. Ses oreilles résonnèrent d’un bruit assourdissant. Sa tête fut projetée en arrière sous la force de l’impact. Un coup de poing très violent le toucha sous le coeur, à l’endroit déjà meurtri par le coup de l’assassin. Il retint un cri quand ses côtes cédèrent. La douleur irradiait dans sa poitrine. Un autre coup lui disloqua presque l’épaule.

Une joie malsaine animait la voix du démon. “Tu es à moi, prince Tyrion. L’heure de ma vengeance a sonné.”

Tyrion se sentit vaincu. Son corps n’était qu’une plaie, chaque cellule le faisait souffrir. Le démon était trop puissant pour être vaincu par un mortel, aussi bien armé et aussi bien entraîné soit-il. Il avait été inconscient de penser le contraire. Il se résignait presque à accepter l’inévitable, quand soudain une force nouvelle afflua en lui. Peut-être venait-elle de l’amulette à son cou ou de la terrible épée de l’autel. Il n’en savait rien et peu lui importait. Il ne savait qu’une chose, il devait continuer à combattre. Et c’est exactement ce qu’il allait faire.

“Non ! ” Cria Tyrion. Et bien que son épée lui semblât aussi lourde qu’une enclume, il la souleva. Tout se déroulait avec une lenteur effrayante, comme dans un cauchemar. Il vit le démon relever la tête, étonné. Tyrion abaissa sa lame avec la puissance majestueuse d’un éclair. La lame brûlante atteignit le démon en plein front, directement sur la marque de Slaanesh. La tête du démon se sépara en deux, sectionnée sous la violence du choc. La chose tomba à genoux, des flammes s’échappant de sa blessure.

Au contact de l’air, les humeurs se transformaient en vapeurs multicolores. A mesure que ces vapeurs montaient, le cadavre du démon se dégonflait comme un ballon. La fumée devenait toujours plus brillante pour finalement s’évanouir dans un gémissement plaintif. A présent Tyrion était effectivement seul au milieu du champ de bataille ; il se sentait faible au point de tomber à genoux. Il avait lutté jusqu’au bout de ses forces. Mais une fois de plus, il tira sur ses réserves et se força à conduire Malhandir vers le centre de la mêlée pour combattre et vaincre.


Lentement, péniblement, Tyrion gravit le grand escalier. Du sang couvrait chaque marche du sanctuaire de l’épée de Khaine. Son odeur écoeurante remplissait ses narines. Ses semelles étaient gluantes. Les dernières lueurs du jour faisait paraître le sang noir. L’air vibrait, saturé de pouvoir, menaçant de corrompre son âme.

Il monta les dernières marches vers le sommet du temple et se retourna pour contempler l’étendue de son triomphe. De cet endroit, du haut de la ziggourat noire, le champ de bataille lui semblait vide. Plus d’un millier de guerriers étaient morts aujourd’hui et ils ne représentaient qu’une infime partie des corps entassés dans la plaine. Depuis cet antique observatoire, la futilité de la guerre devenait évidente. Combien étaient morts au long des millénaires ? Et pourquoi ?

Il se tenait à présent à l’endroit même où s’était tenu Aenarion, lors des jours de colère, lorsqu’il avait tiré l’épée contre le Chaos et tenté de sauver le monde. Il se tenait à présent à l’endroit même où s’était tenu Malekith, le Roi Sorcier de Naggaroth, tentant d’arracher l’arme à l’autel pour l’utiliser à ses propres fins criminelles. Il se tenait à l’endroit même où Caledor et Tethlis, les Rois Phénix maudits, avaient contemplé leurs destinées et étaient partis à la rencontre de leurs destins. Il se trouvait à l’endroit où d’innombrables rois et sorciers étaient venus chercher de terribles pouvoirs.

Seul Aenarion avait retiré l’arme de l’autel et il l’avait ensuite si profondément enfoncée que nul depuis lors n’avait pu l’extraire.

Tyrion se retourna vers l’arme. Même dans le noir elle restait visible : autour d’elle, des ténèbres plus profondes que la nuit obscurcissaient le ciel. Elle était plantée au milieu d’un chaudron de sang bouillonnant. Sur la lame luisaient des runes écarlates et sa garde était comme un crucifix noir. Le sang se condensait à partir de l’air ambiant et dégoulinait par le sillon de la lame pour remplir le bénitier maudit.

Tyrion était surpris. C’était une épée pour lui, comme elle l’avait été pour Aenarion. L’arme était supposée apparaître sous une forme différente à chacun. Pour Malekith c’était un sceptre, pour Caledor, une lance. Nul ne sait ce qu’avait vu Tethlis, qui n’avait pas vécu assez longtemps pour le dire. L’épée de Khaine, comme il le craignait, lui murmurait des choses. Son pouvoir l’attirait dominant presque ses sens.

Viens à moi, disait-elle. Tu en es digne. Tu es mon maître. Tu es aussi grand qu’ Asnarion. Plus grand, même. Tu réussiras là où il a échoué. Tyrion secoua faiblement la tête.

L’avenir est sombre pour les elfes. La longue nuit de l’extinction approche. Ensemble nous pouvons les sauver. Ensemble nous pouvons reconstruire l’ancien empire et revendiquer les terres perdues. Rien ne pourra se dresser devant nous. Ni les humains, ni les démons, ni les nains, ni même vos noirs semblables. Naggaroth tombera. L’Empire tombera, les royaumes des nains tomberont. Le monde sera à nous. C’est ta destinée. Tu seras le dernier des grands héros elfes et ton nom sera honoré à jamais.

La poignée semblait faite pour sa main. La nuit était pleine de promesses interdites. Le plus terrible était la véracité des dires de l’épée. Sans l’arme, Ulthuan finirait par tomber. Avec l’épée, il pourrait régner sur le monde. Il n’aurait plus à craindre d’ennemi. Les démons trembleraient et le Roi Sorcier ne serait plus rien. Sa main se tendit vers l’objet interdit.

Au lieu de l’épée, ce fut l’amulette qu’elle toucha. Le talisman répandit une faible chaleur sous ses doigts. Il le serra comme si sa vie en dépendait, comme un naufragé accroché à une épave.

Il pensa à la Plaine des Os, aux innombrables cadavres qui nourrissaient le pouvoir de l’épée, aux myriades de morts nécessaires pour étancher sa soif de destruction. Elle avait mené Aenarion et les siens à leur perte. Il était mort solitaire, dans un endroit effrayant. Tyrion savait que s’il prenait l’épée de Khaine, il était condamné, il deviendrait un destructeur de mondes, maléfique, sombre et puissant. Il comprit que ce n’était pas ce qu’il voulait.

Lentement et à contrecoeur, il tourna le dos et redescendit l’escalier vers le monde des mortels. Le chant de sirène de l’épée résonnait dans ses oreilles.

Compilé par Kragor
Source : Livre d'armée Hauts Elfes - GW 1993
 Retranscrit en juillet 2007 pour Sanctum Atorgael

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